Arthur Bastings : « Millicom est une entreprise de convergence numérique »

Pour le vice-président exécutif de Millicom-Tigo chargé de l’Afrique, l’important, aujourd’hui, n’est pas d’être le premier sur la téléphonie. Mais d’anticiper les besoins des consommateurs en termes d’internet mobile.

Nommé vice-président Afrique en 2013, Arthur Bastings travaillait auparavant dans le groupe de télévision Discovery Communications. C Mark Chilvers

Nommé vice-président Afrique en 2013, Arthur Bastings travaillait auparavant dans le groupe de télévision Discovery Communications. C Mark Chilvers

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Publié le 30 mars 2014 Lecture : 5 minutes.

Millicom, c’est un peu le petit poucet des opérateurs télécoms panafricains. Fort de 21 millions de clients sur le continent, ce discret groupe basé au Luxembourg est moins connu que MTN, Orange ou Airtel. Mais avec sa marque Tigo, présente dans six pays africains, il est l’un des plus avancés en matière de diversification.

Propos recueillis par Frédéric Maury

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Jeune Afrique : Pour Millicom, 2013 a été une meilleure année que les précédentes. Comment l’expliquez-vous ?

Arthur Bastings : Nous avons connu en 2013 une croissance de 11 % de notre base de clientèle. Nous avons aussi changé une bonne partie de notre organisation sur le terrain, afin d’avoir des profils de manageurs plus en phase avec nos priorités : la data, l’internet et les services financiers sur mobile.

Le taux de pénétration du mobile peut-il encore croître ?

Cela dépend fortement des pays. Au Sénégal, le taux de pénétration est très élevé. Mais au Tchad, où il est d’environ 40 %, il y a encore beaucoup de potentiel, tout comme en RD Congo ou au Rwanda. Mais il ne faut plus se focaliser uniquement sur la pénétration en matière de voix, car nous entrons dans un nouveau cycle de développement. Et dans les domaines de la data, des services internet ou des services financiers mobiles, les taux de pénétration restent très bas en Afrique. L’enjeu, aujourd’hui, est de préparer le business de demain.

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En Afrique, le revenu moyen par utilisateur est de 4 dollars, soit trois fois moins qu’en Amérique du Sud…

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C’est lié aux fondamentaux macroéconomiques. En Afrique, les pays relèvent le plus souvent de la catégorie « économie frontière » et non « économie émergente ». Ce qui se traduit par l’absence d’une classe moyenne importante. Ensuite, il y a la concurrence, avec des niveaux de prix qui baissent. Malgré une croissance soutenue, certains pays africains n’ont pas vu leur marché des télécoms croître en 2013. Enfin, si les revenus par utilisateur sont si bas, c’est aussi parce que les services à valeur ajoutée sont encore peu développés. À ce titre, le marché est encore immature.

Le revenu par utilisateur va-t-il continuer de baisser ?

Certains facteurs plaident en faveur d’une poursuite de la baisse. De fait, en devenant plus inclusive, l’industrie des télécoms s’adresse de plus en plus aux populations à faibles revenus.

Certains pays n’ont-ils pas trop d’opérateurs ?

La compétition est une bonne chose, notamment parce qu’elle permet d’avoir le choix. Maintenant, il est vrai que dans certains marchés le nombre de concurrents n’est pas forcément à un niveau idéal.

Notre intention n’est pas d’être le numéro un dans la voix, mais d’être leader dans les nouveaux services qui arrivent.

Nombre d’opérateurs disent vouloir être parmi les deux premiers acteurs dans chaque pays. Est-ce la meilleure manière de faire des profits ?

J’entends souvent cela et ça m’amuse beaucoup. La question de la taille critique est importante, mais je ne pense pas que le fait d’être premier soit la priorité absolue. Notre intention n’est pas d’être le numéro un dans la voix, ce dont tout le monde parle, mais d’être leader dans les nouveaux services qui arrivent.

Parmi les solutions développées par les opérateurs pour maintenir leurs bénéfices figure la cession ou le partage des tours télécoms. Cette tendance va-t-elle se poursuivre ?

Nous avons été parmi les premiers à bouger dans ce domaine. De manière plus générale, le partage des infrastructures est important.

Les services financiers sur mobile ne représentent qu’une petite partie de vos revenus, mais deviennent une composante importante de votre croissance. Quels types de services financiers les clients africains préfèrent-ils ?

Aujourd’hui, c’est surtout le paiement mobile. Mais cela va se diversifier. Ce qui est important, c’est de comprendre quels sont les besoins financiers de nos clients. Au Ghana, il y a un système d’épargne informelle nommé susu : il permet d’épargner des petites sommes chaque jour, moyennant une commission payée à une personne chargée de conserver cette épargne. Du coup, nous avons lancé une version numérique de ces clubs d’épargne.

Au Zimbabwe, le leader du marché, Econet, a acquis une petite banque. Pourriez-vous faire la même chose ?

Cette expérience est très intéressante. Mais je ne répondrai pas à la question de savoir si nous pourrions faire la même chose.

Le prix des smartphones est un obstacle majeur au développement de l’internet mobile. Pensez-vous que cela puisse évoluer rapidement ?

La demande pour les smartphones low cost est spectaculaire, et nous avons d’ailleurs du mal à la satisfaire. Nos chargements de smartphones arrivant en Afrique sont vendus en deux jours. Aujourd’hui, le prix pour un smartphone low cost de bonne qualité tourne autour de 60-70 dollars. Notre prévision est que, dans quatre ans, il sera de 20 à 25 dollars.

Les nouveaux utilisateurs de smartphones sont curieux d’Internet mais ne l’utilisent que rarement.

Les nouveaux utilisateurs de smartphones sont-ils friands d’internet ?

Ils sont curieux mais ne l’utilisent que rarement. Et il est difficile de les convaincre de l’utiliser chaque jour. Sans doute parce qu’ils ont des craintes sur le prix que cela peut leur coûter. Il faut donc être le plus transparent possible sur les tarifs, créer l’écosystème qui les incitera à aller sur le web. D’où nos investissements dans l’e-commerce. Ensuite, il faut trouver les bons services. Nous avons ainsi passé un partenariat avec Facebook. Au Paraguay, nous y offrons un accès gratuit et en guarani, la langue locale. En 2014, nous répliquerons cette opération en Afrique.

Pourquoi un opérateur téléphonique se lance-t-il dans le commerce en ligne ?

Nous ne nous voyons pas comme une compagnie téléphonique, mais comme une entreprise de convergence numérique. Les opérateurs de téléphonie mobile sont les fournisseurs d’accès à internet privilégiés en Afrique, et ils ont une connaissance fine du consommateur africain. Nous prenons donc très au sérieux tous les aspects du numérique et voulons participer à cette industrie.

Nous avons ainsi investi dans Africa Internet Holding [AIH], et nous croyons beaucoup au e-commerce, qui donne accès à un large choix de produits sur un continent qui a peu de centres commerciaux. Notre objectif est de dépasser les malls avant qu’ils n’existent partout. Dans ce domaine, notre ambition est panafricaine, elle va bien au-delà des pays où nous opérons dans la téléphonie. Pour cette raison, nous nous sommes aussi alliés, toujours dans le cadre d’AIH, avec MTN, qui a une empreinte géographique très complémentaire à la nôtre.

Depuis des années, la rumeur court que les activités africaines de Millicom sont à vendre. Confirmez-vous ?

Nous aimons l’Afrique. Et cela n’est pas un sujet dont nous tenons compte aujourd’hui.

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