Exilés de tous les pays…
L’accueil de l’ancien président anjouanais Mohamed Bacar, chassé du pouvoir en mars dernier, n’est pas une première. D’Idriss Déby Itno à Ibrahim Coulibaly, nombre d’opposants ou de dirigeants déchus ont, par le passé, trouvé refuge dans l’ancien Dahomey.
Ils en avaient entendu parler à la radio. Certains Béninois, à l’instar d’autres Africains, ont pu suivre ce drôle de feuilleton comorien à la télévision. De Mohamed Bacar, beaucoup savaient qu’il était le président d’Anjouan, une lointaine île de l’océan Indien. Élu en mars 2002, réélu en juin 2007 mais en violation des lois de l’Union des Comores – la fédération à laquelle son île appartient -, il n’a pas voulu quitter le pouvoir. Dans un scénario tragi-comique, il en a été chassé il y a quatre mois par l’armée comorienne, appuyée par des soldats tanzaniens mandatés par l’Union africaine. Pour les gens ordinaires, les péripéties de ce personnage tout droit sorti de La Chute du faucon noir de Ridley Scott relevaient de ces histoires lointaines et exotiques qu’on aime regarder devant un écran.
Seulement, voilà. Le colonel Mohamed Bacar a bien débarqué à Cotonou le 19 juillet en provenance de l’île française de la Réunion, d’où il a été expulsé. Arrivé par un vol spécial affrété par le gouvernement français, l’ancien homme fort d’Anjouan a trouvé asile au Bénin pour une durée indéterminée. L’annonce a pris l’opinion nationale par surprise, le gouvernement n’ayant pas fait de déclaration sur le sujet. Certes, la presse a critiqué le secret de la procédure. Mais la population n’a manifesté aucune hostilité. Pas plus que l’opposition n’a protesté, malgré les regrets exprimés par le gouvernement comorien, qui souhaite présenter le « criminel Bacar » devant la justice de son pays.
Même l’ancienne puissance coloniale – qui exerce sa souveraineté sur l’île voisine de Mayotte – n’en a pas voulu. Débarqué d’une vedette rapide sur cette collectivité d’outre-mer à l’issue de sa fuite d’Anjouan, il a finalement été transféré par les autorités françaises à la Réunion. Bacar sera par la suite jugé et condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis pour entrée illégale sur le territoire et détention illégale d’armes, la France ayant rejeté la demande d’asile de l’ancien président.
« Terre d’espérance »
Pour éviter d’expulser l’Anjouanais vers les Comores, où il risque la peine de mort, Paris a demandé au Bénin, qui a accepté, de l’accueillir. « Notre pays reçoit tout le monde, à condition que l’hôte ne fasse pas de bruit », explique un proche du chef de l’État. En l’occurrence, Bacar a promis qu’il se tiendrait à carreau. Le voudrait-il qu’il serait bien en peine de mener une activité politique de manière efficace : le gouvernement béninois a prévu de l’installer à Natitingou, une petite ville touristique sans aéroport, à 550 km au nord de Cotonou.
Titulaire d’une maîtrise en criminologie, Bacar, qui dit vouloir profiter de l’accueil de cette « terre d’espérance », aura tout le loisir de refaire sa vie dans un autre métier. C’est d’ailleurs la clé de cette politique d’asile pratiquée par ce pays d’Afrique de l’Ouest : « Plus qu’un exil, le Bénin propose une retraite », précise un autre proche du dossier. Le pays ne s’implique en aucune façon dans les crises qui secouent le continent. « Il n’y a jamais de plan béninois de résolution des conflits. Nous ne jouons pas dans la cour des grands », constate un analyste politique local. Aussi peut-on s’y réfugier sans risquer de causer des interférences dans les médiations entreprises par d’autres.
Cependant, cette politique d’asile n’est pas mise en ÂÂÂuvre sans précautions : Cotonou prend soin d’informer à l’avance ses voisins, dont le Burkina Faso de Blaise Compaoré. La démarche vise à « s’assurer que la présence de ces personnalités dans la sous-région ne les gêne pas », précise-t-on. Car, dans bien des cas, Cotonou joue avec le feu. Opposants notoires, anciens potentats en tourisme forcé, ces bannis de tous horizons sont rarement d’innocents enfants de chÂÂÂur. Tous ne rêvent que du retour dans leurs pays par le moyen de la conquête du pouvoir.
Quoi qu’il en soit, au fil des années, le Bénin a acquis une expérience éprouvée en matière d’accueil de réfugiés politiques. En 2005, il a fallu faire face à l’afflux de Togolais fuyant les violences électorales qui ont émaillé l’élection de Faure Gnassingbé à la présidence du Togo voisin.
Avant eux, de nombreux réfugiés venant de la République démocratique du Congo en guerre ont choisi cette destination. Goukouni Weddeye, président du Tchad de mars à avril 1979 puis de septembre 1979 à juin 1982, y a vécu à plusieurs reprises entre 1980 et 1989. Idriss Déby Itno, établi au Bénin de 1980 jusqu’à son accession au pouvoir en 1990, y a laissé le souvenir d’un résident discret. En revanche, avec le rebelle ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit « IB », la cohabitation, délicate dès son arrivée en 2003, est devenue impossible en décembre dernier. Accusé par le ministre béninois de l’Intérieur, Félix Hessou, d’avoir violé un accord lui interdisant toute activité « subversive ou politique », il a été déclaré indésirable. Des proches de Coulibaly auraient été à l’origine d’une attaque contre une patrouille militaire quelques jours auparavant à Bouaké.
Pas de Marchandage
Mais c’est avec François Bozizé, actuellement à la tête de la République centrafricaine, que les choses se sont le plus mal passées. Accusé d’avoir tenté un coup d’État contre le général André Kolingba, il s’enfuit de Bangui en mars 1982 et, au bout de quatre mois d’errance, est finalement accueilli par le Bénin en juillet 1982. Pourtant, l’exil tourne court. Bozizé est arrêté par un officier zélé de la garde de Mathieu Kérékou, qui le soupçonne de préparer un coup de force. Pieds et poings liés, il est embarqué avec douze de ses proches dans un avion affrété par des émissaires de son ennemi Kolingba. Bozizé sera incarcéré, torturé, puis jugé avant d’être acquitté au bout de deux années de cauchemar.
Quelle est la contrepartie de cette sollicitude particulière à l’égard des exilés de tous horizons ? Les autorités béninoises se défendent de tout gain matériel ou pécuniaire immédiat. S’agissant de Mohamed Bacar, « il n’y a pas eu de marchandage », soutient un proche du président Yayi Boni. « Mais il est clair que, suite à ce dossier, les rapports entre la France et le Bénin seront plus amènes », poursuit-il. Le gain le plus important, quoi qu’on en dise, est sans conteste cette image de pays ouvert aux citoyens du monde, à l’heure où la tentation du repli identitaire et nationaliste n’épargne ni l’Occident ni le monde en développement.
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