Exposition : Madagascar, île d’arts
Première grande exposition consacrée à la création malgache depuis 1946, « Madagascar, arts de la Grande Île », qui se tient au musée du quai Branly – Jacques Chirac jusqu’au 1er janvier 2019, invite à s’interroger sur l’émergence d’une culture originale au gré de multiples métissages.
Il est un adjectif qui revient fréquemment quand un naturaliste vous parle de Madagascar : « endémique ». Le dictionnaire Larousse précise le terme : « Se dit d’une espèce vivante dont la présence à l’état naturel est limitée à une région donnée ». Rien d’étonnant, alors, à ce que la grande exposition Madagascar, Arts de la Grande Île proposée par le musée du quai Branly – Jacques Chirac (Paris) jusqu’au 1er janvier 2019 s’ouvre sur un clin d’oeil à des animaux-symboles que l’on ne trouve nulle part ailleurs : les lémuriens.
Pourtant, en matière de réalisations humaines, le terme « endémique » pourrait prêter à confusion tant ici les influences extérieures ont été nombreuses à façonner la création malgache. « On l’aura compris, l’art de Madagascar se décline au pluriel, et il est bienvenu que l’exposition le réinscrive dans la profondeur historique de l’île, écrit Stéphane Martin, le président du musée. Car c’est bien la richesse d’un espace carrefour que donne à appréhender Madagascar, dont on peut dire, en écho à Aimé Césaire pour qui « une île est toujours veuve d’un continent », qu’il a d’abord fallu que cette île-là épouse le monde pour pouvoir devenir elle-même. »
Les femmes malgaches adaptent le haut-de-forme et le canotier des Européens
Cabinet de curiosités
De facture plutôt scolaire, l’exposition proposée par le commissaire Aurélien Gaborit a les défauts de ses qualités. Avec l’ambition de brasser tous les sujets ou presque, elle offre la jouissance poétique des cabinets de curiosités mais prend parfois le risque de survoler certains éléments clés des cultures malgaches. Il serait néanmoins fort dommage de bouder son plaisir, pour une simple et bonne raison.
Depuis Ethnographie de Madagascar, exposition présentée au Musée de l’Homme en 1946, aucun panorama de grand ampleur n’avait été consacré aux arts de la Grande Île. Pour le dire autrement, depuis l’insurrection malgache de 1947 et les massacres perpétrés par la France coloniale, le sujet demeurait sans doute trop délicat entre les deux pays.
Monde des vivants, monde des morts
Aurélien Gaborit a donc choisi une approche pédagogique fonctionnant comme une introduction à des mondes complexes qui, chacun, pourraient eux-mêmes donner lieu à de futures expositions. Le visiteur commence ainsi par découvrir « Madagascar dans l’espace et dans le temps » (première partie), puis il fait connaissance avec « Le monde des vivants » (deuxième partie) avant d’effleurer « le rapport entre les mondes invisibles et parallèles, et le monde des morts » (troisième partie). Tout du long transparaissent les différentes influences reçues et assimilées par les populations de l’île.
Des sociétés originales et organisées en royaumes hiérarchisés
À l’origine, bien entendu, les contacts humains et les mouvements de populations issues des régions les plus proches, l’Afrique, la Péninsule arabique, l’Inde et l’Asie du Sud-Est (Austronésie). Les apports sont variés, les peuples austronésiens emportent avec eux le riz, l’igname et le cocotier entre le Vème et le VIIIème siècle tandis que les peuples africains débarquent avec leurs zébus au Xème siècle. « La riziculture et l’élevage ont considérablement modifié le paysage de Madagascar », explique le commissaire. Mais le paysage n’est pas le seul à être modifié. Un riche métissage culturel et des échanges qui se poursuivent par l’intermédiaire de villes portuaires ouvertes sur les courants de l’Océan indien donnent naissance à des sociétés originales, organisées en royaumes hiérarchisés.
Violence coloniale
Hélas, les hommes venus d’ailleurs ne sont pas toujours armés de bonnes intentions. Le 30 septembre 1895, Antananarivo capitule et le 6 août 1896, Madagascar devient une colonie française. Si la peinture a été introduite dans le royaume d’Imerina par Radama Ier dès 1826, si la sculpture y est pratiquée depuis des siècles, si la photo existe depuis l’arrivée du révérend William Ellis de la London Missionary Society en 1956, une école des Beaux-Arts ouvre en 1922, sur le modèle français, avec des intervenants français…
Quant à la photographie, elle est notamment utilisée de manière douteuse pour « recenser les Malgaches comme des éléments de la nature, parmi la faune et la flore d’une île à conquérir. » La violence coloniale s’impose dans tous les domaines avec plus ou moins de virulence, les cultures locales résistent, s’adaptent, se transforment, voire s’enrichissent.
Ainsi quand le pouvoir colonial tente de désarmer les guerrier malgaches en interdisant le port de la sagaie (fitoto), ces derniers optent pour les cannes de bois sculptées. Transformation plus douce, les femmes malgaches – maîtres dans l’art de la vannerie – adaptent le haut-de-forme et le canotier des Européens…
Résistance et adaptation
Il n’existe pas de culture endémique et c’est sans doute dans l’exploration de cette imbrication d’influences, d’assimilations, de rejets, de transformations au gré des siècles et des échanges, que réside le principal intérêt de cette exposition introductive. Il en faudra bien d’autres, pour aller plus loin dans le mystère de la création, pour disséquer les résistances culturelles au joug colonial et le maintien des formes traditionnelles du sacré face à l’islam, au christianisme, voire à l’hindouisme.
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