[Tribune] Focac 2018 : une Chine moins généreuse mais plus engagée
Si le Focac 2018 a mis en lumière le développement des relations Chine-Afrique sur plusieurs fronts, notamment en matière de commerce et d’investissement, il a aussi révélé le spectaculaire ralentissement des financements par emprunt qui ont caractérisé ces liens ces dix dernières années, constantent Jygonh Hwang et Yunnan Chen, chercheuses de la China Africa Research Initiative (Johns Hopkins University).
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Jyhjong Hwang
Chercheuse à la China Africa Research Initiative (John Hopkins University)
Publié le 26 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.
Lancé en grande pompe le 3 septembre, à Pékin, le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) 2018 est parvenu à rassembler en un même lieu 48 chefs d’État africains.
Dans son discours inaugural, le président Xi Jinping s’est engagé à financer les gouvernements africains à hauteur de 60 milliards de dollars (environ 51,4 milliards d’euros), soit un montant équivalent à celui promis lors du Focac 2015. Toutefois, la composition de cette somme, répartie en cinq enveloppes, a beaucoup changé. Explications.
Dons, prêts sans intérêts et prêts concessionnels : 15 milliards
Historiquement, les aides publiques et les prêts sans intérêts offerts par le ministère du Commerce chinois (Mofcom) constituent une très petite partie des flux officiels vers l’Afrique, comparés aux prêts concessionnels de China Exim Bank. D’après nos données, l’ensemble des prêts sans intérêts entre 2015 et 2016 atteignaient à peine 185 millions de dollars, contre 4,7 milliards de dollars de prêts concessionnels sur la même période – essentiellement concentrés sur les infrastructures de transport.
Cette enveloppe est en baisse significative par rapport au Focac 2015, lors duquel 40 milliards de dollars avaient été promis dans cette catégorie (35 milliards de prêts préférentiels et concessionnels et 5 milliards de dons). Bien qu’on ne connaisse pas encore quelle part de ces 15 milliards sera octroyée sous forme de dons ou de prêts sans intérêts – correspondant officiellement à de l’aide publique –, ce montant suggère un ralentissement du volume de l’aide publique et des financements concessionnels en faveur des infrastructures.
Lignes de crédit : 20 milliards
C’est la première fois que ce type de financement apparaît comme une catégorie à part entière lors d’un Focac. Jusqu’à présent, ces « lignes » en provenance de China Exim Bank et de China Development Bank (CDB) ont principalement servi à la construction d’infrastructures telles que les routes, l’alimentation en eau et les centrales électriques. Puisqu’elles atteignent régulièrement plusieurs milliards de dollars et constituent donc des risques importants, elles sont « sécurisées », souvent de façon disproportionnée, en échange de ressources, c’est-à-dire remboursées grâce aux recettes des ventes de ressources naturelles (comme le pétrole ou le cuivre).
Historiquement, l’Angola – qui exporte 95 % de son pétrole vers la Chine – est la première destination de ce type de financement. En décembre 2015, Luanda a signé une ligne de crédit de 15 milliards de dollars garantie en pétrole avec CDB, entièrement décaissée en 2016 et en 2017. Vingt milliards ne semblent donc pas une cible difficile à atteindre, et l’Angola devrait en être le premier bénéficiaire dans les années à venir.
Fonds de développement : 10 milliards
Parmi les engagements pris cette année, on note « la création d’un fonds spécial pour le financement du développement doté de 10 milliards de dollars ». Les contours en demeurent assez flous, et il est encore difficile de dire ce qui le différenciera de ceux déjà existants. On compte déjà trois fonds sino-africains : le China-Africa Development Fund (créé en 2007), le prêt spécial de la CDB à destination des PME africaines (créé en 2008) et le China-Africa Industrial Capacity Cooperation Fund (CAICCF, créé en 2015). Il existe une possibilité pour que ce nouveau fonds ne soit en réalité qu’une reproclamation de la création du CAICCF, dont la constitution prendrait plus longtemps que prévu.
Fonds pour les importations : 5 millions
La Chine n’a donné aucun détail sur ce fonds. Les instruments existants pour soutenir les importations venues d’Afrique comprennent déjà le « crédit vendeur exportateur », mis à disposition par China Exim Bank et grâce auquel les compagnies chinoises peuvent emprunter pour acheter puis importer des produits étrangers. À travers ce nouveau fonds, il est probable que les secteurs de l’agriculture, du pétrole et des mines, qui constituent l’essentiel des importations chinoises en provenance d’Afrique, puissent bénéficier de la demande chinoise, alors même que les tensions commerciales avec Washington risquent d’affecter des importations agricoles clés pour Pékin.
A LIRE >> Que cherche la Chine en investissant autant en Afrique ?
Investissements dans les compagnies chinoises ; 10 milliards
En 2015, les investissements chinois en Afrique ont atteint 3 milliards de dollars, concentrés sur le Ghana, le Kenya et l’Afrique du Sud. Historiquement, ces investissements directs étrangers (IDE) visent essentiellement les industries extractives et les télécoms, mais ils s’orientent de plus en plus vers les ports et les zones économiques spéciales (ZES) – la ZES de Djibouti, en 2015, le parc industriel de Teda, près du canal de Suez (Égypte), ou le parc industriel d’Adama (Éthiopie), en 2017.
Que faut-il en conclure ?
Si ces promesses sont crédibles au regard des précédentes – les 35 milliards annoncés sous forme de prêts en 2015 ont bien été distribués –, elles ne peuvent être considérées comme garanties. Les prêts chinois à destination de l’Afrique ont atteint un pic en 2013, et beaucoup de pays en démarrent seulement le remboursement en 2018. Une chute durable des prix des produits de base affecterait de façon significative la capacité de remboursement de nombre de pays comme leur capacité à emprunter davantage dans le futur. Or le surendettement est une préoccupation aussi bien pour l’Afrique que pour la Chine, notamment pour leur image à l’international.
Si le montant des prêts et des dons paraît ne pas avoir changé d’un Focac à l’autre, le périmètre et la distribution de ces financements se sont bien rétrécis. On remarque en particulier une diminution nette dans l’octroi de prêts concessionnels, qui affectera l’accès aux financements infrastructurels pour les plus petites économies africaines et traduit un recul de la volonté chinoise de prêter dans ce secteur. Et comme les lignes de crédit ont tendance à revenir à des pays ayant un bon historique de remboursement et qui possèdent des industries extractives solides, il est peu probable que ces 20 milliards de dollars bénéficient à plus d’une poignée de pays.
Inscrire la présence économique de la Chine sur le long terme
Mais ces nouvelles promesses montrent que Pékin est en train de diversifier sa relation économique avec le continent. Au-delà des contrats de construction, les compagnies chinoises remontent la chaîne de valeur et prennent davantage de parts à long terme dans les projets auxquels elles participent. Les investissements dans les ZES et les activités portuaires en sont de bons exemples, et la constitution d’un nouveau fonds de développement est justement destiné à satisfaire ces besoins. Enfin, si l’efficacité du fonds destiné à encourager la diversification des exportations africaines reste à démontrer, le concept apparaît prometteur.
En conclusion, les promesses de ce Focac 2018 nous semblent modestes, mais annoncent l’emploi de nouveaux instruments financiers, qui traduit la volonté de la Chine d’inscrire sa présence économique en Afrique sur long terme.
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