Vie et mort d’un terroriste

Proche d’el-Qaïda, Nabil Sahraoui, le très sanguinaire émir du GSPC, a été abattu par l’armée, le 18 juin en Kabylie, avec trois de ses lieutenants. Le mouvement « salafiste » peut-il survivre à sa disparition ?

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 7 minutes.

Ils avaient le même âge, partageaient la même cause et avaient suivi ensemble, à la fin des années 1980, un entraînement militaire intensif à Khost, en Afghanistan. Abdelaziz el-Moukrine, chef d’el-Qaïda pour la péninsule Arabique, et Nabil Sahraoui, alias Mustapha Abou Ibrahim, émir national du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), sont morts à quelques heures d’intervalle, le 18 juin. Le premier est tombé à Riyad, sous les balles des services de sécurité saoudiens. Le second a été abattu par les militaires algériens à Fenaya, sur les hauteurs de l’Akfadou, à la lisière entre la Petite et la Grande Kabylie.
Au milieu des années 1990, les deux hommes s’étaient retrouvés en Algérie, où Moukrine était venu faire le coup de feu. À l’époque, Sahraoui sévissait dans l’est du pays à la tête d’une phalange particulièrement sanguinaire des Groupes islamiques armés (GIA). Accessoirement, il assurait les relations extérieures de Djamel Zitouni, « l’émir » du mouvement.
Le Saoudien était préalablement passé par le Maroc, où son nom avait été évoqué dans l’affaire des premiers attentats de Casablanca, en 1994. Il y avait organisé une cellule de soutien logistique aux maquis algériens. C’est Sahraoui qui prendra en charge son infiltration en Algérie, puis, en 2000, l’aidera à quitter le pays quand Oussama Ben Laden le chargera d’organiser le djihad en Arabie saoudite et fera du Yéménite Abou Mohamed Alouane le responsable d’el-Qaïda pour la région Maghreb-Sahel.
La mort de Sahraoui est un vrai coup dur pour la mouvance salafiste en Algérie. D’autant que trois de ses lieutenants ont été éliminés en même temps que lui : Abdelaziz Abbi, alias Okacha el-Para, numéro deux du GSPC, Mourad Khattab, alias Abou Omar Abdelber, et Droukdel Abdelmalek, alias Abou Mossab Abdelwadoud, qui jouait le rôle d’« officier législateur » : c’est lui qui rédigeait les fatwas. Les effectifs du groupe sont estimés à quelque 400 combattants, essentiellement concentrés dans le massif du Djurdjura, en Grande Kabylie, et dans les montagnes surplombant la corniche jijelienne, à 300 km à l’est de la capitale. Depuis la réélection, le 8 avril, d’Abdelaziz Bouteflika, plus que jamais résolu à promouvoir la « réconciliation nationale », le GSPC a en outre été affaibli par une vague de redditions. Une centaine de combattants salafistes ont déposé les armes et, plus grave, coopèrent avec l’armée, à laquelle ils fournissent de précieuses informations sur l’organisation et l’armement du mouvement. Et sur les déplacements de ses membres.
Né en 1966 dans la région de Constantine, Sahraoui n’était, au sein des GIA, qu’un « second couteau ». C’est le cas de le dire puisqu’il n’a jamais caché le plaisir qu’il éprouvait à égorger ses victimes. Après avoir obtenu un diplôme en théologie à l’Université de l’émir Abdelkader, dans sa ville natale, il rejoint l’Afghanistan quelques mois avant la débâcle de l’armée soviétique. Il s’y forme aux techniques de la guérilla urbaine et au maniement des explosifs. En 1992, il regagne son pays, via l’Espagne et le Maroc. Il s’installe dans la région de Batna, au coeur du massif des Aurès. Il y rencontre deux parachutistes, déserteurs de l’armée algérienne : Amara Saïfi et Abdelaziz Abbi. Le premier est surnommé « Abderrezak el-Para », le second, on l’a vu, « Okacha el-Para ».
Abderrezak prend la tête de la zone 5 des GIA, dans l’extrême est du pays. Okacha est officier de liaison. En 1997, les hommes de Zitouni s’illustrent de sinistre manière par une série de massacres de villageois qui contribuent à discréditer leur « cause ». Par l’intermédiaire d’Abou Qotada el-Filistini, le mufti d’el-Qaïda en Europe, Ben Laden prend ses distances avec les GIA et préconise la création d’une nouvelle organisation djihadiste. C’est ainsi que Hassan Hattab crée le GSPC, auquel Sahraoui et les deux Paras font bientôt allégeance. Abderrezak reste à la tête de la zone 5 et Sahraoui est chargé des relations extérieures. À ce titre, il est en contact permanent avec plusieurs dirigeants d’el-Qaïda, notamment Mohamed Atef, alias Abou Hafs el-Misri, son chef militaire, qui trouvera la mort à Kaboul, en novembre 2001, sous les bombes américaines, mais aussi Abou Mossab el-Zarqaoui, le futur ennemi numéro un des Américains en Irak, et, bien sûr, Abdelaziz el-Moukrine.
Incarnant l’aile « dure » du GSPC, il déclenche une guerre sans merci contre l’Armée islamique du salut (AIS), la branche militaire de l’ex-FIS. Au milieu des années 1990, celle-ci est en effet tentée par une « paix des braves » avec le régime, et ses chefs entreprennent de négocier avec le taghout (« tyran »), comme disent les islamistes radicaux. Ces purges feront plusieurs centaines de victimes dans les rangs de l’AIS. Elles vaudront à Sahraoui une notoriété qui ne suffit pourtant pas à expliquer sa fulgurante ascension dans la hiérarchie du GSPC. Bien qu’il ne fasse pas partie du haut commandement de l’organisation, un concours de circonstances va en effet lui permettre, en octobre 2003, de tenter un putsch contre Hassan Hattab. Et de le réussir.
Contrairement à la plupart des chefs du GSPC, Sahraoui est loin d’être un illettré. Il possède de bonnes connaissances théologiques et maîtrise parfaitement l’outil informatique. En outre, ses échanges réguliers (par courriel) avec les grandes figures d’el-Qaïda lui montent un peu à la tête. Au début des années 2000, il aspire ouvertement au leadership, mais comprend qu’il ne parviendra pas à ses fins sans la bénédiction des deux « Paras ».
Abderrezak est un être fruste, qu’il n’a aucun mal à manipuler. Il lui fait croire que la direction d’el-Qaïda souhaite la création d’une base forte dans la région. Et que les dernières volontés de Mohamed Atef étaient de faire du Tibesti tchadien une sorte de Tora Bora sahélien. C’est Sahraoui qui souffle à Abderrezak l’idée de prendre en otage des touristes occidentaux pour financer l’opération. Ce dernier tombe dans le panneau, charge Omar Benmokhtar d’enlever des otages, puis se joint aux ravisseurs, en mars 2003. Après de nombreux rebondissements, le kidnapping se termine par le versement d’une rançon de 5 millions d’euros. Et par une randonnée qui finit mal, au Tchad. Le départ d’Abderrezak dégage le chemin devant Sahraoui.
Reste le cas Okacha. Ce dernier n’est pas moins combatif que l’autre « Para », mais il a moins de charisme. Et il est fasciné par le savoir-faire informatique de Sahraoui, qui va le convaincre de la nécessité d’organiser un congrès du GSPC pour démettre Hassan Hattab. « L’émir » serait tenté de négocier une retraite dorée avec le pouvoir… Les assises se tiennent dans la forêt de Sidi Ali Bounab, en Kabylie. Hattab est mis en minorité et Sahraoui prend la direction de l’organisation. Qu’est devenu l’émir déchu ? Un repenti assure avoir vu son corps criblé de balles. À l’inverse, Sahraoui jure sur son site Internet qu’il s’est volontairement mis en retrait de la direction, mais demeure un combattant du GSPC.
Pourvus d’un nouveau chef, les salafistes multiplient les attaques contre la gendarmerie et l’armée. Ils auraient éliminé, cette année, plusieurs dizaines de soldats dans les monts du Djurdjura. Au mois de février, à Toudja, en Kabylie maritime, sept gendarmes sont tués au cours d’une opération dirigée par Sahraoui en personne. De même, douze soldats sont abattus, le 2 juin, dans la banlieue d’el-Kseur, près de Béjaïa.
Quatre jours plus tard, Sahraoui rend public un communiqué appelant tous les djihadistes d’Algérie à imiter les « actes du frère Abdelaziz el-Moukrine en Arabie saoudite », à s’en prendre aux intérêts étrangers et à tuer tous les Occidentaux qui tombent entre leurs mains. Ce sera le dernier message du djihadiste.
Trois mille soldats des Forces combinées placés sous les ordres du général-major Saïd Bey, patron de la 5e Région militaire, déclenchent en effet une vaste opération de ratissage. Les 17 et 18 juin, au cours de deux opérations distinctes, sept terroristes sont abattus. À l’issue de l’accrochage du 18, les soldats découvrent une cache qui servait de poste de commandement. Il y a là du matériel de communication sophistiqué, des ordinateurs, des stocks de vivres, d’armes et de munitions appartenant aux gendarmes abattus en février et aux militaires assassinés le 2 juin… Et quatre cadavres. L’épouse de Nabil Sahraoui reconnaît le corps sans vie de son mari. Okacha el-Para est identifié par ses empreintes et les deux autres le seront par des repentis.
Sahraoui disparu, le GSPC a-t-il encore un avenir ? L’organisation ne communique plus, mais il semble qu’elle ait l’intention de nommer à sa tête, dans les prochains jours, Abdelhamid Saadaoui, alias Abou el-Heithem (40 ans), un natif de Bouira. Mais ce dernier est déjà contesté par une partie de ses troupes, qui remet en question les modalités du partage du « trésor » du GSPC, produit du racket et de la dîme révolutionnaire que paient certains opérateurs économiques de la région.
Quant à Abderrezak el-Para, il ne peut en aucun cas organiser la succession de Sahraoui ni mettre fin à l’hémorragie des redditions : il est actuellement l’hôte – ou le captif – du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT). Sale temps pour les salafistes.

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