Vers l’abolition de la peine de mort

Pour Rick Halperin, un des responsables de la branche américaine d’Amnesty International, non seulement le nombre de condamnations est en net recul, mais l’opinion est de plus en plus réservée sur la sentence.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Rick Halperin est l’un des adversaires les plus célèbres de la peine de mort aux États-Unis. Réélu en mai dernier au bureau exécutif d’Amnesty International de ce pays, membre, depuis 1985, de la Coalition nationale pour l’abolition de la peine de mort, il en préside la branche texane depuis 1996. Professeur d’histoire à l’université méthodiste de Dallas, au Texas, il dispense également des cours d’éducation aux droits de l’homme sous l’intitulé de « Dilemme de l’Amérique ». Le 17 janvier 2002, date du vingt-cinquième anniversaire de la reprise des exécutions, il était emprisonné durant plus de vingt-quatre heures pour avoir déployé devant la Cour suprême une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Arrêtez les exécutions ». Rencontre, fin mai, à Paris, à l’occasion d’une invitation d’Amnesty France.

Jeune Afrique/L’intelligent : Quel est le profil type du condamné à mort aux États-Unis ?
Rick Halperin : C’est en général un homme très pauvre, issu d’un milieu familial marqué par des violences liées au sexe ou à la drogue. Peu éduqué, il a rarement été scolarisé
au-delà de 13 ans ou 14 ans. Membre d’une minorité ethnique ou raciale, il a souvent un casier judiciaire chargé.
J.A.I. : Combien de temps attend-il en moyenne dans les couloirs de la mort ?
R.H. : À l’heure actuelle, le délai moyen est de huit ans et neuf mois. Il y a dix ans, il était de seize à dix-sept ans. Cette diminution s’explique par la suppression progressive des voies de recours offertes au condamné. Certains hommes politiques voudraient simplifier encore la procédure judiciaire afin de ramener ce délai à six ans.
J.A.I. : À quel argument contre la peine de mort l’opinion publique américaine est-elle le plus sensible ?
R.H. : Aux États-Unis, l’argument le plus efficace contre la peine de mort est celui de son injustice : la condamnation puis l’exécution d’innocents. Depuis 1976, 114 condamnés à mort ont été innocentés et relâchés. C’est ce qui a conduit, en janvier 2003, l’ancien gouverneur de l’Illinois George Ryan à commuer la peine de 167 condamnés à mort en prison à vie et à décréter un moratoire dans son État (levé depuis). Ryan est aujourd’hui un abolitionniste militant. Dans les sondages, 68 % des Américains se disent favorables à un moratoire, en attendant un hypothétique perfectionnement du système judiciaire. Entre la prison à vie et la peine de mort, 44 % seulement d’entre eux choisissent la seconde option. Il n’est donc pas vrai que la majorité des Américains est favorable à la peine de mort.
J.A.I. : Qui sont les partisans et qui sont les adversaires de la peine de mort ?
R.H. : Les partisans sont notamment les procureurs qui espèrent accélérer leur carrière en requérant systématiquement la peine capitale, ainsi que les politiciens mus par des ambitions électorales. Du côté des adversaires, on trouve la plupart des responsables des communautés religieuses, les représentants des minorités ethniques, la majorité des professionnels du droit ainsi, bien sûr, que les militants des droits de l’homme. Dans les familles des victimes, on trouve à la fois des adversaires et des partisans de la peine capitale.
J.A.I. : La peine de mort est-elle un enjeu dans la campagne électorale ?
R.H. : Depuis le 11 septembre 2001, les hommes politiques croient devoir se montrer plus répressifs. Sur ce plan, le candidat John Kerry ne vaut pas mieux que l’actuel président George W. Bush. Éternel opposant à la peine de mort, il a changé de position depuis que son élection est devenue plausible. De deux choses l’une : soit il est réellement favorable à la peine de mort, ce qui le disqualifie pour la présidence, car cela fait de lui un ennemi des droits de l’homme ; soit il y est opposé, ce qui fait de lui un hypocrite et un lâche, ce qui n’est guère mieux. Depuis la défaite de Michael Dukakis à la présidentielle de 1988, le Parti démocrate a décidé qu’il ne perdrait plus d’élection à cause de son engagement abolitionniste. En 1992, Bill Clinton s’est abstenu d’aborder cette question.
J.A.I. : Quelle est l’évolution de la situation aux États-Unis ?
R.H. : En tant qu’historien, je peux vous dire avec certitude que nous sommes au début du processus de l’abolition de la peine de mort aux États-Unis. Je vivrai assez longtemps pour voir ce processus aboutir. Bien sûr, le nombre d’exécutions augmentera encore, car beaucoup de condamnés à mort ont épuisé leurs voies de recours. Mais ce sera provisoire. La question n’est plus de savoir « si » les adversaires de la peine de mort l’emporteront, mais « quand ».
J.A.I. : De quels éléments dispose-t-on pour afficher un tel optimiste ?
R.H. : D’abord, le nombre de condamnations à mort recule sensiblement : 115 l’an dernier, contre 320 il y a trois ans. Ensuite, la jurisprudence a beaucoup évolué. Dans un arrêt de 2002, la Cour suprême a jugé que l’exécution de personnes souffrant « d’arriération mentale » était contraire à la Constitution. Seul le Texas, où il n’existe pas de statut de la maladie mentale, continue à pratiquer ce genre d’exécutions. Cette année, nous espérons un arrêt comparable s’agissant des mineurs et, plus tard, des personnes âgées. Ce n’est pas tout. En mai dernier, la Cour suprême a donné raison à l’unanimité à David Nelson, condamné à mort par injection létale dans l’État de l’Alabama. Ancien drogué, Nelson estime que cette méthode serait, dans son cas, « cruelle et anormale » (et donc anticonstitutionnelle) : ses veines étant abîmées, sa chair doit être profondément taillée pour l’intraveineuse. D’après les médecins, il pourrait ainsi souffrir d’une hémorragie interne. Or l’injection létale est considérée comme la « plus humaine » des manières d’administrer la mort. Si elle ne peut plus être employée, que va-t-il se produire ? La peine capitale est désormais ouvertement remise en question.
J.A.I. : À quand remonte cette prise de conscience ?
R.H. : En 1998 a eu lieu, à Chicago, la première « invention nationale des innocents ». Une trentaine des 78 condamnés à mort innocentés à cette date y assistaient. La même année a eu lieu la première exécution d’une femme en quatorze ans, celle de Karla Faye Tucker, dont le retentissement a été énorme.

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Site du Centre d’information sur la peine de mort :
www.deathpenaltyinfo.org
Pages Internet de Rick Halperin :
www.sun.soci.niu.edu/~archives/ABOLISH/rick.html

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