Que faire des élites ?

En investissant dans l’éducation, le pays s’est doté de ressources humaines qualifiées. Reste à leur trouver des débouchés.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Universitaire agrégé en droit public et sciences politiques, Sadok Chaabane est ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique depuis 1999. Les deux années précédant sa nomination, il dirigeait l’Institut d’études stratégiques de Tunis. Une expérience qui l’a sans doute aidé à mettre en oeuvre une stratégie nationale susceptible de permettre au système universitaire de répondre aux exigences de la « nouvelle économie » à partir de 2010.
Depuis son indépendance il y a près d’un demi-siècle, le pays investit massivement dans la modernisation de son système éducatif. Les autorités lui consacrent en moyenne un quart du budget annuel de l’État et 6 % du Produit intérieur brut (PIB). Résultat : la Tunisie dispose désormais d’une richesse immatérielle irremplaçable et inépuisable, ses « ressources humaines ».
Le taux d’inscription à l’université pour la tranche d’âge comprise entre 19 et 24 ans est passé de 6 % en 1987 à 31 % en 2004. Plus de 300 000 étudiants fréquentent la faculté cette année. En 2010, ce taux d’inscription atteindra 50 %, soit plus que la moyenne enregistrée dans les pays de l’OCDE en 2002, qui est de 40 %.
En 2003, les pouvoirs publics ont élaboré une stratégie de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie à mettre en oeuvre jusqu’à l’horizon 2010. Objectif : faciliter l’accès aux nouvelles technologies et offrir des débouchés aux nouveaux diplômés.
Cette stratégie, intitulée « Le savoir, une ambition pour l’avenir », repose sur plusieurs objectifs pour rejoindre les rangs des pays les plus développés, notamment :
– Faire de l’emploi des diplômés la première priorité en les préparant à l’évolution du monde du travail et à une économie mondialisée ;
– Veiller à la rénovation des méthodes pédagogiques ;
– Cibler la production scientifique selon les priorités de l’économie et les attentes de la société ;
– Assurer la pérennité du financement en encourageant les investissements privés. Pour y parvenir, les autorités ont multiplié les filières d’enseignement avec une place privilégiée pour la technologie et les nouveaux métiers dans le domaine des services. Il n’y avait que 99 filières référencées dans les universités tunisiennes en 1999. Elles sont passées à 902 à la fin d’avril 2004.
« La mise en oeuvre de cette stratégie a changé la mentalité de l’administration et des universitaires eux-mêmes, note Chaabane. Nous avons été forcés d’adopter une démarche consistant à partir des offres disponibles sur le marché du travail pour créer les modules d’enseignement. » L’accent est mis sur les filières à fort « taux d’emploi » comme l’informatique et les télécommunications.
Quelque 30 565 étudiants suivent une formation dans ces domaines au cours du cursus 2003-2004, soit 10,5 % du total des inscrits. À titre de comparaison, ce taux était de 2,28 % en Allemagne en 2001, de 2,33 % en Espagne, et de 1,83 % en Belgique.
En général, les étudiants qui obtiennent leurs diplômes dans ces filières n’ont pas trop de difficultés à trouver un emploi à la sortie. Et peuvent même, pour les meilleurs, viser un expatriation dans les pays occidentaux.
Les formations scientifiques plus traditionnelles accueillent également de nombreux étudiants. Le taux d’inscrits est respectivement de 6,8 % dans l’ingénierie et les techniques apparentées en 2003-2004, et de 3,6 % dans les mathématiques et statistiques.
L’enseignement universitaire n’est toutefois pas la panacée puisque les entreprises cherchent de plus en plus de candidats ayant suivi des cycles courts de formation professionnelle, surtout en matière de technologies. La durée de ces cycles d’enseignement est de six semestres comprenant des périodes de stages. En Tunisie, seulement 16 % du total des effectifs post-baccalauréat étaient orientés vers ces filières courtes en 1999. Ce taux est de 38 % en 2003-2004 et sera de 40 % en 2006-2007.
La réforme du système d’enseignement supérieur a également pour objectif de donner plus d’autonomie aux universités dans la création des filières pour répondre aux besoins actuels et d’offrir davantage de flexibilité aux futurs diplômés dans la diversification de leurs profils. Pour cela, l’éducation nationale a de plus en plus recours à des non-universitaires pour assurer des enseignements non académiques (qui comptent 20 % des effectifs actuels).
La flexibilité de l’enseignement est basée sur la règle des « trois tiers ». Le premier est le tiers commun (modules d’enseignement de base) ; le deuxième est destiné à permettre à l’institution de se spécialiser dans un créneau du marché et à établir son originalité pédagogique, généralement en liaison avec le monde des entreprises de la région. Le troisième tiers, dit optionnel, permet à l’étudiant de choisir les modules qui correspondent le mieux à son profil et à sa vocation. Ces modules peuvent être suivis dans d’autres universités publiques ou privées et sont capitalisables.
Enfin, les pouvoirs publics ont entrepris – révolution importante – d’introduire la culture d’entreprise dans le système universitaire. La maîtrise de la technologie est doublée de compétences de management et de gestion. Quelque 20,8 % des effectifs étudiants sont inscrits en 2003-2004 dans les filières de gestion. Mais les autorités souhaitent proposer aux étudiants des autres filières d’acquérir un minimum de compétences dans ce domaine. « On apprendra dorénavant aux élèves à gérer une entreprise, même à ceux qui étudient l’histoire, souligne Chaabane. Tout étudiant se doit de consacrer son projet de fin d’études à un thème ayant un lien avec la création d’une société. » Actuellement, les jeunes diplômés attendent que le marché du travail leur procure un emploi. Désormais, l’étudiant qui a une idée de projet en tête bénéficiera d’un système de financement à taux réduit pour réaliser son projet professionnel. Quelque 56 000 diplômés se retrouveront dans la vie active en 2005. « Si on réussit à concrétiser 5 % à 10 % de leurs idées de projet, ce sera déjà très bien », considère Sadok Chaabane.

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