Pas touche à Pierre Falcone

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

José Eduardo Dos Santos est furieux contre le gouvernement français et le fait savoir. Depuis le 22 février dernier, Guy Azaïs, le nouvel ambassadeur de France à Luanda, attend en vain son accréditation. Une situation humiliante. Et la récente visite à Luanda de Michel de Bonnecorse, le conseiller Afrique de Jacques Chirac, n’y a rien changé. À l’origine de la colère du président angolais, la traque de Pierre Falcone par la justice française. Poursuivi pour « commerce d’armes illicite et trafic d’influence », l’homme d’affaires avait déjà fait un an de prison en 2001. Mais quand le juge français Philippe Courroye a délivré contre lui un mandat d’arrêt international, le 15 janvier dernier, José Eduardo Dos Santos a vu rouge.
Entre le chef d’État africain et le négociant français, la relation est fusionnelle depuis 1993. Cette année-là, le président angolais est dans une situation militaire critique. Face au rebelle Jonas Savimbi, il a besoin d’armes, très vite. Les États-Unis et la France ne veulent pas lui en vendre. Un jeune homme d’affaires parisien, Pierre Falcone, vient le voir au culot. Avec l’aide d’un associé israélien d’origine russe, Arcadi Gaydamak, il s’engage à lui trouver des chars et des hélicoptères sur le marché ex-soviétique. La chance de Pierre Falcone, c’est d’être introduit par Jean-Christophe Mitterrand, l’ex-conseiller Afrique de son père, et d’être couvert par Charles Pasqua, le nouveau ministre français de l’Intérieur. Une double allégeance. À gauche et à droite.
Au fil des ans, José Eduardo Dos Santos fait du petit Français son homme de confiance. C’est à lui qu’il confie le difficile règlement de la dette angolaise à l’égard de la Russie. Surtout, c’est grâce à lui qu’il se procure en 2000, auprès de la société française Communication & Systèmes, la machine à tuer Jonas Savimbi : un système de localisation par téléphone installé à bord d’avions spéciaux. Deux ans plus tard, le chef rebelle est trahi par son téléphone satellite. Il est encerclé et tué.
À Luanda, la consigne est claire : « On ne touche pas à Falcone. » En septembre 1998, quand le fisc français commence à s’intéresser au négociant, le chef de l’État angolais intervient auprès du ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine. En avril 2001, après l’incarcération de son protégé, José Eduardo Dos Santos écrit à Jacques Chirac : « M. Falcone est un grand ami de l’Angola. […] Il est indispensable que l’État français retire les plaintes qu’il a déposées aussi bien pour fraude fiscale que pour vente illicite d’armes. » Le président français répond, embarrassé : « Votre témoignage et vos appréciations ont été aussitôt communiquées au ministère français de la Justice. Vous devez y voir mon souci de faire en sorte que, au-delà des perturbations du moment, nos relations se renforcent, dans l’intérêt mutuel de nos deux pays. » Pas facile pour Chirac de gérer à la fois un gouvernement de gauche et un juge jaloux de son indépendance !
En novembre 2001, le président angolais fait mieux encore. Pour la libération de son conseiller très spécial, il paie la caution record de 10 millions d’euros via la compagnie pétrolière nationale Sonangol. Et, en septembre 2003 – coup de maître -, il le nomme ministre plénipotentiaire auprès de l’Unesco à Paris. Passeport diplomatique en poche, Pierre Falcone devient enfin intouchable. L’Élysée ne s’est pas opposé à l’opération. Bien au contraire. Là aussi on pousse un gros soupir de soulagement.
Mais le répit n’est que de courte durée. Pour le très obstiné juge Courroye, l’immunité diplomatique se limite aux seuls actes accomplis dans le cadre des fonctions à l’Unesco. Pierre Falcone doit jouer au chat et à la souris avec le magistrat français. Certes il voyage. Basé à Luanda, il se rend à Genève, à Londres, à Madrid. Il n’est inquiété qu’une seule fois. Le 5 mai à l’aéroport de Lisbonne, il est interpellé quelques heures avant d’être relâché. Son passeport diplomatique le protège contre le mandat d’arrêt. Mais il veut plus. Une vraie liberté de mouvement, et un visa pour les États-Unis où vit son épouse, Sonia, une ex-reine de beauté bolivienne. Sans doute sait-il que, un jour où l’autre, il faudra bien qu’il revoie « son » juge. Jusqu’à présent, José Eduardo Dos Santos a réussi à le soustraire aux griffes du magistrat. Mais en Angola comme ailleurs les régimes ne sont pas éternels.

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