Obasanjo entre en jeu

Première mission difficile pour le « monsieur Paix et Sécurité » de l’Union africaine : prévenir une nouvelle guerre dans la région des Grands Lacs.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Elu le 25 mai à la présidence du Conseil pour la paix et la sécurité de l’Union africaine (UA), Olusegun Obasanjo commence sa mission par un dossier pour le moins délicat. Alors que les bruits de bottes se font de plus en plus insistants dans la région des Grands Lacs, le chef de l’État nigérian a entamé, le 25 juin, une médiation entre le Rwanda et la RD Congo. Un véritable baptême du feu pour cette nouvelle institution en quête de crédibilité.
Réunis pour un minisommet à Abuja, le chef de l’État rwandais Paul Kagamé et son homologue congolais Joseph Kabila ont évoqué durant plusieurs heures le contentieux qui les oppose. Kinshasa accuse Kigali d’avoir soutenu des soldats dissidents dans la province du Sud-Kivu ces dernières semaines. En réponse à ces accusations, le Rwanda a fermé sa frontière avec la RDC depuis le 6 juin.
Avant ces « pourparlers de paix », Kinshasa a été, du 18 au 24 juin, le théâtre d’un ballet diplomatique ininterrompu. Le 22, le président Kabila a reçu successivement le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires africaines, Donald Yamamoto, et le secrétaire d’État britannique aux Affaires africaines, Chris Mullin. Quarante-huit heures après leur séjour kinois, les deux hommes se sont retrouvés à Kigali pour prêcher l’apaisement auprès du président Paul Kagamé. Entretemps, Javier Solana, le haut représentant de l’Union européenne (UE) pour la politique étrangère, s’est entretenu au téléphone avec Joseph Kabila alors que le Conseil de sécurité de l’ONU appelait toutes les parties congolaises, mais aussi le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, à coopérer et à soutenir la transition en cours en RDC.
Côté africain, le président Obasanjo, de retour de Zambie, a effectué, le 18 juin, une courte escale à l’aéroport de Kinshasa pour rencontrer le président Kabila : « Je suis un grand frère qui est venu soutenir son petit frère par rapport à la situation que traverse son pays », avait alors déclaré Obasanjo à l’issue d’un entretien avec son homologue. Refusant de prendre parti, le chef de l’État nigérian a préféré se poser « en médiateur ». L’idée d’une conciliation nigériane a été soutenue à la fois par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et par le président sud-africain, Thabo Mbeki.
Alors que la communauté internationale tentait de calmer le jeu, la diplomatie congolaise, elle, s’est employée à couper les officiers dissidents – le général Laurent Nkunda et le colonel Jules Mutebusi – de toute aide rwandaise pour mieux les neutraliser. Munis de « photos de camions et de pirogues transportant des armes du Rwanda à Goma puis à Bukavu », les émissaires congolais ont sillonné plusieurs capitales pour obtenir des « rappels à la neutralité et à la non-ingérence » en direction de Kigali. Le ministre des Affaires étrangères, Antoine Ghonda, s’est rendu mi-juin à Londres, à Paris et à Bruxelles. Ambassadeur itinérant du chef de l’État, Léonard She Okitundu a porté des messages personnels de Joseph Kabila à Libreville, à l’occasion du sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) des 10 et 11 juin. Et s’est rendu à Paris, à Bruxelles, à Berlin, à Londres, mais aussi auprès de l’UE. Autre messager présidentiel, Augustin Katumba Mwanke a séjourné à Pretoria et à Maputo pour « sensibiliser » Thabo Mbeki, parrain de l’accord de paix rwando-congolais de Pretoria du 30 juillet 2002, et Joaquim Chissano, président en exercice de l’UA.
Simultanément, le régime de transition a commencé à marquer des points sur le terrain, en provoquant, le 21 juin, la fuite vers le Rwanda des troupes de Mutebusi. Délogés de Kamanyola, au Sud-Kivu, le colonel insurgé et quelque trois cents hommes se sont vu accorder, après avoir été désarmés, le statut de « réfugiés de guerre » par Kigali. La reprise de Kamanyola est intervenue quelques jours après la « libération » de la ville de Bukavu, le 9 juin, tombée sept jours plus tôt entre les mains de Laurent Nkunda, autre officier dissident du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), ex-mouvement rebelle participant depuis le 30 juin 2003 au processus de transition congolais.
Pour venir à bout des « dissidents », Kinshasa a employer les grands moyens. Après avoir sonné la mobilisation générale, le président Kabila a personnellement veillé à l’acheminement de neuf mille hommes sur la ligne de front. De source proche de la présidence, le major-général a participé depuis son palais à la direction des opérations, en communiquant régulièrement par téléphone satellite avec le général Mbudja Mabe.
Les troupes congolaises ont également pu compter sur l’appui des soldats de la Mission de l’Organisation des Nations unies en RDC (Monuc). À Kamanyola, les roquettes tirées sur les « insurgés » par la force onusienne à partir d’un hélicoptère Mi-25 ont permis aux soldats loyalistes de gagner du terrain. Décriée par le passé pour sa passivité devant les massacres de civils congolais, la Monuc, cette fois, a mis en oeuvre le chapitre VII de la Charte de l’ONU. La mission onusienne a sans doute été échaudée par la manifestation des étudiants kinois qui, le 3 juin, ont pris à parti son personnel, lui reprochant de « prendre du bon temps à Kinshasa au lieu d’aller sauver des vies à Bukavu ».
Si elle a été décisive, l’intervention de la Monuc n’a pas, loin s’en faut, mis fin à l’insécurité dans la partie est de la RDC. Kinshasa est convaincu que de nouvelles tentatives de déstabilisation sont susceptibles de se reproduire à tout moment. Ce n’est, en effet, pas un hasard si des insurrections armées ont éclaté à la veille de la prise de fonctions des nouveaux gouverneurs de province, nommés après quatre longs mois de discussions laborieuses entre les acteurs de la transition. Protagoniste des accords de paix de Pretoria et de Sun City, Léonard She Okitundu estime que les officiers dissidents du RCD « n’ont fait que jouer leur partition dans la stratégie globale de leur mouvement. Celui-ci ne veut pas d’un retour de l’autorité de l’État dans la partie est du pays, où des seigneurs de guerre sont encore gouverneurs de fait. Ils règnent sur le coltan, le bois, les mines d’or de Kilomoto, le diamant du Sankuru, et prélèvent chaque mois des impôts estimés à 7 millions de dollars pour la seule ville de Goma. »
Est-ce pour conserver le contrôle de ce pactole qu’Azarias Ruberwa, vice-président de la République et numéro un du RCD, s’est démarqué de la condamnation unanime par la classe politique congolaise des attaques de Bukavu et de Kamanyola ? De source proche de la présidence, « les rapports entre Kabila et Ruberwa se sont gravement détériorés depuis les derniers affrontements au Sud-Kivu. Le chef de l’État, qui se trouvait à Bujumbura le 26 mai quand éclataient les combats à Bukavu, s’est senti trahi par son vice-président chargé de la Défense et de la Sécurité. Kabila n’a d’ailleurs pas manqué de le lui faire remarquer dès son retour ».
Au-delà du RCD, le Rwanda, son parrain supposé, semble aujourd’hui plus que jamais en froid avec Kinshasa. Après une timide amorce de dialogue, les deux pays ont bel et bien frôlé la guerre au début du mois. À l’intervention du numéro un congolais dénonçant une agression rwandaise par Nkunda interposé, Paul Kagamé a pris toutes les mesures nécessaires pour se prémunir contre une attaque de son voisin, qui concentrait des milliers d’hommes le long de la frontière.
En donnant cette fois la priorité à l’option diplomatique, les chefs d’État rwandais et congolais semblent afficher une intention commune d’isoler les « insurgés ». Mais deux raisons au moins laissent sceptique sur le retour du calme dans le Kivu. D’abord, la position du général Nkunda (replié avec quelques hommes à Goma via Uvira, selon des sources diplomatiques à Kinshasa), dont on redoute une nouvelle offensive. Ensuite, la vive tension qui persiste à la frontière entre la RDC et le Rwanda, où les deux armées en état d’alerte maximale restent massées.
Le seul espoir de voir enfin la détente s’amorcer est venu de Joseph Kabila. Juste avant la rencontre d’Abuja, le président congolais s’est engagé à utiliser les troupes rassemblées dans l’est de la RDC pour désarmer et renvoyer dans leur pays les rebelles hutus rwandais accusés du génocide de 1994. Ce que réclame systématiquement Kigali depuis dix ans.

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