Lionel Abrahams
L’écrivain sud-africain est décédé le 30 mai à Johannesburg.
Lionel Abrahams, né le 11 avril 1928 et disparu le 30 mai 2004 à Johannesburg à l’âge de 76 ans, fut l’une des figures les plus influentes de la littérature sud-africaine. En marge d’une oeuvre poétique considérable mais très critiquée pour son indépendance, Abrahams a su détecter et éditer nombre de jeunes auteurs noirs.
Il publie son premier recueil, Thresholds of Tolerance, en 1975. Après neuf années de travail et de recherche analytique paraissent le Journal of a New Man en 1984, The Writer in Sand en 1988. En 1995, après sept ans de réflexion, A Dead Tree Full of Live Birds fait d’Abrahams le maître d’une forme poétique nouvelle entrelaçant expériences personnelles et bouleversements politiques en une trame lyrique contemplative et distanciée. Il réussit ce tour de force de rendre son écriture poétique plus subversive encore que celle des tenants de la contestation en soutenant que la qualité de la littérature est plus importante que le contenu politique que certains poètes anti-apartheid voudraient y glisser. En souriant, il décrivait son travail comme « juste plus subtil que le plus (subtil) ».
Combattant « pied à pied » les tenants de la poésie officielle, il dénonce très tôt le danger de la mainmise de la politique sur l’art et les relations troubles qu’entretient le pouvoir avec les créateurs dans les années 1980 en Afrique du Sud. En cela il annonce l’appel lancé par Albie Sachs(*), qui propose que la culture soit une arme contre la pression du politique.
« Le politique commence en nous », scandait Abrahams. Slogan repris par ses adversaires pour pointer un individualisme faisant fi du groupe, une position « libérale » quand il s’agissait pour ses détracteurs de regrouper les forces des intellectuels en sections de combat.
Né dans une famille d’immigrants juifs lituaniens, Abrahams est un miracle vivant. Une paralysie méningée le cloue sur une chaise roulante jusqu’à ce que sa mère l’emmène à 11 ans chez un rebouteux qui l’allonge sur une table de cuisine, tortille un peu ses jambes et lui ordonne : « Lève-toi et marche pour Jésus ! » Ce qu’il fit instantanément et pendant cinquante-cinq ans.
Les dix-huit nouvelles de The Celibacy of Felix Greenspan (1977), qui décrivent avec candeur et émotion les premières expériences intellectuelles et sexuelles d’un jeune garçon atteint du même handicap que lui, seront suivies, vingt-cinq ans plus tard, de The White Life of Felix Greenspan (2002). Ces deux ouvrages brossent un tableau décapant de la vie artistique de Johannesburg sur plus de cinquante ans.
Au-delà de sa propre écriture, Abrahams inspira de nombreuses vocations. Tant à travers la poésie qu’il aimait et pour laquelle il fonda une maison d’édition avec Robert and Eva Royston en 1970, que dans les ateliers d’écriture qu’il animait. Même si aucun écrivain « sérieux » ne sortit de ses laboratoires, tous les auteurs sud-africains de talent passèrent un jour chez lui pour y recevoir encouragements et critiques.
On doit à Abrahams, élève puis éditeur de l’oeuvre en langue anglaise de Herman Charles Bosman, la chance de pouvoir lire encore cet auteur satirique et ironique dans la même veine que William Plomer, Roy Campbell, Bloke Modisane ou Lewis Nkosi. L’édition posthume de Bosman donne une idée de la position d’Abrahams dans la société sud-africaine. En se plaçant résolument à l’extérieur du sujet politique, et avec la grande efficacité que produisent humour et causticité, l’écrivain ou l’artiste peuvent démonter tous les rouages de l’apartheid comme système d’oppression inique. Abrahams garde en tête que, à tout moment, pour avoir attaqué trop frontalement le pouvoir en place, philosophes, artistes ou écrivains sont expulsés, assignés à résidence ou emprisonnés.
Son engagement personnel contre le régime de l’apartheid, s’il ne se traduit pas toujours dans ses ouvrages, lui valant une réputation de « gourou malveillant » pour les intellectuels de la gauche sud-africaine, trouve sa place dans sa critique décalée des moeurs de son temps et par le soutien qu’il a apporté sans relâche à tous les créateurs qui frappaient à sa porte. Ses souffles ont cessé de ravir l’Afrique du Sud quand il s’est éteint dans sa chaise roulante, entouré de son épouse, Jane Fox, d’une nuée d’enfants, de petits-enfants, d’amis, d’artistes, d’écrivains, de chiens et de chats, bordé de livres, en paix, sur les hauteurs de Jo’burg.
* Albie Sachs (1935). Avocat et activiste célèbre de l’ANC, en avril 1988, au Mozambique, il a perdu un bras et un il dans un attentat à la voiture piégée, organisé par les services secrets sud-africains.
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