La ruée vers l’or noir
Deuxième consommateur et importateur mondial de pétrole, Pékin cherche de nouvelles sources d’approvisionnement. Notamment en Afrique.
En 2002, la Chine a importé 70 millions de tonnes de pétrole, contre 9,88 millions en 1993, ce qui représente une croissance annuelle de 25 %. Pékin aura besoin, en 2010, selon les estimations faites par le gouvernement, de 380 millions à 400 millions de t de pétrole. Selon les recherches des institutions internationales sur l’énergie, la dépendance de la Chine vis-à-vis du marché international était de 6,4 % en 1993, de 7,5 % en 1995, pour atteindre 31 % en 2002. À ce rythme, quand la Chine aura besoin de plus de 450 millions de t de pétrole international en 2020, la dépendance atteindra 60 %, un niveau très dangereux.
Le douloureux passage du statut de pays exportateur de pétrole à celui d’importateur en 1993, puis à celui de deuxième consommateur et importateur mondial depuis l’an dernier, a suscité un grand débat en Chine sur la sécurité énergétique. La flambée des prix sur le marché international a accéléré les études sur les mesures à prendre. Rédigé par les experts de l’Institut des questions internationales et l’Institut des recherches sur l’énergie du Comité national des réformes pour le développement, un rapport intitulé « Le Plan du pétrole de la Chine à moyen et à long terme » est en train de circuler entre les mains des hauts dirigeants du pays. Ce document est le résultat d’une réunion sur l’énergie présidée par le Premier ministre Wen Jibao en juin 2003. Les auteurs analysent l’état de la situation énergétique du pays et proposent au gouvernement de diversifier ses sources d’approvisionnement, et surtout d’« aller dans le monde entier pour couvrir ses besoins et garantir au pays suffisamment de pétrole pour assurer son développement économique ». Parmi les cibles privilégiées : l’Afrique. Ce qui signifie que la Chine commence, elle aussi, à se tourner vers cette zone, qui disposerait d’importantes réserves inexploitées.
Depuis plus de vingt ans, la Chine avance à pas de géant sur le chemin du développement économique, mais sans jamais se soucier d’une pénurie, ni même d’un manque possible de pétrole. L’autosuffisance a été une doctrine dominante pendant quarante ans (1949-1989). Mais au fur et à mesure que l’économie s’intégrait dans l’échiquier mondial, cette doctrine a été progressivement abandonnée. Surtout au plan énergétique. Le premier coup dur frappa le pays en 1993 : la production nationale de pétrole n’arrivait plus à satisfaire les besoins du développement, surtout en raison de la forte croissance industrielle (plus de 18 % en 2003).
La Chine a produit, en 1990, 138 millions de t de pétrole pour des besoins de 115 millions de t. En 2002, elle a consommé au total 239,9 millions de t, tandis que la production nationale n’était que de 167,5 millions de t. La croissance annuelle de la consommation de pétrole, de l’ordre de 6,7 %, dépasse donc largement le taux de croissance de sa production (1,62 %). La Chine est donc condamnée à importer du pétrole pour combler le trou.
Plus grave : Pékin n’a même pas constitué de stock stratégique et accuse déjà, en la matière, trente ans de retard sur les autres grandes puissances. Selon une source anonyme, la réserve de pétrole contrôlée par le gouvernement ne pourrait assurer qu’une semaine de consommation, et les autres stocks commerciaux non gouvernementaux pas plus d’une autre semaine. Conséquence : la Chine aura de graves problèmes d’approvisionnement en cas de dégradation de la situation internationale. Une rupture brutale serait même catastrophique pour l’économie du pays et pourrait aussi avoir de graves conséquences politiques, sociales, voire militaires.
Aujourd’hui, les importation chinoises de pétrole proviennent essentiellement du Moyen-Orient (plus de 60 %). L’Afrique occupe la deuxième place avec 20 %, suivie par l’Asie centrale (14 %) et l’Europe (6 %). Le Moyen-Orient étant devenu une zone particulièrement instable, la Chine est très inquiète de son approvisionnement en pétrole « arabe ». Et, selon certains analystes chinois, cette zone à haut risque aura encore plus de problèmes en cas d’application effective du projet américain de « Grand Moyen-Orient » pour démocratiser les pays arabo-musulmans. Par ailleurs, Pékin n’a pratiquement pas pu s’implanter dans cette région en dehors d’achats purs et simples de pétrole. Après de longues années de dures négociations, la Chine n’a obtenu, en mai dernier, qu’un premier permis de prospection… de gaz en Arabie saoudite. Dans ces conditions, Pékin ne peut que se tourner vers d’autres horizons.
La situation en Russie et en Asie centrale ne porte pas à l’optimisme non plus. Malgré des percées importantes des géants pétroliers chinois – la CNPC (China National Petroleum Corporation) ou la Sinopec (China Petrochemical Corp.) -, les négociations continuent à piétiner, notamment sur l’investissement par Pékin de 2,5 milliards de dollars pour la construction d’un oléoduc entre la Chine et la Russie, ou sur l’achat d’une société pétrolière russe. Dans un jeu géopolitique surtout influencé par les États-Unis et le Japon, lequel serait bien placé pour remporter le contrat de l’oléoduc, la Chine n’est pas sûre que la Russie et les pays de l’Asie centrale pourront lui garantir des approvisionnements à long terme. En outre, dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, elle est confrontée à une concurrence très rude. Les Américains, les Européens et surtout les Japonais ont déjà « débarqué » sur les côtes du golfe de Guinée.
Les experts chinois ne sont que plus fondés à estimer dans leur rapport que l’essentiel de la stratégie énergétique de leur pays doit résider dans la diversification de ses sources d’approvisionnement en pétrole tout en maintenant un lien plus étroit avec le Moyen-Orient. L’un des experts chinois les plus connus et coauteur du rapport, Xia Yishan, chercheur à l’Institut des questions internationales, est on ne peut plus clair : la Chine doit inclure l’Afrique dans sa conception stratégique globale. Pour Pékin, le continent est non seulement une source d’importation sûre, mais aussi un partenaire en matière de prospection et d’exploitation pétrolifères. Dans ces deux domaines, Xia Yishan estime que l’Afrique doit occuper une place plus importante dans la stratégie pétrolière de la Chine.
Il faut souligner que du point de vue de l’investissement direct dans la région pour la prospection et l’exploitation, puis l’obtention d’une part de production destinée à être importée en Chine, l’Afrique est déjà la plus grande base. Depuis 1995, la CNPC est implantée au Soudan pour la prospection et l’exploitation. Aujourd’hui, un système industriel très complet, de l’exploration jusqu’au raffinage, est construit sur place. En 2003, la Chine a obtenu de Khartoum sa part du pétrole, plus de 10 millions de t. Le Soudan est ainsi devenu le premier pays dans lequel la Chine est réellement implantée.
Détail d’importance : chaque fois que le prix du pétrole augmente de 5 dollars par baril, la Chine doit dépenser plus de 10 millions de dollars par jour pour ses importations. C’est pourquoi l’investissement dans les exploitations pétrolières pour obtenir des parts de production est si important. Cela permet à la Chine de ne plus dépendre des prix du marché. L’Afrique est pour le moment le seul endroit où Pékin a la possibilité de développer rapidement ses implantations. C’est d’ailleurs un autre pays africain, l’Angola, qui est son premier fournisseur de pétrole, dépassant depuis peu l’Arabie saoudite.
Pékin ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : il envisage de renforcer sa coopération avec d’autres pays africains, surtout dans le golfe de Guinée, comme le Gabon, par exemple. Il espère ainsi augmenter ses implantations dans la région et donc accroître sa part de pétrole. Son objectif est de l’ordre de 50 millions de t par an, soit l’équivalent de la production totale de la plus grande exploitation pétrolière chinoise à Daqing.
Pour la Chine, l’Afrique présente des avantages que les autres continents n’ont pas. D’abord, elle peut devenir la deuxième plus grande réserve de pétrole du monde. Ensuite, l’augmentation prévue de la production africaine, de 68 % d’ici à 2020, correspond bien à la hausse prévisible de la consommation de la Chine d’ici là. Et puis, atout non négligeable, l’or noir africain est de bonne qualité. Enfin, l’Afrique a globalement de très bonnes relations avec la Chine, héritage de Mao Zedong et de Zhou Enlai, que Pékin entend bien continuer de faire fructifier. Le président du Gabon, Omar Bongo Ondimba, a évoqué le souvenir de l’amitié qui le liait à ces deux grands dirigeants avec son homologue chinois, le président Hu Jintao, lors de la visite d’État de ce dernier à Libreville. Pékin mène, du reste, une politique très active en Afrique, qui occupe une place de plus en plus importante dans la diplomatie chinoise. En témoignent les récentes visites du Premier ministre, puis du chef de l’État chinois sur le continent. Au début de l’année 2004, le président Hu Jintao s’est rendu dans trois pays africains : le Gabon, l’Algérie et l’Égypte. Au menu de ses entretiens : le renforcement des liens dans les domaines de la coopération énergétique. Au terme de cette tournée, la Chine a signé une série de protocoles d’accord et des contrats pour la prospection et l’exploitation de pétrole. Le 29 mai, le ministre gabonais de l’Énergie a reçu une délégation chinoise pour signer un protocole d’accord pour renforcer la coopération énergétique entre les deux pays. Au début de juin, la Sinopec a signé avec le Nigeria, premier producteur africain de pétrole, un contrat portant sur un projet d’investissement de 500 millions de dollars pour une prospection et une exploitation offshore. Les deux pays sont aussi tombés d’accord pour l’achat par la Chine de 70 000 barils par jour à partir de juillet 2004.
Certains experts chinois pensent que les importations de pétrole en provenance du Moyen-Orient pourraient atteindre, en 2020, 80 % du total, ce qui serait évidemment très dangereux pour la sécurité énergétique du pays. Xia Yishan propose donc de porter la part des importations africaines de 20 % à 30 % d’ici à quelques années. Il invite aussi la Chine à investir et à participer directement aux prospections et aux exploitations pétrolifères effectuées dans le golfe de Guinée et dans d’autres pays africains. Le rapport mentionne aussi la nécessité d’établir un stock stratégique de 60 jours d’importations en 2010, soit 60 millions de t de pétrole, tandis que les États-Unis disposent, depuis les années 1970, d’un stock stratégique de 90 jours, soit 100 millions de tonnes (le Japon, lui, de 160 jours). L’objectif fixé par Xia Yishan est très difficile à atteindre. Le pays n’a qu’une histoire très récente dans le domaine du pétrole et a encore beaucoup à apprendre avant de devenir un concurrent sérieux des Américains et des Japonais. Mais le temps presse. On peut donc s’attendre à une offensive de grande ampleur en direction de l’Afrique dans les années à venir.
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