Konaré émissaire de la paix

À Khartoum, au Darfour, dans les camps de réfugiés au Tchad… Le président de la Commission de l’Union africaine s’évertue à nouer un dialogue.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

« La paix au Soudan et la stabilité de toute la sous-région passent par la résolution du conflit au Darfour », a déclaré Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine (UA). En visite de médiation les 20 et 21 juin à Khartoum et dans la région ouest du pays, toujours ravagée par la guerre, il a rencontré à deux reprises le président soudanais Omar el-Béchir pour discuter en tête à tête de la situation. Alpha Oumar Konaré était accompagné d’une délégation de représentants des principales agences humanitaires des Nations unies, ainsi que de Mamadou Kane, représentant spécial du secrétaire général Kofi Annan, de l’ancien Premier ministre du Niger Hamid Algabid, qu’il vient de nommer envoyé spécial de l’UA au Darfour, et de Mame Balla Sy, ambassadeur du Sénégal auprès de l’UA et président du Conseil de paix et de sécurité pour le mois de juin.
À la suite du cessez-le-feu signé à N’Djamena le 8 avril, une mission d’observateurs de l’UA est en train de se mettre en place au Darfour. Elle sera protégée par un petit contingent multinational. Le tout est placé sous l’autorité du général nigérian Festus Okonkwo, rappelé tout spécialement de son affectation au Liberia par le président Konaré. À terme, ce sont cent vingt personnes qui seront installées à el-Fasher, capitale du Nord-Darfour, et trente autres dans diverses localités comme Nyalla ou el-Geneina. À leur disposition, des véhicules, trois hélicoptères et deux avions. Le budget total de cette mission a été estimé à 26 millions de dollars par an, dont la moitié est d’ores et déjà fournie par l’Union européenne. La Grande-Bretagne a débloqué 6,4 millions de dollars, et les États-Unis ont promis 3 millions, en sus de la construction d’un camp pour loger les soldats. Le reste de l’argent proviendra de l’UA et des différents accords de coopération bilatérale, notamment avec la France et l’Irlande. Le secrétaire d’État francais aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, également en visite au Soudan, a d’ailleurs brièvement rencontré la délégation de l’UA et son président, le 21 juin à el-Geneina.
Alpha Oumar Konaré lui a confirmé sa volonté d’investir des moyens pour résoudre la crise et éviter qu’elle ne se propage. Déjà des incidents se sont produits au Tchad, où 110 000 personnes sont actuellement prises en charge par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui estime par ailleurs qu’il y en aurait encore plus du double errant dans la zone frontalière.
Passant du côté tchadien en hélicoptère, Konaré a pu visiter le camp de Farchana et rencontrer, à cette occasion, le ministre tchadien des Affaires étrangères, Nagoum Yamassoum, qui lui a fait part de la préoccupation du président Idriss Déby. Des liens étroits, en partie familiaux, unissent ce dernier aux habitants du Darfour. C’est de cette région qu’il est lui-même parti pour N’Djamena, lors de sa conquête du pouvoir en décembre 1990. À cette époque, Omar el-Béchir venait d’arriver à la tête de l’État soudanais et l’avait épaulé ; les deux hommes en ont gardé d’excellentes relations. Déby sait le risque de déstabilisation que lui ferait courir une extension du conflit aux populations tchadiennes de la région. Au moment même où son opposition intérieure multiplie les incidents violents au Nord, le président ne souhaite pas voir s’ouvrir un « second front ». Une rencontre bilatérale Konaré-Déby est prévue avant le sommet de l’Union africaine le 6 juillet prochain.
Mais l’aspect extérieur n’est pas le seul volet important du problème du Darfour. Depuis plusieurs mois, les organisation humanitaires internationales tirent la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire et nutritionnelle des populations déplacées par le conflit. Pour l’UA, il faut non seulement soulager leur détresse, mais également tout mettre en oeuvre pour qu’elles puissent rentrer dans leurs villages le plus rapidement possible. Voulant marquer d’un geste fort sa compassion, Alpha Oumar Konaré, simplement accompagné de sa garde rapprochée, a passé la nuit du 20 au 21 dans le camp de déplacés d’Abouchok, géré par la Croix-Rouge, où sont actuellement rassemblées quelque 30 000 personnes. Au matin, il a visité les lieux et écouté les doléances de déplacés, posant des questions et assurant chacun de sa détermination à trouver rapidement une solution.
Au-delà de l’aide humanitaire d’urgence, cette solution passe par un règlement pacifique et politique du conflit. Pour cela, il est décidé à rencontrer toutes les parties en présence, y compris les rebelles et les milices Djandjawids. Le 20 juin, il avait attentivement écouté le point de vue du nouveau gouverneur du Nord-Darfour, Osman Mohamed Youssouf Kibir, qui a détaillé l’origine historique du conflit entre éleveurs et agriculteurs, et incriminé la faiblesse des ressources naturelles. « Le problème n’est ni ethnique, ni racial, ni religieux », a-t-il martelé en réponse à ce qui se lit dans la presse internationale depuis février 2003, mais économique. Pour lui, les pouvoirs locaux et fédéraux ont tenté à quatorze reprises de trouver un compromis et des réponses concrètes aux revendications des Darfouriens. Et de dérouler la liste des exactions et déprédations commises par les rebelles : 28 % des écoles primaires et 14 % des collèges détruits, 30 % des antennes hospitalières mises à sac, etc. Le gouverneur a cependant passé sous silence les représailles terribles exercées par son prédecesseur sur les habitants… oubliant que son interlocuteur avait pu voir les deux hélicoptères de combat équipés de lance-roquettes stationnés sur l’aéroport d’el-Fasher.
« Tout cela n’est pas nouveau, nous avons eu la même chose au Mali », a répliqué Konaré, soulignant par là sa légitimité de médiateur et celle de son envoyé spécial le Nigérien Hamid Algabid, son pays ayant traversé des problèmes analogues. Bombarder un village pour y dénicher quinze rebelles n’a pour seul effet que de mettre trois mille personnes sur les routes de l’exil et de créer mille volontaires pour la rébellion, prêts à se venger à n’importe quel prix. « Ce que nous avons fait, à terme, c’est ouvrir la fonction publique et l’armée aux rebelles, a-t-il ajouté. C’est politiquement difficile, mais c’est une garantie pour la paix et pour la pérennité de la reconstruction. Mais avant d’y parvenir il faut absolument assurer la sécurité des populations. »
Il a tenu les mêmes propos au président Béchir, en revenant à Khartoum le 21 juin. Neutraliser les bandes armées est une priorité, mais, a expliqué Konaré, « si vos soldats interviennent, même pour des raisons légitimes, on dira quand même le lendemain qu’ils ont massacré des civils, et le mécontentement grandira ». La solution proposée par l’Union africaine est une force d’interposition interafricaine plus importante que la mission initialement prévue, afin de redonner confiance aux gens. Un projet qui n’a pas rencontré l’enthousiasme du président soudanais.
En revanche, Omar el-Béchir semble bien disposé à ouvrir des discussions sans exclusive. Il est parfaitement conscient des risques de déstabilisation, pour l’État tout entier, portés par ce conflit. En effet, les armes affluent sur son territoire. Des incidents de plus en plus violents se déclenchent dans une autre région, celle du Nil, ouvrant un début de nouveau front. Par ailleurs, l’arrivée des pluies renforce la course contre la montre : un hivernage perdu pour les agriculteurs sera synonyme d’absence de récolte, donc de famine.
Lors du sommet des chefs d’État de l’UA qui se réunit du 6 au 8 juillet à Addis-Abeba, en Éthiopie, Alpha Oumar Konaré présentera son rapport sur cette première partie de mission, et devrait annoncer un calendrier pour la suite des négociations.
Pendant ce temps, le Darfour suit son propre calendrier. On parle d’une rencontre discrète qui aurait lieu fin juin-début juillet, en Europe, entre les représentants de Khartoum et des rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), dont le leader, Khalil Ibrahim, est un ancien ministre que l’on dit toujours fidèle à l’ex-éminence grise du régime, l’islamiste Hassan el-Tourabi.

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