Iran : la bonne manière

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Il y a un pays qui pourrait épargner aux ayatollahs iraniens la poubelle de l’Histoire, c’est l’Amérique. Quels que soient ses démentis, l’Iran semble bien décidé à fabriquer des engins nucléaires et des missiles pour les envoyer à destination. Il pourrait sortir sa première bombe dans les deux ans, et enrichir assez d’uranium dans son usine de Natanz pour produire vingt-cinq bombes par an.
Les dirigeants iraniens ont échappé au châtiment pour les meurtres qu’ils ont commis. Ils ont apparemment été complices des attentats contre des marines au Liban en 1983, contre un centre juif en Argentine en 1994 et contre des casernes militaires américaines en Arabie saoudite en 1996. On peut donc comprendre facilement pourquoi le président Bush a déclaré récemment qu’« on ne pouvait pas accepter » que l’Iran continue à mettre en oeuvre son programme nucléaire, et ajouté : « Il faut y mettre le holà en passant par les Nations unies. »
Aux yeux de Bush, l’Iran représente un mélange détonant : des bombes nucléaires entre les mains d’irresponsables. Une politique plus ferme à l’égard de l’Iran n’est pas une politique partisane, et un président Kerry pourrait bien, lui aussi, se montrer favorable à une attitude plus résolue, même si elle était multilatérale.
Mais ce serait une erreur. D’abord, une telle politique serait inapplicable. Si l’Amérique soumettait le problème au Conseil de sécurité, l’Iran relancerait ses programmes (il en a déjà suspendu quelques-uns) et expulserait les inspecteurs. L’Iran ne réagirait pas à davantage de pression en renonçant à son programme nucléaire, mais en l’accélérant. Ensuite, l’Amérique provoquerait en Iran un sursaut nationaliste qui maintiendrait indéfiniment les conservateurs au pouvoir. Les sanctions américaines et la mise à l’écart ont consolidé le pouvoir des dinosaures à Cuba, en Corée du Nord et en Birmanie.
Ce que je redoute, c’est l’enchaînement suivant : pendant un an ou deux, l’Occident exerce sur l’Iran une pression plus forte, l’Iran met fin à sa coopération nucléaire et chasse les inspecteurs. Israël bombarde deux ou trois sites nucléaires iraniens (c’est une éventualité qui est sérieusement à l’étude chez les responsables de la sécurité, mais cela ne fera que ralentir les progrès de l’Iran sans les arrêter complètement). Les ayatollahs bénéficient alors d’une vague de nationalisme pour se maintenir au pouvoir et gouverner plus tyranniquement que jamais.
« Nous aimons l’Amérique, m’a déclaré un homme d’affaires, Mansour Jahanbakhsa, mais l’Iran doit être une puissance nucléaire. Nous sommes un vieux pays avec une très ancienne civilisation, et nous en sommes fiers. Pourquoi Israël aurait-il la bombe, et pas nous ? »
Une jeune femme, Maryan Nazeri, m’a dit tout le mal qu’elle pensait du régime, mais m’a affirmé qu’elle le soutiendrait dans toute polémique sur les armes nucléaires. « Nous allons en avoir, m’a-t-elle affirmé. C’est notre droit. Nous sommes iraniens : qu’espérez-vous de nous ? Vous voulez que l’Amérique soit forte, nous, nous voulons que l’Iran soit fort. » Massoud Taheri a renchéri : « Votre président nous qualifie d’État voyou et traite de haut nos cinq mille ans de civilisation : c’est insultant. Combien d’années de civilisation avez-vous ? »

L’objectif de l’Amérique devrait être un changement de régime à Téhéran. Mais si Bush (ou Kerry) harcèle trop l’Iran sur la question nucléaire l’Amérique ne se débarrassera ni du programme nucléaire ni du régime. La seule solution est de nouer des contacts avec l’Iran. Les sanctions seront encore moins efficaces contre l’Iran que contre, disons, la Corée du Nord, parce que l’Iran a son pétrole et une richesse qu’il ne doit à personne. La mise à l’écart de l’Iran par les États-Unis a donné encore moins de résultats qu’avec Cuba.
Ainsi l’Amérique doit-elle négocier un « grand marché » dans le cadre duquel l’Iran gèlera l’enrichissement de l’uranium et les États-Unis établiront des relations diplomatiques, encourageront les investissements, le tourisme et les échanges d’étudiants. « Le meilleur moyen de faire disparaître les conservateurs iraniens serait de les noyer sous un flot d’argent américain, dit Houchang Amirahmadi, le président de l’American Iranian Council. Dans quelques années, on ne parlerait plus d’eux. »
Le mot de la fin est qu’une démocratie islamique proaméricaine pourrait être un rayon d’espoir pour le Moyen-Orient – à Téhéran, pas à Bagdad. Le risque est que l’Amérique ne sache pas le faire briller.

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