Ibrahim Coulibaly : « Un dictateur est né à Bouaké »

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique/L’intelligent : Au sein de l’état-major des Forces nouvelles, certains laissent entendre qu’il y aurait une sorte de complot Gbagbo-IB-Conté …
Ibrahim Coulibaly : Je suis dépassé quand j’entends ce genre de choses. Qu’est-ce que j’ai à comploter avec Gbagbo et Conté ? Le président Conté est malade, et son pays connaît toutes sortes de problèmes. Gbagbo se débat dans sa logique de ne pas appliquer les accords de Marcoussis. Et moi, IB, je suis sous contrôle judiciaire ici, à Paris. Quel intérêt aurais-je à comploter avec eux ? Pour faire quoi, contre qui ? Soro ? Il dormait chez moi à la maison.
Qu’est-ce que j’ai à gagner dans cette histoire ? Ce sont Soro et ses amis qui font parvenir à Gbagbo des lettres pour demander pardon, pour qu’il les reprenne dans le gouvernement. Il les tient !
J.A.I. : Avez-vous joué de près ou de loin un rôle quelconque… ?
I.C. : Mais moi, je suis en France. Qu’est-ce que je peux faire avec Gbagbo, que personne ne saurait, à commencer par les Français ? Mes frères doivent s’occuper de la population qui souffre, préparer le processus électoral au lieu de dire IB a fait ci, IB a fait ça. Le problème n’est pas là. Le vrai combat, c’est la démocratie, l’égalité en Côte d’Ivoire. Mais à y regarder de plus près, on remarque que Gbagbo est chef d’État d’un côté, Soro de l’autre. Qui a envie que Marcoussis soit appliqué ? Tous les deux savent qu’ils ne seront plus crédibles devant le peuple. Pour le reste, tout le monde savait que Soro en voulait terriblement à Kass. Parce qu’il a eu le malheur de lui rappeler les objectifs de départ. Ils ont tué leur frère, qui était tout pour eux, qui les avait reçus et nourris à Bouaké. Ils l’ont décapité. Je pense qu’un nouveau dictateur vient de voir le jour. Ce qui se passe est une épuration. Tous ceux qui rappellent qu’il faut rester fidèle à la logique dans laquelle nous avons démarré depuis Ouagadougou, qui veulent instaurer une vraie démocratie permettant à tous les hommes politiques de se présenter aux élections sont aujourd’hui attaqués. Ils sont tous dans le collimateur de Soro, qui veut instaurer une dictature.
J.A.I. : Comment se fait-il que les forces d’interposition ne soient pas intervenues ?
I.C. : Je suis mal placé pour répondre. Je suis à 6 000 kilomètres. Peut-être ont-elles été surprises. Peut-être ne quadrillent-elles pas toute cette zone. La Côte d’Ivoire est vaste, les forces d’interposition ne peuvent pas être partout. Quand tout l’effectif des forces onusiennes sera en place, on arrivera à empêcher Soro et sa bande de continuer leur besogne.
J.A.I. : Tout cela ne risque-t-il pas, demain, de poser le problème des Malinkés contre les autres, notamment au sein de l’état-major de Bouaké ?
I.C. : C’est un faux problème de parler du problème malinké-koyaka-sénoufo. Nous luttons contre la xénophobie. Soro est sénoufo, je l’ai appelé auprès de moi. Je ne l’ai pas choisi pour son appartenance ethnique, mais parce que j’épousais la cause de son combat quand il était étudiant. Malheureusement, j’ai fait un mauvais choix.
J.A.I. : Est-ce que vous excluez d’essayer de le raisonner, ne serait-ce qu’au téléphone ?
I.C. : Soro et ses amis sont dans une voie de non-retour. C’est fini. Ils ne peuvent plus faire marche arrière. J’ai tout fait, j’ai tendu la main quand ils venaient en France, je leur ai envoyé des hommes. Je voulais que nous parlions, que nous fassions la paix. La division arrange Gbagbo. Mais rien n’y a fait.
J.A.I. : Guillaume Soro n’est jamais venu vous voir ?
I.C. : Jamais ! Je ne sais pas pourquoi Soro a peur de me voir, de me parler. J’ai pourtant tout fait pour lui, j’ai même enterré son père.
J.A.I. : Il vous a quand même appelé au téléphone quand votre mère est décédée, il y a deux mois ?
I.C. : Oui. Pour me présenter ses condoléances. C’est tout. Mais ma préoccupation, ce sont mes frères d’armes, surtout les jeunes combattants. Je les appelle à ne pas suivre les chefs qui leur disent qu’il y a un problème entre Soro et IB. Il n’y en a pas. Il n’y a pas de problème entre les proches de Soro et ceux d’IB. Tous sont mes proches. Soro, le premier. C’est lui qui vivait chez moi, qui a tout fait avec moi. Je demande à mes jeunes frères de ne pas écouter les chefs qui les poussent à tuer, ils le paieront cher. Il faut donner l’exemple et déposer les armes, faire comprendre aux politiciens qu’ils ont échoué et qu’il faut appliquer intégralement les accords de Marcoussis. C’est la seule porte de sortie pour la Côte d’Ivoire.
Je n’ai aucun problème avec personne. Je ne suis candidat à rien. Je ne suis à la solde de personne. Sauf de Dieu.

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