Habyarimana, l’éternelle question

Publié le 29 juin 2004 Lecture : 2 minutes.

Kigali, 7 avril 2004. Il est presque midi lorsque Paul Kagamé et ses invités s’installent dans la tribune du stade Amahoro. Commémorant le génocide qui, dix ans plus tôt, fit près de un million de morts, les officiels se succèdent au micro. Mais loin des propos convenus, l’allocution du président rwandais s’annonce explosive. Pointant du doigt la responsabilité de la communauté internationale, Kagamé n’hésite pas à désigner ceux qu’il considère comme les complices objectifs des génocidaires : « J’aimerais parler d’un pays qui, contrairement aux autres qui ont présenté leurs excuses, ne l’a toujours pas fait. J’ai nommé la France », dit-il en prononçant lentement ses mots. Renaud Muselier, le
secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, est de marbre. Sitôt la cérémonie
achevée, il écourte son séjour et regagne Paris.
Si l’incident a fait le tour du monde, il n’est pas vraiment surprenant. Quelques jours plus tôt, le chef de l’État rwandais a déjà accusé les Français d’avoir « entraîné les génocidaires » et même d’avoir « directement participé aux opérations ». Cette dégradation
des relations franco-rwandaises intervient juste après la publication le 10 mars, par le journal Le Monde, d’un document le mettant personnellement en cause. D’après un rapport de police de 220 pages établi sous la responsabilité du juge français Jean-Louis Bruguière, Kagamé aurait personnellement commandité l’attentat contre l’avion de son prédécesseur, Juvénal Habyarimana. Soutenu par quelques proches, l’actuel chef de l’État rwandais aurait même autorisé cet attentat en espérant qu’il déclenche les massacres. Le magistrat français, réputé pour sa connaissance des milieux terroristes, a enquêté six années durant à la demande de la famille de l’un des pilotes français disparus dans l’explosion de l’appareil présidentiel.
Si l’Élysée comme le Quai d’Orsay ont aussitôt démenti toute responsabilité dans la publication de ce rapport, il n’en reste pas moins que ces accusations, rendues publiques à moins d’un mois de la commémoration du génocide, étaient plutôt malvenues. D’autant que les relations entre Paris et Kigali étaient déjà assez mauvaises Le gouvernement français a beau arguer de l’indépendance de la justice, Kigali n’en croit pas un mot : « Des gens comme le juge Bruguière fuient les responsabilités françaises dans ce qui s’est passé au Rwanda, estime Kagamé. Ils essaient même de renverser les rôles et de faire porter la responsabilité du génocide aux victimes. »
Trois mois après, la procédure judiciaire française n’a pas progressé. Entretemps, le magistrat instructeur a tout de même subi un démenti notable. Ses investigations l’avaient conduit à affirmer que la boîte noire du Falcon 50 d’Habyarimana avait été oubliée pendant près de dix ans « dans un placard » au siège de l’ONU, à New York. D’après les résultats de l’enquête diligentée par le secrétaire général de l’ONU et publiés le 7 juin sur le site Internet de l’Organisation, le CRV (Cockpit Voice Recorder) conservé sous clé au Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) n’est pas
celui du jet présidentiel. Et ne peut donc pas être considéré comme une pièce à conviction dans l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires