Eloge de la « carotte »

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

La Turquie fera-t-elle un jour partie de l’Union européenne ? Elle le veut et fait ce qu’il faut pour ; c’est son intérêt, bien sûr, comme d’ailleurs celui de l’Union, et il est certain que « le dialogue des civilisations » y gagnerait beaucoup. Mais les oppositions à son entrée sont si fortes et si enracinées que nul ne peut affirmer qu’elles pourront être surmontées.
Même si elles l’étaient, la négociation en vue de l’adhésion serait longue, émaillée de contretemps, de sorte que l’admission, si elle se réalisait, ne pourrait se faire que dans une dizaine d’années, voire davantage : quinze ou vingt ans.
Cependant, l’important n’est pas là. Il réside, à mon avis, dans le fait que l’Europe a su utiliser la carotte de l’adhésion pour inciter la Turquie à se moderniser, à appliquer « les critères de Copenhague » pour se hisser en très peu d’années au niveau d’une démocratie et fonctionner sur les bases saines de l’économie de marché.
Il est aussi dans le fait que la Turquie a accepté, de son côté, d’entrer dans cette course d’obstacles, de faire l’effort sur elle-même pour les franchir un à un. Voulant la carotte, elle s’est interdit de s’arrêter en chemin et s’est trouvée encouragée en permanence à accélérer le pas.
Même si elle devait ne jamais entrer dans l’Union européenne, la Turquie a déjà gagné énormément puisqu’elle est parvenue à la modernité plus vite et plus sûrement que s’il n’y avait pas eu de carotte.

J’ai cité l’exemple turc pour son actualité, sa particularité et sa difficulté. Mais l’Europe a déjà conduit vers la démocratie, en utilisant chaque fois la carotte de l’admission, d’autres pays à peine sortis – et, à l’époque, pas encore guéris – de la dictature : la Grèce des colonels, l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar. Quant aux dix pays qu’elle vient d’admettre et aux deux ou trois qui font antichambre, n’étaient-ils pas pour la plupart, il y a encore une douzaine d’années, sous le régime politico-économique inventé par Lénine ? Et n’ont-ils pas tous embrassé la foi démocratique pour entrer dans l’Union européenne et bénéficier des avantages que ce club donne à ses membres ?

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Au fait, si la politique de la carotte donne des résultats aussi évidents que ceux que je viens d’évoquer, pourquoi les États-Unis de Bush préfèrent-ils utiliser le bâton ?
Avant même George W. Bush, au XXe siècle, l’Amérique latine et la péninsule indochinoise ont été les victimes, pour leur malheur, d’une telle option. En ce début de XXIe siècle, c’est au tour du Moyen-Orient de recevoir les coups, et les résultats sont tout aussi négatifs.
À croire que la recette qui a permis à l’Amérique de 1945 de démocratiser le Japon et l’Allemagne a été perdue.

Je reviens à l’exemple turc pour avancer une suggestion à cette Union européenne qui rassemble désormais vingt-cinq pays (plus de 450 millions d’êtres humains) et vient de se doter d’une Constitution, d’un président et d’un ministre des Affaires étrangères.
Ne peut-elle utiliser, beaucoup plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, sa fameuse carotte pour inciter, et même obliger, la centaine d’États qui bénéficient de ses largesses et entretiennent des relations privilégiées avec elle à respecter chez eux, beaucoup mieux qu’ils ne le font, les règles de la bonne gouvernance, les droits de l’homme et ceux des minorités ?
N’est-il pas temps pour elle d’élaborer, à l’intention de ces pays, dont certains sont associés à elle, des « critères » (de Bruxelles ou de Strasbourg) qui lui permettraient :
– de distinguer les élèves méritants des cancres ;
– d’aider les premiers à progresser tout en prévenant les autres qu’à ne pas évoluer ils risquent de devenir infréquentables pour l’Union et chacun de ses membres.

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