RDC : depuis sa prison, l’activiste Carbone Beni dénonce une « justice inféodée au pouvoir »

Figure du mouvement citoyen Filimbi, l’activiste Carbone Beni a été condamné mardi 25 septembre à un an de prison ferme, en même temps que trois autres militants. Tous étaient poursuivis pour avoir participé à une campagne de sensibilisation de la population en vue de la marche du 31 décembre 2017.

Des participants à la marche anti-Kabila de ce 21 janvier 2017, sous les gaz lacrymogènes. © REUTERS/Kenny Katombe

Des participants à la marche anti-Kabila de ce 21 janvier 2017, sous les gaz lacrymogènes. © REUTERS/Kenny Katombe

Publié le 27 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Reconnus coupables d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État », d’« offense au chef de l’État », et de « publication et de distribution d’écrits subversifs », quatre des cinq militants de Filimbi poursuivis par la justice congolaise ont été condamnés à la lourde peine de douze mois de prison ferme, mardi 25 septembre. Le parquet avait requis trois ans ferme.

En cause : leur participation à une campagne de sensibilisation pour la marche du 31 décembre 2017. Initiée par le Comité laïc de coordination, une structure proche de l’Église catholique, cette manifestation pacifique réclamait la « mise en oeuvre intégrale » de l’accord de la Saint-Sylvestre.

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Interviewé par l’entremise de son avocat, Carbone Beni dénonce une justice congolaise « inféodée au pouvoir » et « un régime dictatorial » qui n’entend pas abandonner le pouvoir.

Jeune Afrique : Comment réagissez-vous suite à votre condamnation à un an de prison ferme ? 

Carbone Beni : C’était malheureusement prévisible. Avec des magistrats inféodés au pouvoir, la justice congolaise ne pouvait en décider autrement. Tout au long de la procédure, les juges ont été sous pression et ont suivi les injonctions du pouvoir, à savoir nous condamner tout en sachant pertinemment que le dossier était vide. Dans une justice normale, la seule décision possible aurait été de nous acquitter.

Pourriez-vous revenir sur les circonstances de votre interpellation en décembre dernier ?

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C’était la veille de la Saint-Sylvestre. Avec d’autres militants, nous étions partis à la rencontre de la population dans les différents quartiers de Kinshasa. Notre objectif était d’amener les gens à participer à la manifestation pacifique organisée le 31 décembre par le Comité laïc de coordination.

Je savais à ce moment-là que les services de renseignement me suivaient de près, et que certains de nos militants étaient fichés. Puis, alors que nous poursuivions nos activités, mes camarades, mon frère et moi avons été brutalement enlevés par les forces de l’ordre.

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Comment s’est déroulé votre détention après votre arrestation ? 

Cela n’a pas été facile, car notre système est celui d’une dictature qui ne dit pas son nom. Le 30 décembre, nous avons été déférés devant le général de l’unité de protection des hautes personnalités, où nous avons été fortement tabassés – des coups de crosse, des gifles et l’obligation de regarder longuement le soleil – et insultés pendant près de deux jours.

Les interrogatoires des policiers avaient lieu de minuit à 3h du matin. On nous accusait de comploter contre le pouvoir avec l’aide d’hommes politiques, comme Moïse Katumbi ou Sindika Dokolo. La télévision nationale est également venue et nous a présentés comme de dangereux malfrats dans son reportage.

Notre transfert à l’ANR restera longtemps gravé dans nos têtes

Vous avez ensuite été transféré à l’Agence nationale de renseignements (ANR). Vos conditions de détention ont-elles évolué ?

On nous a transférés dans les geôles de l’ANR au bout de deux jours. Le début d’un calvaire interminable, qui restera longtemps gravé dans nos têtes. Les cellules étaient minuscules et surpeuplées. Pendant 45 jours, je n’ai pas pu voir ni mon avocat, ni ma famille, ni d’autres militants de Filimbi. La nourriture était presque inexistante : seulement quelques haricots, un petit morceau de poisson et une cuillère de riz par jour…

Pour dénoncer nos conditions de détention, on a fait une grève de la faim, pendant trois jours. D’autres détenus ont commencé à faire de même, et je crois que nos geôliers ont eu peur que cela dégénère. Chaque matin et chaque soir, on chantait également l’hymne national, qui parle du « serment de liberté » du peuple congolais.

Ce n’est pas parce qu’on nous maltraite ou qu’on nous arrête que nous allons abandonner notre lutte ou reculer devant l’oppresseur

Vous avez également eu des problèmes de santé au cours de votre détention… 

À partir du mois de février, j’ai commencé à souffrir au niveau du bas-ventre. Mais on a refusé de m’envoyer à l’hôpital. Dans la nuit du 1er mai, j’ai eu une grosse crise, car mes problèmes aux yeux s’aggravaient à cause de l’obscurité de la cellule. J’ai alors été transféré à la clinique Ngaliema, avant d’être conduit au Centre médical diamant, suite à l’intervention de la ministre en charge des Droits humains Marie-Ange Mushobekwa.

Comment expliquez-vous l’attitude des autorités à votre égard ? 

L’acharnement du pouvoir contre Filimbi et les autres mouvements non-violents ne date pas d’hier. En 2015, le régime de Joseph Kabila a commencé à réfléchir au moyen de se maintenir au pouvoir en tripatouillant la Constitution – laquelle interdisait expressément au président de la République de se représenter. Ils ont alors violemment réprimé les mouvements citoyens et pacifiques, qui exigeaient le respect de la Constitution.

Cela s’est poursuivi en 2016, car les autorités avaient en face d’eux des jeunes conscients de leur devoir d’éveiller les consciences. Ce n’est pas parce qu’on nous maltraite ou qu’on nous arrête que nous allons abandonner notre lutte ou reculer devant l’oppresseur. C’est la mission de notre génération.

La date prévue pour les élections est dans seulement trois mois. Qu’attendez-vous de cette échéance ? 

Je ne crois pas que le régime entende organiser des élections où son candidat Emmanuel Ramazani Shadary aurait des chances de perdre. Ils ont mis en place toute une machine destinée à pérenniser leur régime.

Il n’y a qu’à voir la partialité Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui impose l’utilisation de la machine à voter malgré l’interdiction formelle dans la loi du vote électronique. Les autorités ne sont pas transparentes non plus sur le plan de décaissement en faveur des élections ou sur la question de la logistique. Sans parler de leur refus obstiné de décrisper l’environnement politique, en refusant la libération des prisonniers politiques.

Pour une alternance crédible, il faut faire tout notre possible pour mettre en œuvre l’utilisation de l’article 64 de la Constitution [qui stipule notamment que « Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’État », ndlr]. Sans cela, Joseph Kabila risque fort de conserver le pouvoir à travers son candidat-dauphin. Espérons que notre peuple puisse se ressaisir et écrire une nouvelle page de son histoire.

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