Cybercensure, mode d’emploi

Du filtrage à l’interdiction pure et simple, certains pouvoirs ne reculent devant aucun moyen pour entraver le fonctionnement du Web.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Internet, un havre de liberté, qui défie les frontières et échappe aux censeurs ? Un monde virtuel où tout un chacun peut exprimer sans crainte ses opinions ? Dans la plupart des pays, la Toile a tenu ses promesses : l’information circule librement, et elle est accessible à tous. À condition bien entendu que l’on soit équipé d’un ordinateur et abonné à un fournisseur d’accès, ce qui exclut les neuf dixièmes de la population mondiale. Mais, dans d’autres pays, le rêve n’a pas résisté aux pressions de dictateurs attentifs à ne rien céder de leur pouvoir ni au combat acharné des antiterroristes du monde « libre ». À l’heure où Reporters sans frontières (RSF) publie son troisième rapport annuel sur les entraves à la libre circulation de l’information sur Internet, quels sont les moyens mis en oeuvre par les gouvernements pour contrôler l’utilisation du réseau des réseaux ?
Avec plus de soixante-dix internautes derrière les barreaux de par le monde, soit vingt-sept de plus qu’en 2003, il semblerait qu’Internet ne soit pas aussi invincible que ce qu’on nous a laissé croire. Certes, étant donné le nombre croissant d’utilisateurs, et donc d’éditeurs potentiels, il est de plus en plus difficile de contrôler le flot d’informations transitant en continu sur le Net. Certains gouvernements ont néanmoins trouvé des solutions efficaces.
La méthode cubaine, adoptée par la Corée du Nord ou encore la Birmanie, est radicale. Elle consiste à interdire purement et simplement l’accès à Internet. En réalité, celui-ci reste accessible aux touristes, bien qu’à un tarif prohibitif (environ 6 euros de l’heure), dans les hôtels et les cybercafés. À Cuba, le gouvernement de Fidel Castro a opté pour un Intranet (un réseau interne, généralement à une entreprise, utilisant les technologies Internet) consultable dans les bureaux de poste sur présentation de ses papiers d’identité. Autrement dit, seuls les sites sélectionnés par les autorités sont disponibles sur le réseau Tu Isla (« Ton île »). Quand bien même la Toile est un « centre » d’information, mais aussi un outil de développement économique indispensable à l’heure de la mondialisation.
Une autre méthode, dont la Chine se fait la championne, consiste à tirer profit de l’arsenal technologique justement décrié. Ainsi ce pays, de même que l’Arabie saoudite ou encore Singapour peuvent-ils « développer Internet tout en l’aseptisant », note RSF. Grâce à des filtres (firewalls), paramétrés pour repérer les mots clés « subversifs », les cyberpolices peuvent bloquer les informations non désirables. Mieux, elles ont les moyens d’identifier les internautes qui consultent les sites interdits et ceux qui envoient des courriers électroniques « dangereux » grâce à l’adresse IP, sorte de fiche d’identification de l’ordinateur.
Le gouvernement de Pékin emploie quelque 30 000 personnes pour surveiller Internet. Depuis quatre ans, Huang Qi est l’une des victimes de cette répression. L’homme est coupable d’avoir publié un site, hébergé aux États-Unis à cause d’une première interdiction en Chine, évoquant le massacre de Tiananmen de juin 1989. Il a reçu in absentia, le 22 juin, le prix Cyberliberté décerné par RSF.
Que se passe-t-il quand un internaute souhaite visiter un site interdit ? Il se retrouve face à un écran blanc affichant « Host not found » (« site introuvable ») ou « Connection time out » (« expiration du délai pour cette page »). Une manière de lui faire croire que le site en question n’existe plus…
Autre technique : le détournement de DNS (Domain Name Server). L’internaute qui cherche à se connecter sur une adresse prise pour cible par le gouvernement est instantanément redirigé vers une adresse invalide ou vers un autre site. Ce dernier peut être la copie modifiée de celui recherché. Ben Edelman, chercheur sur le filtrage Internet à l’université américaine Havard, a remarqué que les autorités ouzbèkes avaient fréquemment recours à ce subterfuge. En même temps que l’information est censurée, le pouvoir pratique subtilement manipulation et propagande.
Les courriers électroniques sont eux aussi dans le collimateur des cyberpolices. Le système de censure fonctionne de la même manière que pour les sites Internet : lorsqu’un mot clé, enregistré par les autorités publiques, est décelé, le courriel est intercepté. Au Zimbabwe, où le régime de Robert Mugabe prend de plus en plus de libertés avec… la liberté d’expression, quatorze personnes ont été interpellées en novembre 2003 pour avoir diffusé un courriel critiquant le président. La loi sur les postes et télécommunications, édictée en 2000, prévoit une étroite collaboration entre les fournisseurs d’accès et les opérateurs. Ces derniers sont tenus de donner les informations qui leur sont demandées et d’autoriser officiers de police et de renseignements à accéder à leurs serveurs.
Il est également possible de faire pression sur les moteurs de recherche. En Chine, il est impossible d’utiliser Google pour obtenir des renseignements sur l’indépendance de Taiwan, par exemple. Soit la recherche ne donne aucun résultat, soit la connexion est bloquée temporairement. Yahoo (rebaptisé Yisou en chinois) a devancé l’oeil de Pékin en s’autocensurant et en contrôlant lui-même ses forums de discussion. Ainsi, si l’on tente d’ouvrir un débat polémique sur le forum, il n’est jamais mis en ligne. Il est vrai que le marché chinois constitue un enjeu de taille pour l’entreprise américaine qui vient de racheter un moteur de recherche local, 3721.com, et qui n’entend pas en rester là
Les dissidents ont toutefois trouvé une parade en se connectant par l’intermédiaire de serveurs basés à l’étranger. Pour ce faire, ils trouvent en général l’aide au sein de diasporas actives et militantes.
La médiatisation de cette répression conduit bien souvent les internautes à se limiter d’eux-mêmes. Les dictateurs d’ordinaire prompts à semer la terreur savent aussi museler, tout en douceur, la liberté d’expression.

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