A l’heure d’internet

La seconde phase du Sommet mondial sur la société de l’information se tiendra à Tunis en novembre 2005. À Hammamet, les préparatifs ont déjà commencé. Et tout le pays mise sur les nouvelles technologies.

Publié le 28 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

La Tunisie souhaite être un pays pilote pour l’Afrique et les pays du Sud dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). Dès 1998, elle a proposé à la Conférence des pays membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT) d’accueillir le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). La première phase de cette manifestation – qui prévoit deux rendez-vous distincts – a eu lieu à Genève, en Suisse, en décembre 2003. La deuxième étape se déroulera à Tunis du 16 au 18 novembre 2005. Des dizaines de chefs d’État et de dirigeants d’organisations internationales, des milliers d’experts et d’entrepreneurs sont attendus. L’objectif ? Rien de moins que trouver des solutions pour « réduire la fracture numérique » entre les pays du Nord et ceux du Sud…
« Notre pays n’accueille pas ce sommet par hasard. Nous accomplissons déjà un effort énorme pour combler ce fossé numérique. Nous voulons que les nations du Sud nous fassent partager leurs idées et leurs expériences sur le sujet », affirme Faryel Beji, la dynamique présidente de l’Agence tunisienne d’Internet (ATI). Tous les acteurs tunisiens opérant dans les TIC se mobilisent déjà pour cette échéance.
On le sait encore trop peu, mais Internet a déjà une longue histoire en Tunisie. Dès 1991, celle-ci fut le premier pays arabe et africain connecté au réseau des réseaux, à travers l’Institut régional des sciences informatiques et des télécommunications (Irsit). D’abord réservé à l’usage des chercheurs et des universitaires, Internet fut proposé dès mars 1996 au grand public et aux entreprises. Soit en même temps qu’en Europe et en Amérique. Actuellement, la Tunisie compte plus de 700 000 internautes pour près de 10 millions d’habitants (soit 7 % de la population, contre moins de 2 % en Égypte ou au Maroc). L’objectif du gouvernement est d’atteindre une communauté de 2 millions d’utilisateurs avant la fin de 2006. « L’impulsion vient du sommet de l’État, souligne Faryel Beji. Le président de la République est féru de nouvelles technologies. Il suit personnellement tous ces dossiers et soutient sans réserve le développement d’Internet. » On raconte même que le « père » d’Internet, le scientifique américain Vint Cerf, en visite à Carthage en novembre dernier pour la réunion mondiale de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, l’organisme de régulation du réseau), fut reçu en audience par le chef de l’État tunisien. Cerf s’attendait à des propos protocolaires. Il fut très surpris quand son hôte le bombarda de questions très techniques sur le protocole… TCP-IP. Le scientifique est en effet le co-inventeur de ce « langage », qui permit à la grande Toile mondiale de décoller. La discussion se poursuivit jusqu’à une heure avancée de la nuit, dit-on.
D’autres responsables publics manifestent le même engouement pour le réseau des réseaux. Ministères, administrations et sociétés publiques rivalisent pour se placer en tête dans la course à la structure la plus high-tech. La Poste tunisienne, en particulier, joue un rôle de premier plan. Ses ingénieurs ont ainsi développé la carte de paiement électronique « e-Dinar », disponible dans chacun des mille bureaux de poste du pays. Cette carte prépayée permet le règlement d’achats « en ligne » par Internet de façon tout à fait sécurisée. De leur côté, les 300 000 étudiants du pays ont déjà la possibilité de consulter les résultats de leurs examens et de s’inscrire à l’université en ligne. De nombreux pays développés n’en sont pas à ce stade ! Le développement des technologies de l’information en Tunisie s’appuie sur un réseau déjà solide d’écoles d’ingénieurs et de centres de recherche. À l’Ariana, au nord de Tunis, sur un campus fleuri parsemé de bâtiments flambant neufs, la Cité technologique des communications de Tunis el-Ghazala rassemble le fleuron des entreprises et de la recherche en haute technologie.
Sur ce site, des groupes internationaux comme le groupe franco-italien ST Microelectronics, le suédois Ericsson ou le français Alcatel, côtoient de jeunes entreprises locales pleines d’allant. Fournisseurs, clients et associés potentiels se trouvent à deux pas. « Tout le pays, et pas seulement Tunis, va bénéficier de technopoles de ce type », souligne Mohamed Mokni, en charge de l’implantation de la future cité technologique de Sousse. Dans cette ville au bord de la Méditerranée, à 150 kilomètres au sud-est de Tunis, un centre spécialisé en microélectronique et en nanotechnologies, les technologies de l’infiniment petit, va sortir de terre dans deux ans.
De son côté, Sfax, la deuxième ville du pays, réputée pour le dynamisme de ses entrepreneurs, abritera une technopole axée sur l’informatique et le multimédia. La Tunisie en comptera douze d’ici à trois ans. « L’université et la recherche scientifique jouent un rôle déterminant pour la diffusion de l’innovation et la création d’entreprises », affirme Bahri Rezig, professeur et directeur de l’École nationale des ingénieurs de Tunisie (Enit), à Tunis. L’Enit développe notamment des programmes de formation en alternance, abrite plusieurs « pépinières » d’entreprises et entretient un réseau international de recherche.
Pour réussir, le pays devra aussi faire revenir au moins une partie des milliers de « cerveaux » – ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs – expatriés en Europe ou en Amérique. Mais leur retour bute moins sur la question des revenus, que sur celle des perspectives professionnelles. Ils souhaitent travailler dans des laboratoires de haut niveau, dotés de budgets conséquents. Les « cerveaux expatriés » ont besoin d’une vie intellectuelle motivante.
« Le tissu économique se développe, c’est certain ; mais le goût de l’innovation n’est pas encore assez répandu », estime Khaled Ben Jilali, gérant du fonds d’investissement technologique Tuninvest Innovation Sicar. Lui, dont le métier consiste à investir dans de jeunes sociétés tunisiennes, peine à trouver des entités réellement innovantes. « Trop d’entrepreneurs se contentent d’être concessionnaires exclusifs de telle ou telle marque occidentale. Ou de démarcher les seuls marchés publics. Ces solutions sont lucratives et sûres. Mais l’innovation nécessite un certain goût du risque. » La Tunisie compte encore peu d’entreprises comme Omniacom ou comme le concepteur de logiciels financiers Banking Financing International (BFI), qui exporte ses produits dans le monde arabe et en Europe. Dans l’avènement de la société de l’information en Tunisie, les pouvoirs publics ont joué un rôle de premier plan. Le pays est désormais en mesure de passer à une nouvelle phase, celle où la société va s’approprier les nouveaux outils.

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