Umaru Yar’Adua

Elu au terme d’un scrutin controversé, le nouveau président nigérian doit convaincre de ses capacités à diriger le pays. Tout en s’affranchissant de l’influence de son prédécesseur.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est un chef d’État à la légitimité controversée qui sera officiellement investi au Nigeria le 29 mai. Depuis son élection, le 21 avril, au cours d’un scrutin manifestement entaché de fraudes, le très discret Umaru Musa Yar’Adua fait l’unanimité contre lui : communauté internationale, opposition, société civile et, tout récemment, quarante-huit Prix Nobel. Emmenés par l’écrivain nigérian Wole Soyinka, ces derniers ont exigé la tenue de nouvelles élections, mais n’ont pu dissuader les dirigeants du G8 de l’inviter à leur sommet organisé en Allemagne du 6 au 8 juin prochain. Olusegun Obasanjo, son prédécesseur à la tête du pays, a beau avoir déployé toute son énergie pour que la cérémonie du 29 mai se déroule en grande pompe et devant des invités de marque, il faudra beaucoup de recul et une bonne dose de fatalisme au nouveau président pour ignorer les critiques dont il fait l’objet. Lesquelles ne retiennent guère que Yar’Adua, 56 ans, est l’un des rares universitaires à diriger un Nigeria traditionnellement entre les mains des militaires.
Le natif de l’État de Katsina (Nord)enseignait la Nicholas Norbrook chimie. Pour autant, la politique n’est pas étrangère à sa famille. Son père a été ministre dans le premier gouvernement de l’indépendance, et son frère, feu le général Shehu Musa Yar’Adua, était le compagnon de prison d’Obasanjo (les deux hommes avaient été accusés de comploter contre Sani Abacha, au pouvoir de 1993 à 1998). Lui-même, par atavisme ou simple conviction, finit par s’engager en politique. Mais à gauche, probablement influencé par le professeur Bala Usaman, dont il a été l’élève à l’université Ahmadu-Bello. Certains chefs d’entreprise craignent même que Yar’Adua, qui ne cache pas ses intentions de lutter contre la pauvreté et la violence dans le Delta, ne mette ses idées en pratique. En tout cas, c’est avec toute sa rigueur de chimiste qu’il a administré l’État de Katsina, dégagé des excédents budgétaires une exception dans le pays. Et obtenu de la Banque centrale du Nigeria, en 2005, la distinction de meilleur gouverneur du pays, notamment pour avoir mis en place un système de financement de l’activité des fermiers.
Yar’Adua est également l’un des rares gouverneurs à ne pas être tombé sous le coup d’une enquête pour corruption. Voilà qui conforte sa réputation d’homme modeste, humble et sincère, qui entretient des rapports sains avec l’argent. Autant de qualités que ses détracteurs s’empressent de retourner contre lui pour faire de ce président qui préfère les boubous aux costumes un personnage « falot », « fade » et « médiocre ». Mais ses prises de position en tant que candidat ont été assez controversées. C’est lui qui a introduit la charia (loi islamique) à Katsina, en vertu de laquelle Amina Lawal a été condamnée à mort par lapidation pour cause d’adultère, avant d’être finalement sauvée grâce à la mobilisation de l’opinion publique, au Nigeria comme à l’étranger. L’affaire, qui a éclaté six mois après les attentats du 11 septembre 2001, à New York, eut en effet un grand retentissement international.
À la veille de la conférence nationale du Parti démocratique des peuples (PDP), en décembre dernier, il était donc impensable qu’Obasanjo choisisse ce gouverneur quasi inconnu, originaire d’un État sans grand poids politique pour lui succéder. Perplexe, l’opinion s’est finalement demandé comment Umaru Musa Yar’Adua avait pu être préféré à de grosses pointures telles que le gouverneur Victor Attah, Adamu Abdullahi, le général Buba Marwa et le général Aliyu Gusan pour être le candidat du PDP, sésame pour la présidence, compte tenu du fonctionnement de la démocratie à la nigériane.
Le doute a pourtant subsisté longtemps. Certaines personnes considéraient Yar’Adua comme une simple marionnette, un personnage sans consistance, qu’Obasanjo manipulait dans l’ombre. D’autres rappelaient ouvertement qu’il n’avait jamais exprimé le désir d’être président jusqu’à ce qu’on le lui ait soufflé. L’homme n’avait pas de programme susceptible de changer l’avenir du Nigeria, il était commode, tout simplement. L’État de Katsina étant relativement facile à gouverner, Yar’Adua n’apparaissait pas comme l’homme de la situation. Pouvait-il diriger un géant irrépressible, une fédération de trente-six États coiffée d’une capitale, déchirée par l’opposition Nord-Sud, dans un environnement on ne peut plus trouble et avec une insurrection jamais calmée dans le Delta du Niger riche en pétrole ?
Les plus mécontents étaient les leaders du Nord, la règle non écrite de la politique nigériane étant que le pouvoir, après avoir été entre les mains du Sud, devait leur revenir. Ils espéraient être consultés et que les dirigeants aient la courtoisie de les inviter à participer au choix du candidat de leur région. Obasanjo a choisi à leur place. Résultat : ils se sont résolus à soutenir le principal adversaire de Yar’Adua, le général Muhammedu Buhari. Ironie de l’histoire : lors de l’élection précédente, la classe dirigeante du Nord avait décidé de s’opposer au choix du Sud, et avait pris fait et cause pour Obasanjo. Les leaders du Sud avaient alors misé sur Chief Olu Falae, qui avait été battu, de la même manière que Buhari a perdu, cette année, en avril.
Dans les mois à venir, on verra dans quelle mesure Alhaji Umaru Musa Yar’Adua a les coudées franches. Il pourra s’appuyer sur les avis et les talents de l’équipe de réformateurs composée de l’ex-ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala, de l’ex-ministre de l’Éducation Obiageli Ezekwesili, aujourd’hui l’un des vice-présidents de la Banque mondiale, du grand patron de la lutte anticorruption Nuhu Ribadu ainsi que du futur probable ministre de l’Énergie Nasir el-Rufai. Ses intimes laissent entendre qu’il ne sera pas aussi facile à manoeuvrer qu’on le dit Et qu’il pourrait même s’émanciper de la tutelle d’Olusegun Obasanjo.

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