[Tribune] L’Europe doit changer sa perception de l’Afrique
Carlos Lopes, haut représentant de l’Union africaine pour les négociations avec l’Europe dans le cadre de l’après-Cotonou, appelle à la reconstruction d’un partenariat européano-africain sur la base des nouvelles réalités économiques du continent.
Professeur à la Nelson Mandela School of Public Governance de l’Université du Cap et à Sciences Po Paris. Il préside le Conseil de la Fondation Africaine du Climat.
Publié le 5 octobre 2018
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Quand une personne est invitée à un dîner chez un ami, l’usage veut que l’hôte décide du menu et du déroulement de la soirée, et que l’invité se réjouisse du traitement qui lui est réservé et de la générosité du maître de maison. Ces bonnes manières font partie du code d’éthique qui valorise les relations humaines et fait de leur respect un signe de distinction.
L’Europe a invité l’Afrique à un repas appétissant qui pourrait être considéré par certains comme un banquet :l’accord de Cotonou. Les Européens ont apporté des fonds et une aide au développement. En échange de ce geste merveilleux, les invités d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ont rendu la pareille en se comportant correctement et en se conformant à une attitude respectueuse à l’égard de leurs amis du Vieux Continent.
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Nous entrons maintenant dans une phase de relations, particulièrement entre l’Afrique et l’Europe, qui ne ressemble guère plus à la métaphore du dîner. Beaucoup de choses ont évolué sur les deux continents et, si ces changements sont reconnus de part et d’autre, on pourrait comparer ces nouvelles relations à celles d’un couple marié depuis longtemps qui, après avoir vécu bien des choses ensemble, a décidé de reformuler ses vœux avec des engagements forts et constructifs l’un à l’égard de l’autre.
Depuis le début du siècle – entre 2001 et 2016 –, les économies africaines ont connu une croissance moyenned’environ 4,5 %. Plus dynamiques que l’ensemble du monde (2,9 %), elles ont également enregistré des taux de croissance supérieurs à ceux des économies de l’Union européenne (UE) les plus avancées (qui ont augmenté en moyenne de 1,5 %). Alors que la part des économies africaines dans le PIB mondial est passée de 2,3 % à 3 %, celle de l’UE est passée de près de 30 % à moins de 24 %. Il faut bien sûr garder le sens des proportions, mais des tendances lourdes apparaissent.
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Les données disponibles sur l’évolution du commerce entre les économies des deux continents montrent que les exportations et les importations africaines ont augmenté sur la même période.
L’Europe demeure le premier partenaire commercial de l’Afrique
Bien que les exportations africaines aient globalement augmenté plus rapidement que les importations, générant un excédent commercial spectaculaire pour le continent, les économies africaines ont affiché un déficit commercial persistant avec l’UE depuis 2013, culminant en 2016 à 45 milliards de dollars (42,7 milliards d’euros).
Cela est important pour trois raisons : d’abord parce que l’Europe demeure le premier partenaire commercial de l’Afrique. Les relations que nous établissons dans ce domaine auront donc des répercussions importantes sur l’avenir de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlec), récemment lancée.
Enfin, les exportations de l’Afrique vers l’Europe restent enlisées dans la perpétuation des modèles coloniaux qui sont, en partie, la cause du retard accusé dans le processus d’industrialisation du continent.
En outre, l’avenir du partenariat européano-africain devrait être construit sur la base de nouvelles réalités, dans lesquelles le commerce tient une place prépondérante par rapport à l’aide au développement. En effet, le continent africain reçoit en moyenne globale 21 milliards de dollars sous forme d’aide alors qu’il a perdu 46 milliards de dollars dans le domaine du commerce en 2016. Le message est clair.
Et la réalité financière est encore plus grave. En matière de flux, l’Afrique est un exportateur net de capitaux vers l’Europe. Les investissements directs étrangers (IDE) d’Europe vers l’Afrique continuent de diminuer tandis que la Chine et d’autres acteurs augmentent leurs parts. Certes, les débats tronqués autour de la question migratoire peuvent être entendus dans une perspective moins favorable à l’Afrique, à la façon de certains politiciens européens.
Il y a proportionnellement en Europe plus de migrants en provenance de Chine ou de Russie que d’Afrique
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Les migrants sont aujourd’hui des contributeurs nets à la plupart des économies européennes qui les intègrent. Contrairement à certaines idées reçues, le chômage et les problèmes structurels rencontrés en Europe sont le résultat de changements économiques et d’évolutions technologiques, bien plus que de la présence de migrants.
En tout état de cause, il y a proportionnellement en Europe plus de migrants en provenance de Chine ou de Russie que d’Afrique. Pourtant, les vues déformées – et les perceptions parfois délirantes – des événements tragiques qui surviennent en Méditerranée continuent d’entraver les relations entre les deux continents.
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Quand un couple renouvelle ses vœux, il fait le bilan de ses expériences, à la fois négatives et positives, pour bâtir un avenir meilleur.
Dans les délibérations du sommet UE-UA d’Abidjan de novembre 2017, les deux parties ont appelé à « un changement de paradigme, [pour construire] un partenariat légitime dans un esprit de propriété partagée, de responsabilité, de réciprocité, de respect, de confiance mutuelle et de transparence ».
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Ne plus considérer l’Afrique du point de vue d’un « donneur d’aide au développement » mais comme un « partenaire économique dans un échange d’égal à égal », c’est en substance ce qu’a déclaré le 12 septembre le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son discours sur l’état de l’Union.
Mi-hommes, mi-animaux, les trois totems trônent au coeur du musée du quai Branly à Paris. « Statues du royaume de Dahomey, don du général Dodds », stipule sobrement l’étiquette. Trésors pillés, rétorque le Bénin qui exige leur restitution.
Comment faire pour que les taux de croissance permettent un vrai développement ? En misant sur la démographie, la santé et l’éducation, les femmes, la sécurité et l’apprentissage des langues.