Afrique du Sud : ces fermiers blancs courtisés par la Russie
Si le Royaume-Uni, l’Australie ou les États-Unis restent en tête des pays d’émigration pour les fermiers sud-africains blancs, une nouvelle destination semble émerger : la Russie. Ils y sont accueillis à bras ouverts, sur fond de mythe d’un « génocide blanc » en cours en Afrique du Sud.
À peine arrivés à l’aéroport de Stavropol, ils sont accueillis par une gerbe de blé et un pain traditionnel, des cadeaux offerts pour leur souhaiter la bienvenue à plus de 12 000 kilomètres de chez eux : Adi Schlebusch et sa sœur Therese, des fermiers sud-africains, semblent être devenus pour une partie de la population russe les symboles d’un peuple à secourir.
Originaires d’Afrique du Sud, ils ont visité en juillet cette région rurale du sud-ouest de la Russie, avec l’objectif de s’y installer à long terme. Ils en sont revenus convaincus : le 29 septembre, Adi Schlebusch déménagera à Moscou, suivi par sa femme et ses deux jeunes enfants.
Moscou courtise en particulier les fermiers afrikaners
La famille Schlebusch fait partie d’un mouvement d’émigration de plus en plus important au départ de l’Afrique du Sud. La population blanche sud-africaine est très présente parmi ces émigrants : selon l’organisme de statistiques Stats SA, près de 115 000 Sud-Africains blancs pourraient quitter le pays entre 2016 et 2021. Si la plupart partent au Royaume-Uni ou en Australie, une nouvelle destination semble émerger : la Russie. Moscou courtise en particulier les fermiers afrikaners, descendants des premiers colons hollandais et des huguenots français arrivés au Cap au XVIIe siècle.
Réforme agraire et rumeurs de « génocide »
Pour l’instant, seuls quelques-uns ont franchi le pas. Mais Adi Schlebusch veut jeter les bases d’une « voie de migration » et estime qu’entre vingt et vingt-cinq familles envisagent déjà un déménagement. L’une de leurs motivations principales : la situation politique en Afrique du Sud, où une réforme constitutionnelle est en discussion pour légaliser l’expropriation sans compensation de certaines terres agricoles au profit de la population noire défavorisée.
La réforme prend cependant des termes bien plus alarmistes dans la bouche de la famille Schlebusch. « Pour mon peuple, c’est une question de vie ou de mort », affirme le père de famille aux journalistes russes. Un discours qui fait écho à une rumeur insistante, pourtant fréquemment réfutée, portée dans les médias internationaux par des groupes d’extrême-droite : une théorie du complot qui présente les Sud-Africains blancs comme des victimes d’un « génocide » fomenté par la majorité noire.
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Après l’Australie – dont l’ancien ministre de l’Intérieur Peter Dutton avait causé un tollé au mois de mars en proposant de créer des « visas humanitaires d’urgence » pour les Sud-Africains blancs – et les États-Unis, où le président Trump s’est récemment inquiété des « meurtres à grande échelle de fermiers blancs », la Russie semble devenir le nouveau terrain d’exportation de cette théorie complotiste.
« Un refuge pour les chrétiens traditionalistes »
« Ils ont dit être victimes d’un génocide », explique Vladimir Poluboyarenko, adjoint au commissaire des droits de l’homme de la région de Stavropol, qui a accompagné et aidé la famille dans sa visite. Il a également assisté les Du Toit, une autre famille de fermiers Afrikaners, lors de leur visite en Russie début septembre, et dit être en contact avec de nombreux candidats à l’immigration. Poluboyarenko est visiblement convaincu : « Personne ne parle de ce génocide qui a lieu au XXIe siècle, c’est un apartheid à l’envers », a-t-il affirmé à Jeune Afrique.
Joint par téléphone, Adi Schlebusch tient des propos plus mesurés. Détenteur d’un doctorat en théologie chrétienne, il a grandi dans une ferme à proximité de la ville de Bloemfontein, dans la province du Free State. Il a choisi la Russie pour des raisons idéologiques et religieuses, souhaitant s’émanciper du « libéralisme occidental » qui domine, selon lui, en Afrique du Sud.
« Si l’on s’oppose activement au mariage homosexuel, ou par exemple au féminisme radical, on risque d’être marginalisé. En Russie, j’observe une renaissance du christianisme et des valeurs familiales traditionnelles », explique-t-il. « J’y vois un refuge futur pour les chrétiens traditionalistes comme moi. »
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Ce discours, qui fait le bonheur de Vladimir Poluboyarenko, est en adéquation avec la politique du gouvernement russe. La popularité de Vladimir Poutine repose largement sur sa figure de gardien d’une nation chrétienne, blanche et traditionaliste. Poluboyarenko, qui dit œuvrer par solidarité chrétienne, affirme avoir lui-même financé à titre personnel le logement et la nourriture des visiteurs sud-africains, sans l’aval du ministère de l’Intérieur. Questionné sur une possible implication du gouvernement russe dans le soutien aux immigrés sud-africains, il reste ferme : « Pas de commentaire. »
Une hospitalité inattendue
Le gouvernement semble pourtant osciller entre ses obligations diplomatiques vis-à-vis de l’Afrique du Sud, un pays allié membre des BRICS et sa politique intérieure misant sur les arguments identitaires. Poluboyarenko partage ainsi une anecdote étonnante qui souligne cette ambiguïté : la famille Du Toit aurait voyagé dans le pays à bord d’un avion de luxe frappé du drapeau de la Russie.
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« On nous a dit que c’était un avion au service de la Fédération de Russie, utilisé par des hauts fonctionnaires, mais je ne sais pas qui l’a réservé et payé », explique Poluboyarenko. Johannes du Toit, qui souhaite s’y installer principalement pour rejoindre sa femme, elle-même russe, s’en étonne : « La Russie n’est pas prête à recevoir officiellement qui que ce soit, parce que ça va complètement à l’encontre de l’idéologie des BRICS. »
Portés par la couverture médiatique les présentant comme opprimés dans leur pays d’origine, les Afrikaners candidats à l’immigration ont profité d’une hospitalité inattendue – voir d’une ampleur disproportionnée – de la part de nombreux russes. Ainsi, un fermier de la région de l’Oblast de Moscou a proposé d’accueillir une centaine de familles ; la ville de Kaluga, dans l’Ouest, près de 500… Pour l’instant, pourtant, très peu de familles sud-africaines ont exprimé une volonté de s’expatrier en Russie.
Poluboyarenko, lui, reste déterminé à accueillir un peuple qu’il considère comme opprimé et « en voie d’extermination » : « La Russie est un pays énorme, et nous pouvons accueillir des dizaines de milliers de familles ». Même si, en propageant ce message, il risque de jouer le jeu de l’extrême-droite sud-africaine.
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