Où va la Cemac ?

Conflits territoriaux, rivalités au sommet, intégration régionale en panne… les six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ont bien du mal à avancer ensemble.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Quel est le point commun entre le pasteur toubou du Tibesti tchadien, le fonctionnaire fang de Malabo (Guinée équatoriale) et le Pygmée aka de la vallée de la Lobaye, dans le sud de la Centrafrique ? Tous sont ressortissants de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Qu’ils en aient conscience ou non, tous appartiennent à un seul et même espace géographique, qui compte 37,5 millions d’habitants répartis sur 3 millions de km2. Un ensemble formé par six États regroupés pour promouvoir leurs intérêts communs. Et si leur convergence n’est pas toujours évidente, elle tient le coup, malgré tout
Lancée en 1994 et opérationnelle depuis juin 1999, la Communauté est en fait l’héritière de l’Union douanière des États de l’Afrique centrale (Udeac). Conçue comme un véritable GIE (groupement d’intérêts économiques), elle a été créée en décembre 1964 pour harmoniser les politiques économiques et monétaires du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon et du Tchad, rejoints vingt ans plus tard par la Guinée équatoriale. Si l’union monétaire, garantie par la toute-puissance de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), a bien résisté au temps, les objectifs d’intégration et le poids respectif des uns et des autres ont considérablement évolué. Suffisamment en tout cas, pour nécessiter une profonde rénovation des institutions communautaires. Car au-delà des critères de convergence économique, la cohésion des six États membres relève de mécanismes autrement plus complexes que la simple stabilité du franc CFA, placé dès les indépendances sous la tutelle du Trésor français.

Quarante ans après le lancement de l’Udeac, dont elle est le prolongement, la Communauté est aujourd’hui une entité dont l’action ne se limite pas, loin de là, aux seuls dossiers économiques. Dans une zone passablement tourmentée par les crises politiques et militaires, elle a dû intervenir sur les dossiers les plus chauds, et prendre l’initiative dans des situations des plus mouvantes. Paradoxalement, c’est un peu « sur le tas », portée par des événements souvent inattendus, que la diplomatie communautaire a été contrainte de prendre ses marques et d’adopter des positions collégiales. Ainsi on peut dater du 3 juin 2003 l’acte fondateur de la politique étrangère de la Cemac. Ce jour-là, les chefs d’État des pays membres réunis en sommet à Libreville admettent comme l’un des leurs le général François Bozizé. Le 15 mars 2003, cet officier putschiste a ravi le pouvoir à Ange-Félix Patassé, chef d’État centrafricain élu. Le président destitué comptait bien sur ses pairs pour se remettre en selle. Mais, contre toute attente, ces derniers décideront de l’abandonner à son exil de Lomé et d’adouber son ex-chef d’état-major. Une décision qui les conduira à plaider la cause du nouvel homme fort de Bangui dans les cénacles internationaux, depuis l’Union africaine jusqu’à l’ONU, en passant par l’Union européenne et la Francophonie.
Plus que plaider la cause du nouveau venu, les chefs d’État vont aller bien au-delà, acceptant de mettre la main à la poche pour éviter que la Centrafrique ne sombre dans le chaos. À l’issue du sommet de Libreville, ils acceptent de verser une aide ponctuelle de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros) au nouveau régime et décident de renforcer la Force multinationale de la Cemac (Fomuc) déployée sur les rives de l’Oubangui pour « accompagner le processus de transition et favoriser la réconciliation nationale ».

la suite après cette publicité

Mais ce bel unanimisme ne doit pas masquer certaines divergences entre les membres : si le Gabon, le Congo et le Tchad ont tout de suite apporté leur soutien à François Bozizé, le Cameroun et, surtout, la Guinée équatoriale ont un peu traîné les pieds, Malabo ayant noué des liens avec son prédécesseur. In fine, le consensus communautaire l’emportera, et la Cemac contribuera à réduire l’ostracisme international dont François Bozizé fit temporairement l’objet au sein des instances internationales.
À mesure que les dossiers sur lesquels planchent les fonctionnaires de la Cemac se diversifient, les points d’achoppement se multiplient entre les membres. Le projet de création d’une compagnie aérienne sous-régionale est à cet égard très révélateur des forces centrifuges qui animent l’organisation. En janvier 2005 à Libreville, à l’issue du sixième sommet des chefs d’État, alors qu’Air Gabon et Cameroon Airlines traversent toutes deux de fortes turbulences, la Communauté annonce le lancement imminent d’Air Cemac. Ce nouveau transporteur doit desservir la zone grâce aux droits de trafic des États membres, avec Royal Air Maroc comme partenaire technique. Soutenu à bout de bras par le président Omar Bongo Ondimba, malgré l’intérêt manifeste de la RAM et le soutien de la Banque africaine de développement (BAD), le projet ne verra jamais le jour. À Yaoundé, les dirigeants, qui semblent peu enclins à abandonner leur « souveraineté aérienne », veulent tout miser sur le redressement de la Camair, alors que N’Djamena entend privilégier le décollage de la jeune compagnie Toumaï Air Tchad, citée en exemple de coopération entre opérateurs privés de la sous-région. Comme l’a prouvé le naufrage d’Air Afrique, l’heure n’est plus aux initiatives publiques, victimes de rigidités bureaucratiques. Air Cemac illustre on ne peut mieux les limites de l’action communautaire. Et bien que le dossier ait été maintenu à l’ordre du jour du sommet du 25 avril dernier à N’Djamena, il est mal en point. Les négociations vont se poursuivre avec SN Brussels comme partenaire stratégique et le premier vol est toujours fixé à mars 2008 ; mais on ignore encore avec quels droits de trafic, ceux d’Air Gabon ayant été transférés à Gabon Airlines et ceux de Camair étant destinés au repreneur du pavillon camerounais.
Autre épisode révélateur de la sourde concurrence entre membres de la Cemac, celui qui a opposé Libreville et Yaoundé à propos du siège de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC). Alors que la majorité des pays membres se sont prononcés en faveur de son implantation dans la capitale gabonaise, les autorités camerounaises ont choisi de créer leur propre place financière, le Douala Stock Exchange (DSX). Lancées le 27 juin 2003, les activités de la BVMAC avaient pour mission d’appuyer la capitalisation des entreprises et le développement de l’investissement de portefeuille dans la sousrégion. Mais la coexistence de deux places financières dans une zone si restreinte a neutralisé les effets attendus de cette initiative.

Certes, les divergences à propos de la Centrafrique, d’Air Cemac ou de la Bourse régionale sont apparues de manière ponctuelle. Mais leur fréquence s’est accrue depuis la fin des années 1990. Plus grave, des dissensions au sujet du fonctionnement même de l’organisation se multiplient, la situation de ses membres ayant évolué depuis la création de la Cemac. Si le Cameroun et le Gabon ont longtemps fait figure de piliers de l’organisation, la Guinée équatoriale, pays hispanophone et adhérent tardif de l’Udeac, n’en a longtemps été qu’un membre marginal avant d’en devenir l’État « le plus riche ». Troisième pays producteur de pétrole au sud du Sahara, il a enregistré depuis dix ans des taux de croissance faramineux (il a même atteint 95 % en 1997) et bénéficie d’un afflux de devises inédit. De 500 millions de dollars en 1997, son PIB est passé à 9,2 milliards dix ans plus tard.
Alors que Malabo détient aujourd’hui 47 % des avoirs déposés sur le compte d’opération de la Banque centrale, le pays s’estime sous-représenté au sein des institutions de la Cemac. Et l’a fait savoir de manière tonitruante. Après avoir mis en cause le fonctionnement de la Communauté et réclamé des audits, il a profité du récent sommet de N’Djamena pour faire valoir son point de vue. À cette occasion, la Guinée équatoriale a obtenu le 25 avril dernier le départ du Gabonais Jean-Félix Mamalepot, nommé gouverneur de la BEAC en juillet 1990. Une demi-victoire pour Malabo, qui nourrissait une rancoeur quasi personnelle à l’égard de ce banquier originaire de la province du Haut- Ogooué, critiqué pour ses positions parfois rigides à l’égard des États membres. Une demi-défaite pour Libreville, qui va conserver le gouvernorat de la BEAC, au moins dans un premier temps. À terme, la répartition des fonctions entre les pays membres de la Communauté pourrait bien être modifiée. C’est en tout cas ce que souhaite la Guinée équatoriale, nouvelle puissance financière qui entend bien récolter sur le terrain politique les dividendes de ses pétrodollars.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires