Les nouvelles règles du jeu

L’organisation d’élections législatives libres et transparentes doit permettre au pays d’achever le processus de réconciliation. Et de rompre définitivement avec l’ancien régime.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Que de chemin parcouru ! Deux ans après le scrutin présidentiel d’avril 2005, préparé de la pire des manières et contesté dans son déroulement, le Togo s’apprête à vivre des élections législatives. Initialement fixé au 24 juin, ce rendez-vous a finalement été reporté au 5 août sans qu’aucune voix ne dénonce une manoeuvre dilatoire. Le 14 mai, les rues de Lomé sont restées calmes, alors que la décision était annoncée à Ouagadougou, sous le haut patronage du président burkinabè Blaise Compaoré, par le Comité de suivi de l’accord politique global conclu le 20 août 2006 à Lomé. La classe politique a admis, sans broncher, ce changement de calendrier justifié par des retards techniques. « Mieux vaut bien faire les choses que vite et mal », explique sans ambages un observateur étranger très au fait des réalités togolaises. En effet, l’organisation d’un scrutin, libre, transparent et accepté par tous est plus que nécessaire. Elle permettrait au pays de se prémunir contre le cycle infernal alimenté par la colère de l’opposition et sa répression sans discernement par les forces de sécurité. En outre, elle donnerait à chacun la certitude de partir à la bataille à armes égales. Et obligerait les vaincus, quels qu’ils soient, à accepter le verdict des urnes. Le défi est de taille mais pas impossible à relever. À condition de s’en donner les moyens.
Car, pour l’heure, tout reste à faire, du recensement électoral à la distribution des cartes d’électeur sécurisées avec photo numérisée, en passant par la formation des agents électoraux. Le budget prévisionnel de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a été fixé à 17 milliards de F CFA (environ 26 millions d’euros), dont 5 milliards à la charge de l’État. Le reste doit être apporté par les bailleurs de fonds, pressés de soutenir un processus de réconciliation qu’ils n’ont cessé d’appeler de leurs voeux. Des experts internationaux sont déjà sur place, à Lomé, alors que le matériel électoral en provenance de la République démocratique du Congo (RDC) doit être entièrement reformaté. Cela comprend notamment la réinitialisation du logiciel informatique qui sera utilisé pour le traitement et la compilation des résultats. « Nous avons besoin du concours de la communauté internationale pour que la Ceni ait les moyens de son action et que le dispositif de sécurité rompe totalement avec les habitudes du passé », a déclaré le ministre de la Coopération, Gilbert Bawara. Afin d’éviter des violences électorales coutumières au Togo, les militaires devront rester dans les casernes. Environ 6 000 gendarmes et policiers seront en revanche déployés sur l’ensemble du territoire.
« On ne vit plus dans le même pays », s’enthousiasme un proche d’Edem Kodjo, de la Convergence patriotique panafricaine (CPP), qui fut le premier chef de gouvernement du président Faure Gnassingbé avant de laisser sa place, en septembre dernier, après la signature de l’accord politique global conclu un mois plus tôt. Le Togo découvre en effet les joies d’une cohabitation apaisée. Bien que perçu comme « l’héritier » du régime, le chef de l’État n’a pas hésité à tendre la main au-delà de son camp incarné par l’ex-parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). L’un des fondateur du Comité d’action pour le renouveau (CAR), Yawovi Agboyibo, dirige un gouvernement d’union nationale qui rassemble quasiment toutes les sensibilités du pays. Avec une exception de poids, l’Union des forces de changement (UFC) de l’opposant historique Gilchrist Olympio, qui a opté pour la chaise vide après avoir revendiqué le poste de Premier ministre. Mais, là aussi, les choses sont en train d’évoluer. Le temps du boycottage et des élections tronquées semble révolu. Lors de sa tournée dans le pays, fin avril, Olympio a réaffirmé que sa formation allait partir à la conquête du Parlement. Une première pour l’UFC, qui a boudé toutes les législatives (février 1994, mars 1999 et octobre 2002) pour se consacrer aux joutes présidentielles (en juin 1998 avec Gilchrist Olympio, en juin 2003 et en avril 2005 avec Bob Akitani). Autant d’éléments qui compliquent singulièrement le jeu des pronostics.
Le bilan du RPT, après trente-huit années de pouvoir, n’a pas de quoi soulever l’enthousiasme des populations. Le parti présidentiel peut, toutefois, compter sur son enracinement local, sa large couverture géographique, le soutien des élites, l’appui de l’appareil administratif, la fidélité de l’armée et les réflexes claniques pour demeurer l’incontournable force politique du pays. Il n’empêche, le nouveau mode de scrutin de liste à la proportionnelle rend très improbable la possibilité d’obtenir, pour qui que ce soit, une majorité absolue des 81 sièges à pourvoir. « On se dirige vers des alliances qui permettraient de constituer une majorité de gouvernement, en fonction du poids de chacun », résume un observateur. Avant d’ajouter : « les antagonismes entre la CPP, le CAR, la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) de Léopold Gnininvi, d’un côté, et le RPT, de l’autre, finiront par disparaître, car ils reposent presque exclusivement sur la personne du général Eyadéma ». « Il y a en effet une convergence d’intérêts entre les partis qui composent l’actuel gouvernement », ajoute un fonctionnaire international. Aujourd’hui, les stratégies de conquête ou de conservation du pouvoir ne sont plus les mêmes. Nul doute que les élections législatives consacreront une refondation politique déjà perceptible.
Si les « partis du centre » (CAR, CDPA, CPP) n’ont rien à perdre, les deux formations inconciliables sur l’échiquier politique togolais ont, en revanche, tout à craindre de ce rendez-vous. Le RPT va définitivement tourner la page de l’hégémonie. Voici venu le temps de l’humilité. L’ex-parti unique, obéissant à un chef tout-puissant, devra désormais accepter les inconnues du suffrage universel. « Nous avons déjà partagé le pouvoir pendant deux ans », tient à rappeler le secrétaire général du parti, Solitoki Isso, faisant également référence à l’expérience Edem Kodjo entre 1994 et 1996. Reste que les difficultés rencontrées pour l’investiture des candidats confirment le climat de tension entre modérés et conservateurs. Au coeur de la tourmente, notamment, la candidature du ministre de la Défense, Kpatcha Gnassingbé, représentant de l’aile dure du clan Eyadéma. « Il y a des mouvements d’humeurs ici et là. Des conciliations sont en cours, mais les listes ne sont pas finalisées. Le ministre est candidat dans la préfecture de Kozah (dans le nord du pays), mais la commission des investitures n’a pas encore statué », précise Solitoki Isso. Situation similaire à l’UFC, qui reste dans l’expectative quant à sa représentation sur les bancs de la future Assemblée nationale. De ce point de vue, la vérité des urnes pourrait susciter des déconvenues pour une formation qui s’est continuellement présentée comme la première force politique du Togo. « Nous comptons sur la tenue d’élections fiables. Si l’on peut garantir un minimum de transparence et de crédibilité, on pourra enfin connaître la représentativité de chacun. Et si nos résultats sont inférieurs à ceux que nous espérons, nous serons prêts à discuter avec nos camarades de l’opposition pour constituer une majorité », assure le secrétaire général de l’UFC, Jean-Pierre Fabre, qui s’interroge, toutefois, sur l’opportunité du calendrier fixé à Ouagadougou. « Pourquoi se précipiter alors que le mandat de l’actuelle législature se termine en octobre ? Pourquoi ne pas exploiter ce délai afin de préparer au mieux le scrutin ? Il y a de quoi se poser des questions », conclut-il, en faisant mine d’oublier que c’est l’accord politique global qui impose la tenue d’élections anticipées. Une décision prise, à l’époque, pour maintenir la pression sur la classe politique, jouer sur la dynamique de paix et tenir compte des aspirations légitimes de l’opinion publique. Une chose est sûre : le processus en cours mise avant tout sur la sincérité du plus grand nombre tout en isolant les nostalgiques de l’épreuve de force. Il serait dommage de ne pas poursuivre sur cette lancée.

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