L’enjeu militaire

La délicate étape du démantèlement des milices, du désarmement des ex-combattants et de la mise en place de la nouvelle armée peut-elle compromettre le processus de paix ?

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Fin juin au plus tard, le président Laurent Gbagbo sera de retour dans l’ouest du pays afin d’y inaugurer un centre d’accès au service civique. À cette date, les milices de cette région, qui se réclament de son camp, auront rendu toutes leurs armes. Celles qui ont été symboliquement déposées devant le chef de l’État le 19 mai un millier au total ne constituaient, en réalité, qu’une partie de l’arsenal qui a « équipé » ces soldats de fortune autoproclamés « résistants » ou « groupes d’autodéfense » et qu’ils utilisaient plus pour en vivre que pour défendre « la patrie en danger ».
Opération complexe s’il en est, le démantèlement des milices, comme les Forces de résistance du Grand Ouest (FRGO), concerne une dizaine de groupes armés dont les effectifs sont évalués à plus de 10 000 hommes disséminés à travers tout le pays. Aux termes de l’accord de Ouagadougou du 4 mars 2007, il revient au Centre de commandement intégré (CCI, structure réunissant les états-majors des deux armées ex-belligérantes) de les désarmer et de les regrouper sur dix-sept sites en cours de réhabilitation. Le CCI devrait mener les discussions avec les chefs de milices du 28 mai au 2 juin, avant de procéder, « si tous les moyens sont réunis », au démantèlement proprement dit, dès le 5 juin.
Après plusieurs tentatives avortées, y parviendra-t-il ? Du succès de cette opération dépend, en tout cas, le désarmement des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, l’exrébellion). Celui-ci devrait intervenir après l’identification de la population, l’élaboration de listes électorales fiables… Et la reconnaissance des grades des militaires ex-insurgés. Une question plus que délicate pour le chef de l’État. Afin de ne pas fâcher les soldats loyalistes, Laurent Gbagbo leur a assuré qu’aucun ancien rebelle ne les commanderait. Il a promis, en outre, qu’il réexaminera les promotions accordées par la direction politique des FN. « Des caporaux devenus commandants, ça jamais ! L’armée ivoirienne n’est pas une armée mexicaine », a-t-il plusieurs fois confié au chef d’étatmajor des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci), le général Philippe Mangou.
De leur côté, les FAFN considèrent la sauvegarde des galons acquis à la faveur de la crise comme une question d’honneur militaire. Et n’ont pas manqué de le signifier à leur leader politique, Guillaume Soro, devenu Premier ministre au lendemain de l’accord de Ouagadougou.
Le 4 avril, à l’occasion d’une réunion du CCI, l’étatmajor des FAFN a exposé « dix-neuf préoccupations » qui restent comme des préalables à la création d’une armée unifiée et pacifiée : reconnaissance des grades, indemnisation des victimes de guerre des deux forces ex-belligérantes, paiement des arriérés de soldes « dus » aux ex-soldats des Fanci considérés comme des « déserteurs » au moment de leur ralliement aux FN Philippe Mangou, obligé de ménager la susceptibilité de ses propres troupes loyalistes, y a opposé un non diplomatique, proposant qu’une commission soit mise en place pour étudier grades, soldes et indemnités au cas par cas.
Devant un tel blocage, le président burkinabè, Blaise Compaoré, maître d’oeuvre de l’accord de paix du 4 mars, qui veille à son application, a invité Gbagbo et Soro à trouver une solution. Le 16 mai, après un tête-à-tête de plusieurs heures, le chef de l’État ivoirien et son Premier ministre sont tombés d’accord : les militaires ex-rebelles seront traités en fonction de leur position hierarchique. En attendant son application, l’arrangement doit recevoir cependant l’approbation des deux etats-majors. De longues et rudes negociations en perspective.
Anciens officiers des Fanci, les generaux Soumaila Bakayoko et Michel Gueu, respectivement chef d’etat-major et inspecteur des FAFN, promus a la faveur de la crise, conserveront leurs galons. Les deux hommes, veritables intermediaires entre les troupes et les dirigeants politiques, ont ete de toutes les ceremonies et de toutes les signatures d’accord aux cotes de Gbagbo, Soro et Mangou. Difficile des lors de revenir sur leur position.
La deuxieme categorie englobe les sous-officiers et soldats du rang qui, depuis le 19 septembre 2002, ont mene des operations sur le terrain, dirige des unites, ont ete promus commandants et places a la tete de zones militaires. Il s’agit des « com-zone » Herve Pelikan Toure, alias Vetcho, Zakaria Kone, Issiaka Ouattara, Ousmane Coulibaly, Losseni Konate, Cherif Ousmane, Morou Ouattara, Fofie Kouakou Martin… Tous conserveront leurs grades actuels jusqu’a la fin du processus de paix. Ils seront ensuite mis d’office a la retraite de l’armee ou deployes dans d’autres corps (Douanes, Eaux et Forets, etc.). Meme pour y pantoufler, il est fort a parier toutefois que la plupart d’entre eux hesiteront a choisir de rester dans la fonction publique. Leur fonction au sein des zones sous leur commandement leur ayant confere autrefois un statut de potentat local, ces sous-officiers ne sont pas disposes a se plier a des contraintes qu’ils avaient peu ou prou oubliees.
Gage d’une tranquillite durable, l’integration des nombreux hommes du rang des FAFN reste plus problematique. Gbagbo et Soro sont d’ores et deja convenus de recourir a diverses methodes de reinsertion. Tout d’abord, ce sont entre 2 000 et 4 000 ex-rebelles qui rejoindront les effectifs de la nouvelle armee ivoirienne. A condition toutefois qu’ils remplissent les criteres ordinaires d’acces aux Fanci : nationalite, age, aptitude physique…
D’autres combattants, dont le nombre n’a pas encore été determiné, seront pris en charge dans le cadre du service civique, une structure mise en place par le president Laurent Gbagbo pour assurer la formation et la reinsertion professionnelles des jeunes.
Le reste des effectifs des FAFN sera deployé dans des projets finances par des bailleurs de fonds internationaux et necessitant une importante main-d’oeuvre. La Banque mondiale a propose a Guillaume Soro de reconduire les actions qu’elle avait menees en Afrique du Sud au milieu des annees 1990. Des centaines de milliers de jeunes Noirs, marginalises par le systeme de l’apartheid, avaient alors beneficie d’un programme de reinsertion professionnelle. Le chef du gouvernement a donne son accord au projet tout en demandant, pour tout ou partie de son financement, le transfert des 15 milliards de F CFA destines, a l’origine, au « filet de securite « , le pecule verse aux hommes demobilises. « Un combattant qui recoit 499 500 F CFA [pour prix de son desarmement, NDLR] peut depenser cette somme en une nuit dans un maquis. S’il se reveille le lendemain avec la gueule de bois, il peut etre tente de reprendre son arme, a argumente le Premier ministre devant les bailleurs de fonds. Mieux vaut financer des projets qui creent des emplois durables. Je veux assurer des revenus perennes a mes hommes pour qu’ils ne basculent plus dans la violence. »
Au-dela des gesticulations politiques, Guillaume Soro tout comme Laurent Gbagbo savent que la levee des obstacles militaires, l’aboutissement du processus de desarmement et de demantelement des milices demeurent les principales hypotheques d’une paix durable dans le pays.

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