Le consensus de Fort-Lamy n’est pas éternel
C’est au cours d’une séance à huis clos particulièrement tendue que les chefs d’État de la Cemac, réunis dans la salle Toumaï de l’hôtel Kempinski de N’Djamena, ont relevé de ses fonctions Jean-Félix Mamalepot le 25 avril dernier. Gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique centrale depuis près de dix-sept ans, ce haut fonctionnaire gabonais était l’objet de critiques de plus en plus vives, notamment de la part des autorités équatoguinéennes. Finalement, Malabo a obtenu gain de cause, puisque le patron de la BEAC est rentré au pays, remplacé par le vice-gouverneur congolais Roger Rigobert Andely, qui assurera l’intérim jusqu’à la nomination de son successeur.
Reste à savoir qui prendra la suite… Pour l’heure, il n’y a ni gagnant ni perdant. « En fait, Obiang Nguema faisait une fixation sur la personne de Mamalepot, analyse un diplomate en poste dans la région. Il a fini par avoir sa tête, ce qu’Omar Bongo Ondimba lui a stratégiquement concédé. En revanche, le président gabonais a obtenu le soutien de ses pairs lorsqu’il a fallu réaffirmer le consensus de Fort-Lamy. » Cet accord, qui porte l’ancien nom de la capitale tchadienne où il fut adopté en 1973, fixe les règles de répartition des postes au sein de l’ensemble sous-régional. Il prévoit notamment que le gouvernorat de l’institut d’émission revienne au Gabon, et le vice-gouvernorat au Congo ou au Tchad. En contrepartie, le siège de la BEAC se trouve à Yaoundé.
De la même manière, la répartition des institutions sur le territoire communautaire est censée respecter des critères d’équité. Ceux-ci prévoient notamment que le secrétariat exécutif se situe à Bangui et que la fonction soit dévolue à un Camerounais. En revanche, la Banque de développement des États de l’Afrique centrale est hébergée à Brazzaville, la cour de justice à N’Djamena, la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale
(BVMAC) à Libreville et la Cobac (Commision bancaire d’Afrique centrale) à Douala. Enfin, le Parlement de la communauté siégera à Malabo.
Cette répartition des postes et des institutions relève d’un gentlemen’s agreement datant d’une époque où l’Udeac ne comptait que cinq membres, et où la Guinée équatoriale n’appartenait pas à ce club. Depuis, l’ex-colonie espagnole est devenue membre de la zone franc et a acquis une puissance financière incontestable. Bref, la donne a radicalement changé, et la présence d’un sixième membre devrait justifier à elle seule un réaménagement des structures communautaires. Mais si Malabo le souhaite fortement, ses partenaires ne sont pas unanimes. « Je ne pense pas que les cinq membres fondateurs accepteront de revenir sur le consensus de Fort-Lamy, explique un haut fonctionnaire gabonais. Parce que si l’on remet en cause la répartition des responsabilités au sein de la BEAC, il faudra en faire autant pour toutes les instances de la Cemac, ce qui risquerait de fragiliser tout l’édifice communautaire. »
Les revendications équatoguinéennes, appuyées notamment sur le volume des réserves monétaires, suscitent d’ailleurs de vives critiques. « Ce n’est pas parce qu’il détenait plus de devises que d’autres que le Gabon a obtenu le poste de gouverneur de la BEAC. Si tel était le cas, le siège de la Cemac ne serait pas à Bangui, analyse un diplomate. Aujourd’hui, la Guinée équatoriale bénéficie de recettes pétrolières qui lui permettent d’accumuler d’importantes réserves monétaires. Mais qui peut certifier que, d’ici à quinze ans, ces avoirs seront toujours aussi importants ? Et faudra-t-il alors changer de gouverneur tous les trimestres au motif que tel pays détient plus de devises que tel autre ? »
Sans déboucher sur des réformes majeures, le sommet de N’Djamena a déjà permis à Malabo d’obtenir quelques concessions de ses partenaires. Le rapport du comité de pilotage des réformes, présidé par Teodoro Obiang Nguema, a été approuvé. Il prévoit notamment d’instituer une commission qui remplacera le secrétariat exécutif de la Cemac. Celle-ci sera dirigée par un président et chaque État membre y sera représenté par un commissaire. Parallèlement, le rapport prévoit de poursuivre la réflexion sur le principe de rotation des postes.
Pour la Banque centrale, le sacrifice de Mamalepot n’a pas été la seule mesure annoncée. D’ores et déjà, la création de trois directions générales et de douze directions techniques devrait permettre d’assurer la participation de tous pour une prise de décision collégiale au sein de la BEAC. Bref, l’omnipotence du gouverneur appartient au passé : un comité de politique monétaire composé de personnalités désignées par chaque État sera créé, et chaque pays membre détiendra deux sièges au conseil d’administration. De quoi calmer, au moins momentanément, les attentes équatoguinéennes.
« Le comité de pilotage a obtenu l’approbation de son rapport d’étape qui institue l’égalité au niveau de la représentation et la collégialité dans les prises de décision », explique Baltasar Engonga Edjo, le ministre équatoguinéen de l’Intégration sous-régionale, qui entend bien aller plus loin : « Nous allons maintenant proposer d’instituer une rotation à la tête de la Commission de la Cemac et de la Banque centrale. Le président de la Commission sera nommé pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois, et le gouverneur de la BEAC pour un mandat de sept ans non renouvelable. Une rotation sera instituée entre États membres selon l’ordre alphabétique en français. J’espère que cette réforme pourra être adoptée au sommet des chefs d’État qui se tiendra en mars 2008 à Yaoundé, comme l’avait initialement prévu le comité de pilotage. » Une rencontre qui risque d’être animée
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