À la recherche des coupables

La Cour pénale internationale ouvre pour la première fois une procédure pour crimes sexuels. Mais l’enquête, sur des faits qui remontent à quatre ans, risque d’être longue.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a annoncé, le 22 mai, l’ouverture d’une enquête en République centrafricaine (RCA) sur des exactions qui auraient été commises en 2002 et 2003. Il s’agit, pour l’essentiel, de crimes sexuels dont se seraient rendus coupables des combattants du Mouvement de libération du Congo (MLC), à l’époque groupe rebelle dirigé par Jean-Pierre Bemba. Ils avaient été appelés à la rescousse par le président centrafricain Ange- Félix Patassé, menacé par une tentative de putsch menée par le général François Bozizé.
C’est la première fois que la CPI ouvre une procédure pour crimes sexuels. Celle-ci est partie d’informations fournies par l’État centrafricain, des organisations de défense des droits de l’homme et des centaines de victimes. Les accusations qui la fondent sont précises et étayées, a confié Luis Moreno-Ocampo à ses collaborateurs de la CPI avant d’ouvrir son instruction. Au moins 600 victimes, sur une courte durée de six mois, ont déjà été recensées. Les crimes ont été probablement commis à Bangui mais également dans d’autres localités du pays. C’est la RCA qui a saisi la CPI pour crimes perpétrés sur son territoire à partir du 1er février 2002. Un an plus tard, le 13 février 2003, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) est intervenue dans la procédure, introduisant une plainte suite à une enquête qu’elle a menée sur le terrain. Si pour l’heure encore aucun coupable n’a été désigné, trois noms sont souvent cités : l’ancien président Patassé, aujourd’hui en exil au Togo, le sénateur congolais Jean-Pierre Bemba, leader du MLC, et Paul Barril, ex-gendarme français responsable de la garde présidentielle de Patassé.
La collaboration Bemba-Patassé n’était pas évidente au départ. Quand une nouvelle guerre éclate en République démocratique du Congo (RDC) en 1998, le fief du MLC se trouve à Gbadolite, dans la province de l’Équateur, voisine de la RCA. Une position inconfortable pour le président centrafricain, qui doit fermer la porte à Bemba pour ne pas mécontenter Laurent-Désiré Kabila, lequel est soutenu par des Tchadiens ayant la RCA comme base arrière. Selon un ancien responsable des renseignements militaires du MLC, Bemba, alors exaspéré par cette situation, décide d’entrer en contact avec Patassé, par l’entremise du président gabonais Omar Bongo Ondimba. Il veut le convaincre de ne plus laisser ses ennemis l’attaquer à partir de son pays.
Décision difficile à prendre pour le numéro un centrafricain, conscient d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de Kinshasa en cas d’engagement aux côtés de Bemba. S’il promet d’agir, il ne fait rien concrètement. Sur le terrain, le MLC parvient à reprendre Zongo à l’armée de Kabila. Des tirs de mortier prennent la capitale centrafricaine pour cible. Objectif : impressionner Patassé. Cet « avertissement » est bien reçu. Bangui accepte de coopérer. C’est le début d’une alliance. Patassé appelle Bemba « Fils » et celui-ci l’appelle « Père ». Le MLC est autorisé à utiliser l’aéroport de Bangui à trente minutes de Gbadolite pour les voyages de ses dirigeants à l’étranger, alors qu’ils passaient auparavant par Kampala. Les liens se consolident au point que le « Père » aurait pris l’initiative de présenter le « Fils » à Mouammar Kadhafi, le « Guide » libyen.
Dans la nuit du 27 mai 2001, des tirs d’armes automatiques retentissent à Bangui, près de la résidence du chef de l’État. Le lendemain, la capitale se transforme en champ de bataille. L’armée centrafricaine affronte des troupes qui tentent de prendre le pouvoir. Pour le gouvernement, ce coup de force a été préparé par l’ancien président André Kolingba, avec la complicité de certaines personnalités, comme le ministre de la Défense Jean-Jacques Démafouth. Dès lors, Patassé fait appel à ses amis pour sauver son régime. Des soldats libyens débarquent à Bangui, tout comme les rebelles du MLC. Après cette première intervention, de nombreux témoignages parlent déjà de cas de viols et des pillages commis principalement par les hommes de Bemba.
En octobre 2002, nouvelle épreuve pour le chef de l’État centrafricain : le patron de l’armée, François Bozizé, veut le renverser. Une nouvelle fois, les rebelles congolais sont appelés à la rescousse, aident Patassé à conserver le pouvoir, et commettent les mêmes crimes qu’en mai 2001. Mais les plus graves exactions seront commises en 2003 lorsque Bozizé revient en force pour renverser Patassé. Celui-ci, comme d’habitude, se tourne vers Bemba, qui lui envoie d’importants renforts. Une fois de plus, les combattants du MLC terrorisent les civils. D’après un ancien proche collaborateur de l’exchef rebelle, les opérations en RCA étaient dirigées à l’époque par les commandants Bokolombe et Mustapha. Le premier, aujourd’hui colonel de l’armée congolaise, est actuellement détenu à la prison centrale de Kinshasa pour son rôle présumé dans les massacres du Bas-Congo, fin janvier-début février 2007, alors qu’il commandait des forces de police. Le second, également officier de l’armée nationale, est en poste dans le Bandundu (ouest de la RDC). Bemba lui-même avait fait passer devant un tribunal militaire certains de ses hommes soupçonnés de s’être mal conduits en RCA. À charge maintenant pour la CPI de déterminer la responsabilité des uns et des autres. Y compris celle d’Ange-Félix Patassé et de Jean-Pierre Bemba. L’enquête risque d’être bien longue.

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