L’Afrique boycottée ?

Depuis une décennie, le Festival boude les films subsahariens et, dans une moindre mesure, maghrébins. Pour de bonnes et de moins bonnes raisons.

Publié le 28 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

« Aucun film africain n’a été sélectionné en compétition pour la Palme d’or depuis dix ans. Est-ce un délit de faciès lié à la couleur de nos images ? » À quelques jours de la clôture du Festival de Cannes, la Guilde africaine des réalisateurs et producteurs s’est insurgée contre ce qui lui apparaît comme une sorte de boycottage du continent par les sélectionneurs de la plus grande manifestation cinématographique mondiale.
Le 24 mai, lors d’une conférence de presse dans l’enceinte du Palais des festivals, les responsables de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) s’étaient, eux aussi, montrés fort préoccupés par cette absence prolongée. Si leur charge a été moins violente, quoique aussi explicite, que celle de leurs confrères, c’était sans doute en raison de la présence du président du Festival, Gilles Jacob, lequel avait tenu à les accueillir en personne dans ses locaux et à les assurer de sa volonté de « tout faire pour aider le cinéma africain ».
Reste à savoir si cet « oubli » désormais quasi systématique de l’Afrique noire – le Maghreb étant à peine mieux traité – n’est pas tout simplement la conséquence de la faiblesse quantitative, technique et artistique de la production africaine récente. C’est ce que laisse entendre la direction du Festival, qui, dans un communiqué, estime que « lorsqu’il n’y a pas de films, c’est toujours le signe que le cinéma ne va pas bien dans une région ». L’argument – qui n’est certes pas sans fondement – nous avait déjà été opposé, l’an dernier, par Thierry Frémaux, le responsable de la sélection. Faire de la « discrimination positive pour l’Afrique » lui paraissait une attitude indigne. Soit, mais on a quand même peine à croire que, depuis une décennie, aucun film subsaharien n’était digne de la sélection.
À preuve, depuis à peine trois ans, l’Afrique a remporté un Oscar à Hollywood et un Ours d’or au festival de Berlin (dans les deux cas avec des films sud-africains), ainsi qu’un Grand Prix du jury à la Mostra de Venise (pour Daratt, du Tchadien Mahamat Saleh Haroun). L’an dernier à Cannes, Bamako, d’Abderrahmane Sissako, a été très favorablement accueilli par la critique et le public, mais n’a eu droit qu’à une projection hors compétition. Même chose, l’année précédente, pour le Moolaadé de Sembène Ousmane.
De plus, et c’est peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, Gilles Jacob a passé commande cette année, pour le 60e anniversaire de la manifestation, de 33 films de trois minutes à 35 réalisateurs (2 d’entre eux sont cosignés par des frères, les Coen et les Dardenne), dont aucun n’est originaire d’Afrique subsaharienne, seul Youssef Chahine représentant le continent. Un « casting » que, outre les Africains, de nombreux professionnels présents à Cannes jugent pour le moins discutable.
Interrogé par nos soins, le président du Festival répond, de manière évasive, que l’Afrique est malgré tout présente dans ce film collectif par le biais de la contribution de Wim Wenders (qui met en scène une séance de cinéma en plein air, au cur du continent). Devant notre perplexité, il ajoute qu’un réalisateur africain aurait fort bien pu participer à cette uvre, « par exemple quelqu’un comme Souleymane Cissé », mais qu’en raison du format indépassable du film, de nombreux grands noms du cinéma, sans considération d’origine géographique, ont dû être écartés. D’autres projets collectifs du même type seront réalisés dans les années à venir, « certainement avec un ou plusieurs cinéastes d’Afrique noire », explique Gilles Jacob. Acceptons-en l’augure.
Il est certain qu’après avoir été à la mode dans les années 1980 et 1990, le cinéma d’Afrique noire a aujourd’hui perdu l’essentiel de sa « visibilité » internationale. Il souffre d’un « déficit d’attention », selon le bel euphémisme du cinéaste burkinabè Gaston Kaboré. D’autant que plusieurs de ses figures « historiques », comme Cissé ou Idrissa Ouédraogo, ne tournent plus de longs-métrages pour le grand écran depuis de nombreuses années.
Le plus grave est que, sauf exception, la situation risque de ne pas vraiment s’améliorer à très court terme. À Cannes, l’Afrique est non seulement absente de la compétition pour la Palme d’or, mais de toutes les autres sélections, en particulier de la Semaine de la critique (consacrée aux premiers films) et des diverses compétitions réservées aux courts-métrages, là où se prépare l’avenir. Par chance, la montée en puissance de la technologie numérique, en abaissant sensiblement le coût des tournages, devrait aider la production africaine à retrouver un certain dynamisme. Surtout si les États africains, seuls ou en se regroupant, prennent conscience de l’importance de créer et de diffuser leurs propres images. Quant aux effets de mode, on sait qu’ils sont par nature changeants. Mais à quelle échéance ?

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