Explorateurs de la langue

Du théâtre au roman en passant par l’autobiographie, les nouveaux auteurs ont su s’inspirer de leurs aînés pour renouveler tous les genres.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Pionnière et novatrice, la littérature togolaise occupe une place à part dans le champ littéraire africain. En 1926, paraît L’Esclave, de Félix Couchoro, l’un des tout premiers romans francophones africains. Conteur truculent, Couchoro fait dans cette oeuvre à la fois ethnographique et psychologique le récit des heurs et malheurs d’un esclave qui se révolte contre son sort et s’en prend à la famille de son maître. C’est un Togolais, F. K. Fiawoo, qui a également écrit la première pièce de théâtre africaine en langue éwé : Toko Atolia. Parue en 1937, celle-ci fut très vite traduite en langues européennes, notamment en français sous le titre de La Cinquième Lagune. Enfin, peu de gens savent que la première femme de lettres africaines est une Togolaise : Marthe Aféwélé Kwami a signé en 1938 un texte autobiographique en allemand (titre français : Autobiographies d’Africains) destiné aux lecteurs européens.
Ces oeuvres pionnières et multilingues témoignent de la complexité de la situation sociolinguistique de ce pays ouest-africain, colonisé d’abord par les Allemands (dès 1884), avant d’être placé sous mandat français par la communauté internationale après la Première Guerre mondiale. Les littératures en langues européennes ont coexisté avec une production riche et diversifiée en langue locale, en l’occurrence en éwé. Les missionnaires allemands, qui ont débarqué dans cette région au milieu du XIXe siècle, se sont appuyés sur l’éwé pour s’acquitter plus efficacement de leur mission d’évangélisation. Ils ont codifié la langue, ont traduit la Bible et d’autres textes religieux, mettant ainsi en branle le processus par lequel une langue de communication orale acquiert le statut d’une langue littéraire. Aujourd’hui encore, en plus d’être une langue de communication dans plusieurs pays (notamment entre le Ghana et le Togo), l’éwé est le support d’une production littéraire écrite très variée, à la fois savante et populaire, religieuse et laïque.
Arrivé au Togo en 1919, le français a eu beaucoup de mal à s’imposer et s’est très vite trouvé en concurrence avec l’éwé. Aussi la production littéraire francophone a-t-elle été peu significative (une centaine de titres en tout) pendant toute la période coloniale et même après. Seuls des écrivains tels que Félix Couchoro, David Ananou, auteur du Fils du fétiche, Victor Aladji ou Yves- Emmanuel Dogbé ont réussi à marquer les imaginations. Mais c’est essentiellement dans le domaine du théâtre que la production francophone togolaise a fait preuve d’une grande créativité et d’une certaine liberté de ton, à l’image des oeuvres de Sénouvou Agbota Zinsou, la grande figure du théâtre postcolonial du Togo. Auteur prolifique de plus d’une quinzaine de pièces, il a dirigé la troupe nationale togolaise avant de s’exiler pour échapper à la censure. Parmi ses écrits les plus connus : On joue la comédie (1972) et La Tortue qui chante (1987), des oeuvres primées lors des festivals du théâtre interafricain.
Le véritable tournant de la littérature francophone du Togo se situe à la fin des années 1980 lorsqu’une nouvelle génération de dramaturges et de romanciers prend d’assaut la scène littéraire et renouvelle les genres par leur inventivité narrative et formelle, qui les rapproche davantage de Beckett et de Kafka que des modèles hérités de leurs prédécesseurs. Ces auteurs ont pour nom Kossi Efoui, Kangni Alem, Sami Tchak (lauréat du prix Ahmadou-Kourouma 2007) et Edem Kodjo. Puisant leurs thématiques dans l’actualité sombre de leur pays et de leur continent (totalitarisme, inégalité, tragédie de l’immigration), ils racontent la violence, la déshumanisation à travers des récits déconstruits, dépouillés, mais toujours d’un souffle poétique extraordinaire. « Écrire pour nous, c’est dire la honte, ce sentiment qui s’oppose au narcissisme ambiant et qui appelle au suicide, et à la renaissance, du Muntu [l’homme bantou] », explique Kossi Efoui, pour définir son art littéraire et celui de toute sa génération.

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