Chirac d’Arabies

Un logement prêté par la famille Hariri, des vacances marocaines de rêve… Quand la « politique arabe de la France », chère à l’ancien président, devient une affaire privée.

Publié le 28 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est dans un cinq étoiles de luxe, où le prix de la chambre varie entre 540 et 1 000 euros la nuit, où les enfants de moins de 12 ans ne sont pas admis, histoire de ne pas déranger les clients, où les chiens par contre le sont, à condition d’être petits et tenus en laisse, que Jacques et Bernadette Chirac ont entamé, le 22 mai, leurs vacances de retraités de la politique. Arrivée en catimini – aucun journaliste admis – dans l’après-midi à bord d’un jet privé, accueil par le préfet d’Agadir, puis direction La Gazelle d’Or, à Taroudant, à 80 kilomètres de là, un établissement de 29 chambres-bungalows créé en 1956 par un baron belge, racheté en 1981 par la femme d’affaires marocaine Ghita Bennis et où le couple Chirac a l’habitude de séjourner deux fois par an, à Pâques et à Noël. Un séjour dans le royaume qui devrait durer une bonne dizaine de jours, puisque M. et Mme Chirac sont attendus au Festival des musiques sacrées de Fès au tout début de juin. L’hospitalité marocaine étant, comme chacun le sait, aussi légendaire que discrète, la question de savoir qui, de Jacques Chirac ou de ses hôtes, règle la note de cette escapade en terre chérifienne (avion compris) ne sera pas posée.
Ce qui l’est, en revanche, et avec une insistance croissante, c’est le bien-fondé en termes de morale et de sens de l’État du choix fait par le couple Chirac de résider à Paris, ne fût-ce qu’à titre temporaire, dans un appartement prêté par la famille de l’ancien Premier ministre et homme d’affaires libanais Rafic Hariri. Un choix qualifié d’« indigne » par Charles Pasqua lui-même, peut-être pas le mieux placé pour en juger, mais qui a toujours été très lucide sur les errements de son ex-compagnon de route. Ce logement de 180 mètres carrés quai Voltaire, propriété d’Ayman Hariri, fils cadet du défunt Rafic, gérant pour le compte de la famille du holding Saudi-Oger et titulaire d’une fortune personnelle estimée par Forbes à 1,6 milliard de dollars, résume à lui seul l’extrême personnalisation des relations entre Jacques Chirac et le Liban. Entre Jacques le Corrézien et Rafic le Levantin, l’amitié remonte au début des années 1980, alors que le premier est encore maire de Paris et le second déjà milliardaire. Elle deviendra vite indéfectible. À Chirac, Hariri apporte certes sa connaissance de l’Orient compliqué, mais aussi et surtout les effets de sa proverbiale générosité. Vacances au sultanat d’Oman ou sur un yacht au large de Capri, invitations aux mariages de ses enfants, avion privé mis à la disposition de Laurence, l’aînée des deux filles Chirac, pour aller se faire soigner aux États-Unis. Ces petits gestes de la part d’un homme qui ne lui a jamais manqué, même aux pires moments de sa traversée du désert, Jacques Chirac ne les oubliera pas. Son soutien politique à Rafic Hariri, Premier ministre du Liban à deux reprises entre 1992 et 2004, sera sans aucune nuance. Pas un mot de critique envers l’ancien petit comptable devenu l’une des plus grosses fortunes du monde, pas un mot sur ses dépenses faramineuses, sur les soupçons de corruption qui l’entourent, sur les financements occultes et l’alourdissement considérable de la dette libanaise. Aveuglé par l’entregent de son ami, ébloui par le strass et les paillettes de son hospitalité, Jacques Chirac lui remet, à Beyrouth, les insignes de grand-croix de la Légion d’honneur et, à Paris, le prix Louise-Michel. Il n’hésitera pas, quelques années plus tard, à comparer Rafic Hariri à Charles de Gaulle : « La même structure d’homme », dira-t-il, « lui aussi a profondément marqué son temps ». Dans sa tombe de Colombey, le Général a dû se retourner
Lorsque, le 14 février 2005, Jacques Chirac apprend l’assassinat de son ami, il est effondré. Il sera le seul chef d’État européen à se rendre à Beyrouth pour présenter ses condoléances à la famille. Bernadette et lui sont aux petits soins pour Nazek Hariri, la veuve, qui vit le plus clair de son temps dans son hôtel particulier de l’avenue d’Iéna, à Paris. Hariri lui avait, en 1996, décerné le label de « héros arabe ». Il le qualifie de « martyr du Liban ». Juste retour des choses. Dès lors et jusqu’à son départ de l’Élysée, le 16 mai dernier, Jacques Chirac n’aura de cesse de venger son ami. La confusion entre relations familiales et affaires d’État est totale pendant plus de deux ans. Chirac rompt tout rapport personnel avec le président syrien Bachar al-Assad, qu’il juge responsable de l’assassinat, exige la tête du président libanais Émile Lahoud, qu’il poursuit de sa vindicte, et fait tout pour qu’un tribunal international chargé de juger le crime voie le jour. Il échouera, non sans avoir tenté, au dernier moment, de transmettre à Nicolas Sarkozy cet étrange héritage. Le 10 mai, six jours avant la passation des pouvoirs, le président sortant appelle le président élu Nicolas Sarkozy à l’Élysée pour lui présenter Saad Hariri, fils et héritier politique de son père, chef de la mouvance antisyrienne au Parlement de Beyrouth. Un peu crispé, Nicolas Sarkozy ne fait aucune déclaration. Mais chacun aura remarqué que la première mission qu’il assignera, deux semaines plus tard, à son nouveau ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner sera de se rendre au Liban.

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