Boycottage à double tranchant

En refusant de participer aux législatives, l’opposition veut créer un électrochoc. Pari risqué.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

« Les opposants ? Ils se font hara-kiri », affirme sans ambages le camp du chef de l’État, Abdoulaye Wade. « Ils ont subi une telle raclée à la présidentielle qu’ils ne veulent pas connaître une débâcle encore plus grande aux législatives », analyse Ousmane Ngom, le ministre de l’Intérieur. Dans la majorité présidentielle, on jubile. Le 3 juin prochain, 150 sièges seront à pourvoir à l’Assemblée nationale. Et sauf accident, tous reviendront à la coalition Sopi 2007. « Les opposants, ils courent à leur perte », lance Pape Diop, le maire de Dakar.
L’opposition est-elle vraiment suicidaire ? Pas si simple. À l’origine de son boycottage des législatives, un chiffre : 55,9 % des voix. C’est le score d’Abdoulaye Wade à la présidentielle du 25 février. Pour Ousmane Tanor Dieng et nombre d’autres candidats malheureux, cette victoire dès le premier tour n’a pu être que le fruit d’une manipulation du fichier électoral. Vrai ou faux ? Ce qui est sûr, c’est qu’ils restent intimement convaincus que le camp du Palais a eu accès à des données informatiques qui lui ont permis de passer le territoire sénégalais au peigne fin et de mobiliser ses troupes aux endroits clés. « J’observe qu’il y a encore des départements, comme celui de Thiès, où l’on n’a pas voté pour moi, mais je vais étudier cela de très près », a déclaré Abdoulaye Wade, quatre jours après son triomphe.
Face au rouleau compresseur Wade, l’opposition a fait ses comptes. « Combien de députés aurons-nous à l’issue des législatives ? Même pas dix ! ont pronostiqué les socialistes. Alors, à quoi bon ? » Mais la décision de boycotter n’a pas été facile à prendre. « On va perdre la tribune de l’Assemblée pendant cinq ans », ont dit beaucoup de militants. « Un député, c’est un salaire de près de 1 million de F CFA par mois, plus un véhicule 4×4. Dans le quartier ou au village, ça ramène des voix », ont ajouté d’autres. « C’est vrai, leur a répondu Tanor, on ne boycotte jamais de gaieté de cur, mais il vaut mieux taper du poing sur la table et créer un électrochoc. » Aujourd’hui, les « partis de l’électrochoc » sont cinq : Rewmi d’Idrissa Seck, le Parti socialiste (PS) d’Ousmane Tanor Dieng, l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) d’Abdoulaye Bathily et le Parti de l’indépendance et du travail (PIT) d’Amath Dansokho. Un « club des cinq » réuni dans le même front : Siggil Sénégal (« Relever la tête du Sénégal », en wolof).
Mais malgré les promesses de l’opposition, toujours pas d’électrochoc à l’horizon. Débutée le 13 mai, la campagne électorale s’avère plutôt ennuyeuse. Quelques « marches bleues » de la coalition Sopi 2007, quelques meetings des opposants qui ont choisi de se présenter, tels le dissident socialiste Robert Sagna, Landing Savané du parti And-Jëf ou Talla Sylla de l’alliance Jëf-Jël. Le dernier recours judiciaire du PS sur la répartition des députés par circonscription a été rejeté par le Conseil d’État, le 23 mai. Pour animer la campagne, quelques médiateurs, comme Babacar Guèye et Alioune Tine, de la société civile, ou l’architecte Pierre Goudiaby, ont bien essayé de faciliter une rencontre entre Wade et ses opposants afin de discuter du fichier électoral et d’envisager un report des élections. Mais rien n’a eu lieu Trop d’intransigeance de part et d’autre.
Sauf surprise, l’électrochoc ne viendra pas non plus de la rue. « Il n’y aura pas d’actes de vandalisme », a prévenu Tanor en référence à la campagne de boycottage que l’opposant Abdoulaye Wade avait menée aux élections locales de 1990. Cette année-là, de nombreux incidents, violents pour la plupart, avaient éclaté. « Idrissa et Tanor ne font pas appel à la rue parce qu’ils n’ont pas de troupes. Ce sont des opposants de salon », persifle un conseiller du chef de l’État. « C’est totalement faux. La base militante, nous l’avons. La campagne présidentielle l’a montré. Simplement, nous sommes des gens responsables », rétorque un cadre socialiste.
Reste l’électrochoc du taux d’abstention. « Notre véritable adversaire, c’est le taux de participation », reconnaît le Premier ministre Macky Sall, tête de liste de la coalition Sopi 2007. « L’objectif de notre coalition, c’est d’obtenir au moins autant de suffrages que le candidat Abdoulaye Wade le jour de la présidentielle, c’est-à-dire au minimum 1,9 million de voix », espère Aziz Sow, le ministre du Nepad, de l’Intégration économique et de la Politique de bonne gouvernance. « Le pouvoir peut afficher l’objectif qu’il veut. De toute façon, le fichier est truqué et nous rejetons à l’avance les chiffres qui seront annoncés », réplique le Parti socialiste.
En refusant de se présenter aux législatives, l’opposition cherche aussi à montrer à l’opinion internationale que le Sénégal ne serait plus la vitrine démocratique de l’Afrique de l’Ouest. Mais au vu de la prochaine visite d’Abdoulaye Wade en France – il doit être reçu début juin par son « ami » Nicolas Sarkozy, le nouveau président français -, le pari est loin d’être gagné

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