Avec la bénédiction du FMI

La chute des productions agricole et minière freine la croissance. Mais les institutions internationales font de nouveau confiance aux autorités.

Publié le 29 mai 2007 Lecture : 8 minutes.

Prenez deux pays limitrophes – le Bénin et le Togo – semblables en bien des points, qui possèdent la même géographie, la même densité de population et le même profil économique, à savoir une croissance reposant sur les mêmes secteurs : l’activité portuaire, l’agriculture, les échanges sous-régionaux ou des filières d’exportation comme le coton. Si le premier est l’un des États les plus aidés du continent au regard de son ouverture politique, le second a vu, au contraire, le robinet de l’aide internationale se couper en 1993 pour cause de « déficit démocratique ». Pourtant, malgré cette différence, les performances de l’un et de l’autre ne sont pas si différentes. Tous deux ont une faible croissance et doivent surmonter des obstacles rédhibitoires à l’investissement – en particulier une offre énergétique limitée et irrégulière. Quant aux opérateurs ­économiques, qu’ils soient à Cotonou ou à Lomé, ils évoluent dans un environnement complexe.

Cette démonstration, mise en évidence par le directeur du département du pilotage et des relations stratégiques de l’Agence française de développement, Jean-Marc Chataigner, à Paris, le 10 mai, lors de la présentation du rapport de suivi sur l’état d’avancement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), joue en faveur du Togo. Depuis près de quinze ans, date de l’interruption des concours extérieurs de l’Union européenne (UE) au lendemain des tragiques événements qui ont accompagné l’élection présidentielle, la vie de ce pays est en suspension permanente. Mais ses performances illustrent une certaine forme de résistance de son économie, que le retour progressif du Fonds monétaire international (FMI) permettra logiquement de relancer. Alors que le Togo n’est plus « sous programme » depuis 2001, l’institution devrait en effet apporter son soutien à la politique macroéconomique du pays à travers une Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). À condition que les élections législatives d’août prochain se déroulent sans heurts et dans la transparence. Alors que des pourparlers ont été engagés dès septembre 2005, le pays bénéficie depuis novembre 2006 d’un programme d’observation de neuf mois (Staff Monitored Program), qui doit théoriquement s’achever en juin prochain. Du 28 février au 13 mars derniers, une délégation du Fonds s’est rendue au Togo en vue d’une reprise de sa coopération avec Lomé. Dans ses conclusions, le FMI note « une reprise de la croissance » drainée par une hausse des investissements publics et l’amélioration des échanges au niveau sous-régional. Celle-ci s’est établie à 1,2 % en 2005 et 1,9 % l’an dernier. Les projections la situent à 3 % pour 2007. L’inflation est par ailleurs maîtrisée : de 6,8 % en 2005, son niveau est tombé à 2 % l’an passé et devrait être de 3 % en 2007.
En dépit des avancées obtenues depuis l’accord politique global du 20 août 2006 (en particulier le déblocage de reliquats dus par le Fonds européen de développement, d’un montant de 60 millions de dollars), la transition observée depuis le décès du président Gnassingbé Eyadéma n’a donc pas réellement permis de dérouiller la machine économique, les opérateurs étant suspendus aux prochaines législatives.

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En attendant le scrutin, l’impératif gouvernemental reste l’adoption d’un budget équilibré, tâche rendue délicate en cette année de consultations électorales. Établies à 246 milliards de F CFA (environ 375 millions d’euros), les recettes restent en deçà des dépenses (259 milliards de F CFA) en raison, notamment, de la revalorisation des salaires des fonctionnaires (+ 5 %) et d’un recours aux dépenses « exceptionnelles et discrétionnaires ». Toutefois, le déficit du solde primaire (dépenses/recettes) se résorbe. La gouvernance économique est également rendue complexe en raison du niveau élevé de la dette extérieure et du faible soutien des partenaires traditionnels du Togo, qui n’interviennent quasiment plus que dans le domaine humanitaire. Une situation clairement admise par le FMI, pour qui une croissance dynamique repose nécessairement sur « une augmentation de l’aide extérieure » dont l’absence a « affaibli les capacités institutionnelles de l’État [Â] et gravement érodé la qualité des infrastructures publiques ». Les voies permettant une hausse des recettes sont essentiellement budgétaires. Un renforcement du niveau de recouvrement des recettes fiscales est d’ailleurs attendu cette année grâce à la réforme des administrations et une informatisation de tous les services. L’accord ardemment souhaité avec les institutions de Bretton Woods n’en est pas moins crucial, puisqu’il permettra d’enclencher le processus de règlement de la dette dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Établi à 782 milliards de F CFA, l’encours de cette dette, dont 45 % sont dus à la Banque mondiale (BM), est insoutenable et représente 90 % du PIB en 2007, loin de la norme imposée par l’UEMOA. Quant à la dette intérieure, un audit du cabinet KPMG couvrant la période 1990-2005 et réalisé l’an dernier l’évalue à 275 milliards – dont 80 milliards dus à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS).
Un programme du Fonds permettrait par ailleurs de « mettre en oeuvre les réformes structurelles prioritaires afin de rétablir la confiance et d’assurer la viabilité de la reprise économique enregistrée récemment ». Le gouvernement devra pour cela finaliser son Document stratégique de lutte contre la pauvreté (DSRP), dont la rédaction a débuté en 2004, et qui doit poser les bases et les grands principes de la politique à suivre au cours des prochaines années pour améliorer la situation des secteurs prioritaires.

Le Togo pourra alors se projeter dans le temps et tourner la page de plus d’une décennie d’austérité dont la population est la première à souffrir. Car malgré les efforts des autorités visant à améliorer les conditions de vie des Togolais, celles-ci se dégradent inéluctablement. Le pouvoir d’achat a chuté de moitié depuis 1983 et n’est soutenu que par les efforts de la diaspora. En 2006, le PIB en valeur courante s’établissait à 1 159 milliards de F CFA. Compte tenu de l’accroissement démographique (+ 2,7 % par an), le PIB par habitant a, lui, constamment chuté à raison de 1 % l’an. Il s’est établi à 186 000 F CFA l’an passé contre plus de 187 000 F CFA un an auparavant. En ce qui concerne les secteurs prioritaires, le pays, qui était autrefois pilote en matière d’éducation en Afrique de l’Ouest, voit ses indicateurs sanitaires et sociaux régresser faute de budgets conséquents.
L’une des réformes prioritaires de relance de la croissance devra en particulier porter sur l’amélioration du climat des affaires. Malgré la révision du code du travail en 2006 et l’existence depuis 1989 d’une zone franche gérée à travers la Sazof (Société d’administration des zones franches) offrant un régime fiscal favorable aux opérateurs, l’attractivité du Togo est altérée par plusieurs facteurs endogènes, indépendamment de sa situation vis-à-vis de la communauté internationale. On peut retenir sur ce point les lourds héritages de l’ère Eyadéma, un appareil judiciaire inefficace, une corruption généralisée ou encore une administration omnipotente de 39 000 fonctionnaires. Une situation fragile vis-à-vis de laquelle les banques observent d’ailleurs une extrême prudence. Faute d’investissements significatifs et victimes d’un niveau élevé de créances douteuses (Banque togolaise pour le commerce et l’industrie, Bia-Togo, Union togolaise de banque), elles préfèrent l’attentisme à la prise de risque, d’où la surliquidité de la place togolaise. Mais de tous ces facteurs, le problème de l’offre énergétique semble le plus néfaste à l’activité et à la compétitivité des entreprises. La production industrielle nationale a reculé de 12 % l’an dernier. Le faible niveau du lac Volta au Ghana, d’où l’électricité est produite via le barrage d’Akosombo, ne fait qu’accentuer la crise qui touche la production électrique. À Lomé, l’ampleur des délestages est telle (parfois plus de douze heures d’affilée) qu’elle a imposé au gouvernement des mesures d’urgence. D’une part l’attribution exceptionnelle de la concession de la Centrale thermique de Lomé (CTL) à l’américain Contour Global en remplacement de la société privée Electrotogo. D’autre part, la décision prise par décret en Conseil des ministres, le 14 mai dernier, d’autoriser la Compagnie Énergie Électrique Togo (CEET), qui n’assurait jusqu’à présent que la distribution, à acheter ou à vendre l’électricité à la filiale togolaise de la société américaine en lieu et place de la Communauté électrique du Bénin (CEB). Cette mesure, effective à partir du 1er juin, devrait pouvoir assurer 100 MW de puissance supplémentaire au pays. L’autre lueur d’espoir est l’achèvement et la mise en service dès cette année de l’oléoduc gazier ouest-africain, qui devrait permettre d’accroître ses ressources énergétiques. Une amélioration d’autant plus attendue que les deux leviers de l’économie, le coton et les phosphates, sont au plus mal. Le premier sombre tandis que le second est discrédité par un processus de privatisation inachevé.

Mise à mal par les conditions de production et le coût des intrants, la filière cotonnière menace en effet de péricliter en raison d’une conjoncture internationale défavorable, mais aussi des problèmes rencontrés par la Société togolaise de coton (Sotoco), qui ont entraîné le départ de plusieurs opérateurs privés, à commencer par le groupe américain Continental Eagle. De 28 000 tonnes de fibres lors de la campagne 2005-2006, la production est tombée à 19 000 tonnes en 2006-2007. Lourdement endettée, la Sotoco, société publique chargée de commercialiser l’or blanc, n’a pu éponger que partiellement les 23 milliards d’arriérés dus aux producteurs, grâce à 6 milliards d’aide exceptionnelle du gouvernement. Mais, outre le désengagement progressif des cotonculteurs, la gestion interne de la Sotoco continue d’être fortement critiquée. Un audit de l’entreprise commandé par le gouvernement a montré de nombreux dysfonctionnements, que l’État s’est engagé à corriger.

Autre poumon économique, le Port autonome de Lomé (PAL), seul port en eau profonde du littoral ouest-africain, semble quant à lui tirer son épingle du jeu, même s’il n’a pas entièrement profité de la crise ivoirienne en raison de la modernisation tardive de ses infrastructures. Sur ce point, la réception de deux nouvelles grues, financées par le groupe espagnol Progosa de Jacques Dupuydauby, allié au français CMA-CGM de Jacques Saadé, a été tardive. Alors que le port d’Abidjan devrait rapidement retrouver son niveau d’activité, le PAL, par lequel transitent plus de 80 % des échanges du Togo, n’est pas parvenu à imposer son leadership sous-régional en dépit d’une localisation avantageuse. Certes, le trafic a augmenté : de 3,97 millions tonnes de marchandises en 2002, il est passé à 5,34 millions en 2006. Quelque 250 000 tonnes de fret ont été transbordées l’an passé, contre 86 000 quatre ans auparavant. Mais le trafic de navires a chuté, passant de 1 113 bâtiments en 2002 à 1 043 en 2006. En outre, les exportations burkinabè (48 000 tonnes en 2002, 239 000 en 2006) et, dans une moindre mesure, maliennes, devraient fortement se contracter dans les prochains mois si les échanges avec la Côte d’Ivoire se fluidifient de nouveau. D’où l’importance pour le PAL de préserver les avantages acquis. Parmi les chantiers prévus, la mise en place d’une communauté portuaire regroupant l’ensemble des acteurs du port, une politique attractive de prix et l’instauration d’un guichet unique facilitant les démarches administratives des opérateurs suffiront-elles ? Rien n’est moins sûr.

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