Avant-première

Après un gel iplomatique de plus de vingt-cinq ans, les deux parties engagent des discussions directes… où il ne sera question que de l’Irak.

Publié le 28 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

« La situation en Irak, toute la situation en Irak, rien que la situation en Irak. » Ni le nucléaire, ni le soutien de Téhéran au Hezbollah libanais, deux questions pourtant au cur du différend américano-iranien, ne figureront au menu des entretiens bilatéraux qui devaient débuter le 28 mai. Qualifiées d’« historiques », ces négociations directes, les premières depuis la rupture des relations officielles entre Washington et Téhéran, provoquée, en 1980, par la crise des otages, devaient se dérouler dans les locaux du ministère irakien des Affaires étrangères, dans la zone verte, le périmètre ultrasécurisé installé au cur de la capitale irakienne. Elles seront menées par Hassan Kazemi-Qomi et Ryan Crocker, les ambassadeurs des deux pays à Bagdad. Crocker, qui a remplacé le « taliban »* Zalmay Khalilzad courant avril, est un diplomate expérimenté, familier du monde persan, qui a été en poste en Iran avant la Révolution islamique de 1979.
Les contacts informels entre Américains et Iraniens se sont multipliés ces dernières semaines, notamment à Charm el-Cheikh, début mai, en marge de la conférence internationale sur l’Irak. Les États-Unis ont besoin de l’appui et de la coopération de la Syrie et de l’Iran pour espérer sortir du bourbier irakien. Le plan de sécurisation de Bagdad, qui s’est matérialisé par l’envoi d’une vingtaine de milliers de GI’s supplémentaires, n’a pas produit les résultats escomptés. Car si le niveau des activités terroristes a légèrement baissé dans la capitale, c’est maintenant la province qui s’embrase. Quant aux forces américaines, plus exposées, et faisant l’objet d’attaques redoublées, il n’est pas rare qu’elles perdent désormais 7 à 8 hommes par accrochage. Le cap des 3 400 tués vient d’être franchi, et le moral des soldats est au plus bas. Selon le Washington Post, l’état-major US devrait dévoiler, fin mai, les contours d’une nouvelle stratégie politico-militaire visant à la fois à accroître les effectifs de l’armée irakienne, forte de 144 000 hommes actuellement, à lui confier des « missions de protection de la population civile » (en lieu et place des forces d’occupation) et à purger l’institution de ses « éléments les plus radicaux », l’euphémisme habituel pour désigner les extrémistes chiites.
Crocker, qui a participé à l’élaboration de cette nouvelle doctrine, demandera à son homologue iranien la cessation des livraisons d’armes aux milices chiites extrémistes. Kazemi-Qomi, lui, exigera au préalable que soit mis fin aux activités en Irak des Moudjahidine du peuple, le principal groupe d’opposition armée au régime de Téhéran, demandera la fin de l’occupation ainsi qu’un allégement de la présence militaire américaine dans le Golfe. Les positions de départ des uns et des autres sont assez éloignées, et quelques rounds de discussions ne seront pas de trop pour déblayer le terrain. À la vérité, il ne faut guère attendre d’avancées spectaculaires. Car ces négociations s’engagent au plus mauvais moment. L’Iran n’a aucune intention de suspendre ses activités d’enrichissement de l’uranium. Les Américains, eux, continuent de renforcer leur dispositif aéronaval dans le golfe Persique. Une flotte d’une dizaine de bâtiments de guerre, dont trois porte-avions à propulsion nucléaire, les USS Stennis, Nimitz et Bonhomme Richard, ainsi que des destroyers et des frégates, ont été aperçus, le 23 mai, croisant au large des côtes iraniennes. Un déploiement sans précédent depuis mars 2003 et l’invasion de l’Irak. En visite dans la région, le 11 mai, Dick Cheney, le vice-président américain, chef de file des faucons, avait annoncé la couleur en déclarant, alors qu’il se trouvait sur le Stennis, que l’Amérique ne permettrait pas à la République islamique de posséder des armes nucléaires. Washington n’a sans doute pas encore pris la décision définitive d’attaquer, mais les stratèges du Pentagone veulent être en mesure de faire face à n’importe quelle éventualité.
Les Iraniens, de leur côté, ne semblent pas disposés à se laisser intimider. Sourds aux injonctions du Conseil de sécurité, qui leur avaient donné un délai de soixante jours, en mars 2006, pour suspendre l’enrichissement, ils disposeraient de 1 200 à 1 600 centrifugeuses installées en huit cascades, sur le site souterrain et ultraprotégé de Natanz. Un dispositif rudimentaire mais efficace permettant théoriquement, si l’opération est répétée plusieurs fois, d’obtenir de l’uranium enrichi à 90 %. Les cascades sont opérationnelles depuis plusieurs mois, et Téhéran a annoncé la mise en service imminente de 3 000 unités supplémentaires. L’Iran se rapprocherait du cap critique des 3 000 à 5 000 centrifugeuses, suffisant pour produire la quantité de combustible nécessaire à la fabrication d’une première bombe. À en croire les spécialistes, et à condition que les Iraniens ne rencontrent aucune difficulté d’ordre technique et fassent fonctionner toutes leurs installations en continu – ce qui est loin d’être le cas actuellement -, ils pourraient être en mesure de fabriquer une arme nucléaire d’ici à un an environ.
Il faut évidemment relativiser ce type de prévisions, car elles participent de la guerre psychologique que se livrent les deux parties. D’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), à ce jour, c’est-à-dire si l’on raisonne sur une base de 1 600 centrifugeuses, Téhéran ne disposera pas des capacités suffisantes pour produire la bombe avant quatre à six ans. Néanmoins, reconnaît-on du côté de Vienne, les Iraniens ont accompli des avancées notables, et l’objectif affiché de la communauté internationale, qui est de les empêcher d’acquérir le savoir-faire, semble maintenant « dépassé par les événements ». Conclusion, résumée par Mohamed el-Baradei, patron de l’AIEA, devant un parterre de journalistes : les Occidentaux auraient tout à gagner à changer de méthode et à négocier avec les Iraniens, non pas un arrêt, mais une limitation de l’ampleur de leur programme, afin d’éviter qu’il n’entre dans sa phase industrielle.
Ces propos, qui ont provoqué un vif émoi à Washington, sont pourtant frappés au coin du bon sens. Malgré les sanctions économiques décidées en décembre 2006 et aggravées en mars dernier, et malgré un isolement diplomatique croissant, les Iraniens risquent de camper sur une ligne maximaliste. Car ils ne peuvent plus vraiment faire machine arrière. Traversée par des rivalités et des luttes d’influences, leur classe dirigeante est divisée sur l’approche à adopter face à la communauté internationale : stratégie d’apaisement et de contournement, comme le suggèrent les anciens présidents Mohamed Khatami et Hachemi Rafsandjani, ou fuite en avant révolutionnaire, comme le préconise l’actuel président, Mahmoud Ahmadinejad. Mais ces divergences – réelles – sont plus tactiques que stratégiques. Et il n’est d’ailleurs plus certain qu’Ali Khamenei, le Guide lui-même, ait encore le pouvoir de décréter l’abandon du nucléaire, devenu le thème central de la propagande de son régime. Car ce serait pour lui endosser une responsabilité politique considérable. Aussi considérable et lourde de conséquences que celle d’arrêter la guerre contre l’Irak, en août 1988. Et on se souvient que l’Imam Khomeiny, pourtant doté d’un tout autre charisme et d’une tout autre légitimité doctrinale, avait tergiversé de longues années avant de céder à la pression et de se ranger aux arguments du pragmatique Rafsandjani, en acceptant le principe d’un cessez-le-feu.

* Surnom ironique attribué à Khalilzad en raison de ses origines afghanes.

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