Attention Etats fragiles

Si beaucoup de régions sont bien parties pour atteindre les Objectifs du millénaire, l’Afrique subsaharienne, elle, reste à la traîne faute d’un développement humain suffisant.

Publié le 30 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Suffit-il qu’un pays dispose de plus d’écoles pour que les enfants qui les fréquentent soient mieux instruits ? Suffit-il qu’une municipalité offre davantage de dispensaires pour que les populations y soient mieux soignées ? Telles sont les questions soulevées par la Banque mondiale dans son évaluation annuelle sur l’état d’avancement des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), publiée le 10 mai. Dans ce nouveau Global Monitoring Report (GMR), plus symbolique que les précédents car à mi-parcours, l’institution ne se contente plus de rappeler ce qui s’impose comme une évidence année après année, à savoir l’accentuation de l’écart entre pays africains et asiatiques dans la réalisation des sept objectifs arrêtés lors du sommet extraordinaire des Nations unies en septembre 2000, dont la réduction de moitié de l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2015. Elle s’interroge surtout sur un problème récurrent et quasi constitutif de l’aide, rarement pris en compte dans les statistiques : la qualité.
La question est fondamentale. Sans qualité, les efforts budgétaires en faveur du développement seront réduits à néant faute de suivi et d’évaluation suffisants. Or les choses n’ont guère évolué sur ce point, constate le rapport, en dépit d’une énième résolution de la communauté internationale prise lors de la Conférence de Paris, en 2005, visant à une meilleure harmonisation entre pays donateurs et pays récipiendaires. Dans le secteur de l’éducation, par exemple, « les progrès accomplis en matière de scolarisation ne se traduisent pas par l’amélioration des aptitudes ». Si des pays comme le Bénin, le Rwanda, le Niger ou le Mozambique ont obtenu des « résultats exceptionnels » dans le cycle scolaire primaire, les performances sont plus mitigées lorsqu’il s’agit d’évaluer les acquis des élèves.
Cette inquiétude est d’autant plus forte que l’aide publique mondiale connaît une tendance baissière, à 103,9 milliards de dollars en 2006, en recul de 5,1 % par rapport à 2005. Sept ans après le lancement des OMD, « il n’existe aucun exemple de pays dans lequel on assiste à une augmentation nette de l’aide dans le cadre de l’appui à un programme à moyen terme visant à réaliser ces objectifs », s’alarme la Banque, actuellement en proie à la plus grave crise de son histoire (voir J.A. n° 2419). Ainsi, loin des envolées lyriques des organisations multilatérales, l’engagement vers une hausse des contributions aux pays les plus pauvres s’est « enlisé » en dépit des principes dégagés dans le « consensus de Monterrey » en 2002 ou au sommet du G8 de Gleneagles, en Écosse, en 2005.
Il y a plus inquiétant encore. Alors que le critère qualitatif doit tendre vers la norme afin de rendre l’aide plus efficace, c’est l’inverse qui se produit depuis quelques années. La cause ? « La prolifération des sources et des affectations spéciales de financements », qui fragmente l’aide et nuit à son efficacité. Une tendance de plus en plus marquée, qui se cristallise par l’arrivée de nouveaux donateurs. Parmi eux, les pays émergents comme la Chine, mais aussi les nombreuses fondations privées, lesquelles, à l’instar de celles de l’ancien président américain Bill Clinton ou de Bill et Melinda Gates, sont de puissantes structures autonomes gérant leurs programmes le plus souvent indépendamment des autres acteurs. De fait, « on est de plus en plus préoccupé par les questions de cohérence des politiques et d’alignement de l’aide du fait du nombre élevé d’acteurs impliqués et de l’absence de mécanisme de coordination efficace », explique-t-on à la Banque.
Les indicateurs officiels, la définition de normes contraignantes, les suivis et les évaluations doivent donc être renforcés sous peine de voir les réalisations des OMD passées par profits et pertes, particulièrement sur le continent africain. « Une augmentation de l’aide visant la réalisation de ces objectifs passe nécessairement par des ressources en quantité plus grande et une qualité fondée sur une cohérence accrue entre les bailleurs de fonds, les pays en développement et les institutions internationales. »
Outre l’égalité entre les sexes, dont « l’exécution n’est pas encourageante », l’autre point central abordé dans le rapport concerne la situation des États rendus « fragiles » du fait d’un conflit (Sierra Leone, RD Congo) ou d’une instabilité latente comme en Haïti. Au nombre de 35, ces pays rassemblent 485 millions d’habitants, soit seulement 9 % de la population totale des pays en développement, évaluée à 5,4 milliards d’habitants. Mais ils concentrent près de 30 % de la population mondiale vivant en dessous du seuil d’extrême pauvreté (moins de 1 dollar par jour). Des distorsions qui posent « d’énormes problèmes » et qui sont une source potentielle de déflagrations régionales, comme ce fut le cas au Liberia à partir de 1989. Est-ce l’ampleur des chantiers devant être engagés dans ces pays qui a rendu la communauté internationale frileuse, voire pusillanime ? Alors que ce sont eux qui demandent le plus de moyens, ce sont précisément ces États qui ont le plus de mal à mobiliser ou à utiliser les aides dont ils bénéficient. D’où des retards parfois considérables dans l’avancement vers les OMD. Les exemples du Mozambique ou de l’Ouganda, qui ont réussi leur transition, montrent pourtant que des progrès sont possibles, à condition que les mêmes bailleurs de fonds « reconsidèrent leurs méthodes de travail et leur procédure pour s’assurer qu’elles sont adaptées à ces contextes nationaux marqués par l’insuffisance de capacités, et, parfois, la volatilité », souligne le Global Monitoring Report.
Il reste huit ans à peine pour respecter et atteindre les OMD, autrement dit pas grand-chose à l’échelle du développement. Si beaucoup de régions comme l’Asie du Sud, l’Amérique latine et les pays de l’Asie de l’Est sont sur la bonne voie, aidées en cela par une croissance vigoureuse, l’Afrique subsaharienne reste en revanche « à la traîne », faute d’un développement humain suffisant.
Le programme que s’est fixé la communauté internationale pour faire avancer la cause des OMD se révèle en effet « bien plus exigeant » que les progrès déjà accomplis, affirme la Banque mondiale en guise de conclusion. De nouveaux efforts seront-ils consentis au cours des prochaines années avec une attention particulière sur le suivi ? Au vu de la tendance actuelle, rien n’est moins sûr.

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