Apulée, c’est moi

Enquêtant sur un personnage mort il y a près de deux mille ans, Kebir Ammi s’interroge sur sa propre aventure d’écrivain dans le Maghreb d’aujourd’hui.

Publié le 28 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

« Pourquoi, au lieu de couler des jours heureux dans un camping trois étoiles de la côte basque, j’ai accepté de mettre ma science au service de ce Monsieur, de prendre une pelle et une pioche et de l’extraire d’un grenier algérien ? » Kebir Ammi n’en est pas à sa première exhumation de morts célèbres. Il ne peut se résoudre au fait que le monde « n’appartienne qu’au vivant ». Après saint Augustin, l’émir Abdelkader, le voilà décidé à sortir de l’oubli ce « Monsieur », qui n’est autre qu’Apulée de Madaure, mort il y a près de deux mille ans à Carthage. Épicurien, médecin et juriste, l’auteur de L’Âne d’or* fut aussi le premier romancier de l’Algérie de tous les temps.
Pourquoi Apulée ? Parce qu’au lycée Kebir était tombé sur L’Âne d’or dans un rayonnage de livres traitant de cuisine, de pêche et de chasse, qu’il lui donna l’occasion de publier son premier article, narrant l’itinéraire de ce « Maghrébin insolite et singulier », « citoyen de ce pays qui s’étend de Carthage à Rabat ».
Ensuite, il y a eu ce pari : il parlait de la faculté d’aimer et de jouir d’Apulée, lorsque sa muse d’éditrice le mit au défi de rédiger sa biographie afin de montrer que les gens du Maghreb n’ont pas toujours été les barbus et intégristes qui font les ravages que l’on sait. Kebir Ammi comme son éditrice sont persuadés que l’Algérie d’Apulée est aussi celle d’aujourd’hui et que l’Algérien existait bien avant le GIA et la guerre d’Algérie.
Ce ne sera donc pas une biographie classique ni un récit raconté d’un trait, mais « une tentative de biographie », avec de savoureux dialogues, des empoignades entre l’auteur et son personnage, des sauts périlleux entre passé et présent.
Apulée est tour à tour personnage de fiction, alter ego de l’auteur, figure historique, absent et réel, interlocuteur vivant sur les grandes avenues d’Alger ou couché dans la mémoire des siècles, témoin d’un passé à l’épreuve du présent et d’un présent à l’épreuve du passé. « Il apparaît et disparaît comme un djinn dans une bouteille Thermos ». L’auteur a le sentiment de le voir dans les rues d’Annaba, ou non loin de Sidi Bou Saïd. Il s’installe à sa table, commande un verre et lui parle. Il le voit parmi les hittistes, sans boulot et sans avenir. Il lui fait prendre conscience qu’il peut passer pour un terroriste, qu’on peut l’accuser de transporter des bombes pour faire sauter l’Amérique, qu’il risque de faire les frais d’une fatwa, etc.
Prétexte pour un voyage dans le Maghreb d’aujourd’hui, ce livre d’un genre étrange pose sans cesse la question : que ferait Apulée dans l’Algérie actuelle, que penserait-il des « saboteurs qui s’appliquent avec tant de soin à détruire le pays ». Il dirait sa rage et son impuissance. D’où ce constat lucide et sans illusion : « L’Algérie, ça vous vaccine du pire, c’est ce qui peut arriver de plus horrible au fils de l’Homme. »
À l’instar de Mauriac qui disait que, « pour tenter l’approche d’un disparu depuis des siècles, la route la meilleure passe par vous-même », l’auteur parle également de ce qui le hante au plus intime, l’aventure de l’écriture. Est-ce une folie que d’évoquer ce personnage dont les Algériens se fichent comme de l’an quarante ? Ne faut-il pas rendre les armes dans une région peuplée de candidats à l’exil et de consommateurs de produits de fausse nécessité ?
Au final, on l’aura compris, peu de choses sur Apulée, mais un questionnement pertinent sur l’épreuve d’être écrivain et arabe aujourd’hui !

* L’Ane d’or ou Les Métamorphoses, éd. Gallimard, collection « Folio ».

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