Tunisie : les paradoxes du marché de l’emploi

Plus de 107 000 postes restent vacants dans les entreprises tunisiennes, alors même que le taux de chômage s’élève à plus de 15 %, selon le dernier rapport national sur l’emploi de l’Institut arabe des chefs d’entreprises.

Jeunes tunisiens dans une agence BNEC (Bureau national pour l’emploi des cadres), à Tunis (photo d’illustration). © Ons Abid pour Jeune Afrique

Jeunes tunisiens dans une agence BNEC (Bureau national pour l’emploi des cadres), à Tunis (photo d’illustration). © Ons Abid pour Jeune Afrique

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Publié le 3 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Quelque 107 000 postes sont toujours à pourvoir dans les entreprises tunisiennes, soit 30 000 de plus qu’en 2017. Le dernier rapport de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), publié jeudi 27 septembre, a de quoi déconcerter, quand on sait que le taux de chômage national dépasse toujours les 15 %. Parmi les plus touchés, les diplômés représentent encore un tiers des sans-emploi.

Dans le top 3 des professions les plus affectées : les cadres de direction (21 474 postes vacants), les métiers de l’artisanat, de l’imprimerie et de l’industrie (17 024), les attachés commerciaux et représentants technico-commerciaux (15 563).

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« Les activités de terrain, comme par exemple le travail d’agent commercial, attirent de moins en moins de jeunes, car elles sont chronophages et demandent une personnalité adaptée au contact avec le client »,  justifie Majdi Hassen, directeur exécutif de l’IACE.

Un salaire 2,5 fois supérieur à l’étranger

Les ingénieurs en Technologies de l’information et de la communication (TIC) sont aussi concernés, avec 12 553 postes vacants, d’après le rapport. Ce n’est pourtant pas faute de professionnels qualifiés. La fuite des cerveaux, accentuée ces deux dernières années, est mise en cause. Elle s’expliquerait par une demande croissante dans le secteur, en Europe et ailleurs.

>>> À LIRE – Tunisie : la fuite des cerveaux s’accélère

Ces estimations corroborent celles de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT), qui estime que 10 000 diplômés du secteur (formés en Tunisie) ont quitté le pays ces trois dernières années, principalement pour la France, l’Allemagne ou le Canada. La question du salaire joue beaucoup : Majdi Hassen estime qu’ils y touchent « au minimum » deux fois et demi la rémunération tunisienne.

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Une souveraineté compromise ?

« Ça leur parait énorme, même si c’est finalement bas par rapport au niveau de vie », souligne Abdessattar Hosni. Le secrétaire général de l’OIT explique qu’outre les partenariats avec les écoles, les entreprises étrangères viennent très régulièrement recruter les diplômés directement en Tunisie, via des bureaux de liaison.

Si nous n’avons personne pour faire face à la demande, nous ne pourrons pas nous adapter aux nouvelles technologies

« Nous frôlons la catastrophe, alors que tout s’informatise dans l’administration, la finance, etc. Si nous n’avons pas d’hommes et de femmes pour faire face à la demande, nous ne pourrons pas nous adapter à ces technologies et nous risquons de compromettre notre souveraineté », poursuit le responsable de l’Ordre des ingénieurs. Il regrette que « les autorités n’aient pas pris conscience de ce phénomène, ou ne l’aient pas traité de manière prioritaire ».

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Inadéquation formation/demande

Du côté des entreprises, on regrette le manque de « soft skills », soit les qualités humaines et relationnelles qui comptent parfois autant que le diplôme, mais aussi de compétences dans les langues et en informatique.

Les Tunisiens ont beau être nombreux à parler à la fois l’arabe et le français, cela ne suffit pas. « Entre parler une langue et la maîtriser, il y a une différence », souligne le responsable de l’IACE. Le niveau d’anglais des diplômés laisserait aussi parfois à désirer. Or, les entreprises qui font de la croissance travaillent principalement sur les marchés étrangers. Le système d’enseignement est donc aussi en cause.

>>> À LIRE – En Tunisie, un « système éducatif à plusieurs vitesses »

Dans le domaine de l’emploi, la Tunisie n’est pas à un paradoxe près. « Il existe un énorme écart entre la formation et les besoins », rappelle l’économiste Mongi Boughzala.

Alors que le droit au travail et à la dignité faisaient partie des revendications de la révolution, aucun mécanisme efficace ne permettrait à ce jour de rapprocher les structures de formation de la demande. D’après l’IACE, seules 40 % des entreprises déclarent leurs besoins aux bureaux d’emploi – qui restent pourtant les principaux canaux de recrutement.

Des réformes qui se font attendre

Dans ces conditions, difficile de mener les réformes appropriées. « Quand on ne connaît pas les besoins réels des entreprises, comment voulez-vous être en mesure de former des jeunes de manière adéquate ? C’est du tâtonnement. Les idées globales ne suffisent pas à guider la planification », regrette encore le chercheur. Et d’ajouter : « Avant 2010, on s’en moquait, pourvu que les étudiants ne fassent pas trop de grabuge. Depuis 2011, il y a eu de petites tentatives, mais les gouvernements n’étaient pas assez stables. Or, d’un point de vue rationnel, ça aurait dû être une priorité. »

Les universités ne peuvent plus juste répondre aux besoins des entreprises qui se trouvent à 500 kilomètres

Enfin, l’IACE souligne que l’indice d’ouverture des universités, c’est-à-dire leur adaptation aux réalités de leur environnement, est en baisse. « Elles ne peuvent plus juste répondre aux besoins des entreprises qui se trouvent à 500 kilomètres. Elles doivent entretenir une relation de proximité avec leur territoire », estime Majdi Hassen.

Les meilleures universités se trouvent toujours dans les grandes villes. Dans de nombreuses régions en attente de développement, les écarts continuent donc de se creuser aussi via la formation. Une refonte du système paraît d’autant plus urgente que les résultats prendraient sans doute une génération pour se faire sentir.

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