Foire 1-54 à Londres, nouvel Eden pour l’art contemporain africain
Pour la sixième année consécutive, le gratin de l’art contemporain africain se retrouve à Londres, grâce à l’énergie de la Marocaine Touria El Glaoui. La foire 1-54 rassemble pour cinq jours quelque 130 artistes qui explorent par leur art des thématiques très actuelles.
Au commencement, il y a un arbre. Ou plutôt trois arbres, plantés dans la cour pavée de la Somerset House, à deux pas de la Tamise. Trois versions d’un même arbre, décliné dans des dimensions et des matières différentes, et baptisé Meditation Tree par son créateur, l’artiste soudanais Ibrahim El-Salahi (88 ans).
Cette irruption de la nature au cœur de l’austère bâtiment de pierre qui abrite la sixième édition d’1-54, la foire d’art contemporain africain créée par la Marocaine Touria El Glaoui, offre une clef – il y en a d’autres – pour visiter le labyrinthe créatif où plus d’une centaine d’artistes originaires du continent donnent leur vision du monde d’aujourd’hui.
Hybrides
Avec sa série Hybrid, le Togolais Sadikou Oukpedjo propose des créatures polymorphes qui semblent porteuses d’une intense force tellurique
Les questions environnementales sont évidemment au cœur des interrogations et des préoccupations d’un grand nombre de plasticiens. Mais dans leur art comme dans leur pratique, ils ne se contentent pas de dénoncer les dangereuses dérives de la modernité, préférant explorer les liens qui unissent l’humanité au monde animal, au monde végétal. Plusieurs artistes donnent ainsi à voir des créatures hybrides, mi-homme mi-animal, mi-homme mi-plante.
C’est le cas notamment de l’Angolais Franck Ludangi (né en 1958) qui propose un Homme-racine doté de plusieurs visages. Avec sa série Hybrid, le Togolais Sadikou Oukpedjo (né en 1975) propose pour sa part des créatures polymorphes qui semblent porteuses d’une intense force tellurique. Comme l’écrit sa galeriste Cécile Fakhoury dans son texte de présentation : « Il s’agit d’un travail sur le corps, sur le souffle de l’esprit qui se manifeste et s’exprime dans une dualité mi-homme mi-animal. Ses représentations sont chargées ou traversées par l’invisible et sa puissance, par l’inconnu et le caché. L’homme analyse le monde, modèle la nature, cherche à connaître les secrets dont il pourra user. Il est magicien, maître, illusionniste, savant quand l’essence de la vie inévitablement se métamorphose et transcende le monde des idées. »
Cette hybridité animée par une intense pulsion de vie donne, chez d’autres artistes, naissance à un bestiaire imaginaire doté d’une grande force expressionniste.
>>> À LIRE – Art contemporain : la foire 1:54 s’installe sur le continent africain
Je cherche et je recherche jusqu’à ce que je trouve une vie et que je devienne cette vie, quel que soit sa signification
C’est le cas chez le Sénégalais Soly Cissé (né en 1969) mais aussi chez son compatriote Aliou Diack (né en 1987) qui utilise des pigments naturels pour créer la vie. Son superbe L’esprit et la bête enchevêtre avec violence dents, griffes et becs en noir, gris et ocre jaune. « Je suis un fermier qui laboure son champs, dit-il. Je cherche et je recherche jusqu’à ce que je trouve une vie et que je devienne cette vie, quel que soit sa signification. »
D’une certaine manière, ces images imaginées font écho aux images bien réelles du photographe sud-africain Pieter Hugo et sa célèbre série The hyena and other men jouant sur la proximité entre l’homme et un animal connu pour sa férocité.
Divorce
Parmi les artistes qui insistent sur le divorce entre l’homme et la nature, le Congolais Maurice Mbikayi, avec Mask of Heterotopia
D’autres artistes insistent plus sur le divorce entre l’homme et la nature, sur l’éloignement provoqué par les nouvelles technologies.
C’est le cas de l’Ethiopien Dawit Abebe (né en 1983) qui avec sa série Liminal in the age of Mobility présente des hommes de dos dans des tableaux intégrant à la fois une signalétique propre aux fonctions des objets électroniques et de nombreux insectes ultraréalistes, mouches, libellules ou scarabées.
C’est le cas aussi du Congolais Maurice Mbikayi (né en 1974) qui, avec Mask of Heterotopia, photographie un homme à visage de momie, drapé dans un pagne composé à partir de pièces d’un clavier d’ordinateur et tenant en laisse deux chiens peu amènes…
Le Sud-Africain Athi-Patra Rugafaire fait éclore un monde chatoyant dont on ne sait pas toujours s’il est parodie ou utopie
Obsolescence programmée, pillage et gaspillage des matières premières, destruction de la biodiversité, mépris de l’homme pour son environnement, l’avenir pourrait paraître bien sombre. Ce serait sans compter l’humour, la résilience et le rêve que d’autres artistes retrouvent, eux aussi, dans l’extraordinaire inventivité du vivant.
L’Angolais Binelde Hyrcan (né en 1982) semble par exemple bien s’amuser avec ses poules empaillées qu’il habille comme rois, reines, soldats, juges et politiciens, ridiculisant les illusions du pouvoir. En rouge et bleu, sa compatriote Keyezua (née en 1988) crée un monde colorée où la femme se dresse face à l’oppression, où plutôt libère son corps face à l’oppression dont elle est victime.
Mais c’est sans doute le Sud-Africain Athi-Patra Ruga qui ouvre la fenêtre la plus colorée sur l’avenir avec Of gods, Rainbows and omissions, première monographie de cet artiste présenté au royaume Uni par la Somerset House jusqu’au 6 janvier. Critique distancié de l’histoire tourmentée de son pays, il utilise une vaste palette de couleurs et de techniques pour faire éclore un monde chatoyant dont on ne sait pas toujours s’il est parodie ou utopie.
Un nouvel Eden semble désormais possible
Jouant sur la notion usée de « nation arc-en-ciel », Athi-Patra Ruga crée un monde hybride où une nature foisonnante, polychrome, envahit tout l’espace, et où l’on distingue encore fréquemment le zèbre, cet animal noir et blanc, dont la bouche est désormais armée de défenses semblables à celle du sanglier.
Au bout de cette exposition, une danseuse à la peau couverte de roses, de diamants et de perles et dotées de trois seins lève les bras vers le ciel, dans un cercle de lumière. Titre de l’œuvre : At the end of the rainbow we look back… Tout un programme.
De nombreuses exégèses restent possibles, mais on peut y déceler l’espoir d’un réveil de l’humanité : un nouvel Eden semble désormais possible. C’est peut être bien ce que veut dire aussi Ibrahim El Salahi : l’arbre qui a poussé dans la cour de Somerset House n’est pas « l’arbre de la connaissance » de la Bible mais un « arbre de la méditation ». Réfléchissons un peu…
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