Un port en quête d’espace

Douala ne suffit plus pour accueillir la nouvelle génération de gros-porteurs. Un projet d’agrandissement suscite bien des convoitises.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

«Il y a deux rives sur le fleuve Wouri. Pourquoi celle de Bonabéri n’aurait-elle pas son grand port ? » interroge son maire, Gabriel Fandja. Car le 4e arrondissement de Douala accueille la plus importante des deux zones industrielles de la ville. En réclamant un port, cet élu ne fait que répercuter les plaintes des industriels mécontents de devoir traverser le fleuve sur son unique pont pour rejoindre les 400 ha du port de Douala, installé sur l’autre rive. Pour l’heure, Bonabéri ne dispose que d’une sorte de cimetière de bateaux, petit quai le long duquel rouillent de vieilles coques de noix parmi lesquelles il est impossible de distinguer celles qui osent encore prendre la mer : il s’agit alors de vraquiers alimentaires qui convoient les tomates, oignons et pommes de terre du pays vers les rivages voisins du Nigeria.
Quelques dizaines de kilomètres plus au sud, Kribi. Jadis plage de luxe des habitants aisés de Douala, ce petit port de pêche spécialisé dans la crevette manifeste, lui aussi, des velléités expansionnistes. Terminal de l’immense pipeline qui transporte l’or noir de Doba, loin à l’intérieur des terres, vers les soutes des supertankers, il est en quelque sorte déjà devenu le port pétrolier du Tchad. Bientôt, dit-on, il accueillera aussi le pétrole camerounais onshore et, sans doute, les sulfures de nickel et de cobalt que la société américaine Geovic s’est engagée à produire, dès 2004, à partir des importants gisements de Lomié. Aujourd’hui, Kribi voit loin. C’est que, assurent ses habitants, le port peut aussi accueillir de très gros navires…
Mais A. Siyam Siwé, directeur général du port de Douala, ne l’entend pas de cette oreille. « Il n’y a qu’une seule politique portuaire au Cameroun, rétorque-t-il, furieux. Et c’est toujours nous qui la définissons ! » Le réveil de la capitale économique du Cameroun ainsi que les difficultés structurelles de l’actuel port ont, de fait, nourri la polémique.
Déjà, aux élections municipales de juin 2002, Douala a viré de bord, passant d’une majorité SDF (le Social Democratic Front, principal parti anglophone dirigé par John Fru Ndi) à une majorité gouvernementale. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), emmené par le colonel Édouard Etondé Ekoto, délégué auprès de la communauté urbaine de Douala, s’est lancé dans une politique de rénovation de la ville, de la voirie au centre-ville, en passant par les logements. Des travaux ambitieux qui, en quelques années, devraient modifier de fond en comble l’aspect de la cité. Le port et ses 10 km de quais (contours de darses compris), bien entendu, sont intégrés dans les réflexions que mènent les urbanistes locaux. Ekoto entend bien faire de sa ville « la » vitrine d’Afrique centrale et, pour ce faire, il lui faut un grand port.
Or sur les 400 ha du port de Douala transitent, chaque année, 5 millions à 7 millions de tonnes de marchandises. Un maximum. Il draine bien 95 % des échanges maritimes du Cameroun, mais ne peut accueillir des bateaux au tirant d’eau supérieur à 7,50 m à marée haute. « Au terme des travaux de creusement du chenal, on pourra aller jusqu’à 10 m, mais pas plus », reconnaît David Dongmo, directeur de l’exploitation du port. Autrement dit, le port de Douala ne pourra jamais accueillir la nouvelle génération de gros-porteurs, débarquant leurs énormes cargaisons dans des « hubs » ou « ports d’éclatement » qui les répartissent ensuite dans les pays de la sous-région par voies routières, ferrées ou maritimes.
L’idée d’un avant-port est donc née de ce constat bien plus que des difficultés de déchargement qu’a connues le port voici deux ans : depuis, deux portiques ont été installés, diminuant de moitié le temps de déchargement des conteneurs, dont l’aire de stockage a été entièrement rénovée. Les délais de dédouanement (une journée environ, contre quinze jours auparavant, grâce à la mise en place d’un guichet unique) ne sont plus, aujourd’hui, le fait de l’administration, mais celui de certains importateurs, qui n’ont pas toujours en caisse de quoi payer les droits de douane.
Toujours est-il que le problème du tirant d’eau règle le sort de la candidature de Bonabéri. Ce n’est pas non plus Kribi, dépourvu d’infrastructures terrestres et peu aisé à joindre par route, qui héritera des nouvelles installations, si celles-ci voient le jour. Le site pressenti est celui de Limbe, ex-Victoria, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Douala. Le long du littoral de cette ville construite par les Anglais au XVIIIe siècle, le plateau continental plonge immédiatement vers les abysses, autorisant l’approche de navires de tous tonnages. « Il ne s’agira d’ailleurs pas d’un avant-port, précise le colonel Ekoto, mais d’un grand port Douala-Limbe. » Traduction : une seule entité dont les infrastructures seront distribuées sur plusieurs sites. Selon les tirants d’eau et selon les disponibilités à Douala, les navires seront aiguillés soit vers Limbe, soit vers Douala. En pratique, on imagine très bien le transfert progressif du fret conteneurisé vers Limbe, le vrac et le bois, traités en général sur de plus petits navires, restant à Douala. Qui espère gagner, en contrepartie, un trafic fortement accru de cabotage : les marchandises reçues seraient ensuite réexpédiées vers les ports de la sous-région par une armada de navires locaux.
Pourtant, la décision est loin d’être prise. La construction d’un port est en effet coûteuse, même si les Camerounais font appel au système du Build, Operate and Transfer (le BOT, qui consiste à construire, à se rembourser en gérant, puis à transférer). On comprend donc les hésitations des autorités camerounaises. Du coup, deux écoles s’affrontent : celle des « techniciens », qui se méfient des projections optimistes de trafic et qui souhaitent que le pays attende avant de se lancer dans ce projet pharaonique. « Nous venons de moderniser les installations actuelles, le port fonctionne à merveille et est largement suffisant pour les besoins intérieurs du pays », disent-ils. En face, les visionnaires, dont Ekoto, l’homme fort de Douala. Eux assurent que le moment est propice : « Luanda, en Angola, et Pointe-Noire, au Congo-Brazza, sont nos concurrents les plus sérieux. Ils vont pâtir quelques années encore des conséquences de leurs guerres civiles. Si nous attendons trop, nous offrirons nos services quand ces deux places auront retrouvé leur dynamisme. Ce sera trop tard. » Et de balayer d’une phrase les considérations financières : « Dans très peu de temps maintenant, nous aurons à nouveau du pétrole. »
Car ce qui donne une chance aux « visionnaires », c’est la fin de la construction du pipeline Doba-Kribi qui dopa deux années durant l’économie camerounaise. Les engins de terrassement ont été réembarqués, et le pays va devoir trouver d’autres grands chantiers pour éviter la récession. La rénovation de Douala – et de son port – arrive donc fort à propos…

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