Un nouveau mal africain

Contrairement aux idées reçues, la production et le trafic de stupéfiants ne sont pas l’apanage de l’Amérique du Sud et de l’Asie. L’Afrique connaît, dans ce domaine, une croissance exponentielle.

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

A l’occasion de la 46e session ministérielle de lutte contre les stupéfiants à Vienne (Autriche), les 16 et 17 avril dernier, il a été constaté que le trafic et la consommation de drogues étaient en pleine croissance en Afrique. J.A./l’intelligent a rencontré Koli Kouame, administrateur principal pour l’Afrique du Programme du bureau pour le contrôle des drogues et la prévention des crimes (UNDCP). Il dresse un bilan des politiques antidrogue sur le continent.

J.A./L’INTELLIGENT : L’Afrique est devenue une plaque tournante de la drogue. Quels sont les lieux de prédilection des trafiquants ?
KOLI KOUAME : Aujourd’hui, on trouve quasiment tous les types de stupéfiants sur l’ensemble du continent africain. À commencer par le cannabis, dont l’Afrique est l’un des principaux producteurs mondiaux. Qu’elle soit pratiquée sauvagement en brousse ou organisée en plantations, sa production suit une courbe exponentielle. En 2001, environ 5 600 tonnes de cannabis et de ses dérivés ont été saisies dans le monde, dont 23 % sur le continent africain. Ce pourcentage a doublé entre 1998 et 2001, alors qu’il a été réduit de moitié en Europe. L’offre de cannabis est essentiellement dirigée vers le marché européen. Selon l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), 60 % à 70 % de la résine de cannabis saisie en Europe en 2002 étaient originaires du Maroc. Les feuilles proviennent surtout du Kenya, du Nigeria et d’Afrique du Sud. Mais le commerce africain interétatique s’est intensifié ces dernières années, entre le Ghana et le Nigeria par exemple, ou encore entre le Swaziland et les pays voisins.
J.A.I. :
Les Africains sont-ils de gros consommateurs de cannabis ?
K.K. : Sur les quelque 32 millions de consommateurs de drogue estimés sur le continent en 2002, 27 millions seraient des adeptes du chanvre, ce qui représente environ 20 % des fumeurs de cannabis sur la planète. Dans plusieurs pays africains, le taux de prévalence équivaut à plus du double du taux mondial estimé, qui est de 3,4 %. Cela peut s’expliquer par le prix d’achat, relativement bas. Au Sénégal, un cornet de cannabis [environ 5 grammes, NDLR] ne coûte que 100 F CFA [15 centimes d’euros] !

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J.A.I.L’usage de drogues dures se développe également…
K.K. : Parler d’explosion de la cocaïne et de l’opium est encore prématuré, mais leur consommation s’intensifie et devient inquiétante. Pour l’instant, ce phénomène se limite surtout aux zones urbaines et côtières, autour de grands ports de transit comme Abidjan, Lagos ou Nairobi. Avec des phénomènes localisés, comme, en 2001, une forte augmentation de la consommation d’héroïne en Namibie et au Zimbabwe, et dans une moindre mesure en Ouganda, à Maurice, au Togo, au Ghana et en Gambie. Par contre, après des années de progression, l’Afrique du Sud a réussi à inverser la tendance grâce à une surveillance accrue du terrain. L’héroïne africaine est particulièrement dangereuse. Les trafiquants la coupent avec des produits de piètre qualité pour la rendre accessible aux Africains.
Par ailleurs, les drogues synthétiques – les amphétamines, par exemple – sont de plus en plus prisées, notamment le Madrax en Afrique australe et la Pémoline en Afrique de l’Ouest. De nombreux experts africains estiment que certains produits non contrôlés comme le datura, une plante aux effets hallucinogènes puissants souvent mélangée à du cannabis pour être fumée, devraient être placés dans la liste des produits prohibés.

J.A.I.Le manque d’informations chiffrées et fiables ne limite-t-il pas l’efficacité des politiques de lutte antidrogue ?
K.K. : Les chiffres officiels ne représentent que 50 % de la réalité du trafic et de l’abus de drogue. Pour y remédier, un projet pilote de réseaux d’experts locaux (Local Expert Network, LENs) a été instauré en 2001 par l’UNDCP en Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Nord. Notre but est de permettre aux Africains de renforcer eux-mêmes leurs structures de surveillance et de réduction de la demande, par des programmes de prévention et de formation. Engagés pour le moment dans la région Est, les LENs comptent dix experts venus de six pays africains différents. Leurs premiers résultats sont très encourageants. Leurs activités suivent les objectifs fixés par l’Union africaine dans son plan d’action pour le contrôle des drogues sur la période 2002-2006. Sa première évaluation aura lieu en 2004, lors d’une réunion ministérielle à Maurice.

J.A.I. : Dans quelle mesure le trafic de drogue handicape-t-il le développement ?
K.K. : C’est l’un des éléments principaux du crime organisé. Il peut conduire à d’autres activités, comme le trafic d’êtres humains, et il entraîne la pérennisation des conflits en zones de guerre. J’imagine que les bénéfices tirés de la vente de cannabis ont largement contribué à alimenter les combats en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. Ajoutez à cela la corruption de certains policiers sur place, et vous comprendrez pourquoi les capitaux n’affluent pas dans les pays où la criminalité est monnaie courante.
J’ai rarement vu des gouvernements africains prévoir dans leurs plans de développement des volets sur la réduction de la criminalité. Tous parlent de bonne gouvernance. Or celle-ci n’est pas seulement économique : les opérations « mains propres » sont fondamentales, il est temps que l’Afrique le comprenne.

J.A.I. : Les femmes africaines sont-elles, elles aussi, victimes des stupéfiants ?
K.K. : Les femmes sont frappées de deux façons. Moins fouillées aux frontières, car traditionnellement moins suspectées, elles sont utilisées comme des « mules » par les trafiquants pour convoyer la drogue. D’autre part, elles abusent de plus en plus des stupéfiants, qu’elles soient femmes-guerrières ou mères de famille abandonnées qui vont jusqu’à se prostituer pour survivre. Finalement, le problème de la drogue en Afrique n’est pas différent de celui qui sévit dans le reste du monde. Les stupéfiants font leur apparition dans les écoles, sur les terrains de jeux… D’ailleurs, l’âge moyen de la première utilisation de drogue chez les Africains est terrifiant : ils y touchent dès 8 ans.

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