Une fragile convalescence

La fin de la parité peso-dollar, en février 2002, a donné une bouffée d’air à l’économie. Sans résoudre tous les problèmes. Il appartiendra au prochain président de restaurer la confiance.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

«Tout dépendra du futur président », répondent les Argentins quand on leur demande si leur pays peut espérer la fin de la crise politique, sociale et économique gravissime qu’il affronte depuis deux ans. Le résultat de l’élection présidentielle du 27 avril et du 18 mai sera donc déterminant pour ce pays de 36 millions d’habitants. Si l’ancien président Carlos Menem et son programme de dollarisation l’emportaient, il y a de grandes chances pour que la crise soit de retour, avec son cortège de souffrances sociales et d’insécurité. Au pouvoir de 1989 à 1999, Menem propose en effet que le peso argentin soit tout bonnement abandonné au profit du dollar. Et si l’un des quatre autres candidats était déclaré vainqueur, celui-ci aura-t-il le courage de poursuivre dans la voie étroite suivie par Eduardo Duhalde, le sortant – et non candidat à sa propre succession – qui a fait entrer l’Argentine dans une phase de convalescence, certes fragile, mais réelle ?
Car l’économie argentine va mieux. Le décrochage du dollar en février 2002 – monnaie à laquelle le peso était collé depuis 1991 – a permis à la production nationale de redevenir compétitive. Les produits agricoles ont retrouvé preneurs, et le tourisme est en train d’exploser avec l’arrivée massive de Chiliens, d’Uruguayens et de Colombiens qui profitent de prix très attractifs. Cette embellie s’est traduite par une nette amélioration d’un certain nombre d’indicateurs : la balance commerciale est redevenue excédentaire ; la production industrielle a repris ; les réserves de la Banque centrale atteignent 10 milliards de dollars ; le recul de la croissance, qui avait chuté jusqu’à – 15 % au printemps 2002, n’est plus que de – 4,2, %, et le gouvernement table sur une hausse du Produit intérieur brut (PIB) de 3 % en 2003 ; le taux de chômage officiel est revenu de 21,5 % à 17,8 %. Enfin, la dégringolade du peso semble stoppée, et son cours varie autour de 1 dollar pour 3,20-3,50 pesos.
Depuis décembre 2002, le gouvernement a mis fin au gel des dépôts bancaires, baptisé corralito, mais a imposé leur remboursement en pesos dévalués même lorsqu’ils avaient été libellés en dollars. Ce début de retour à la normale ne s’est accompagné ni d’une ruée sur les guichets ni d’une flambée de l’inflation, car les banques ont pris le soin d’offrir un taux de rémunération des comptes de 80 %, quand l’inflation oscille entre 40 % et 50 % l’an. Mieux, l’épargne locale qui avait totalement disparu est de retour. À l’évidence, l’Argentine est sortie de l’état de faillite et de déliquescence où elle se trouvait il y a un an et qui lui avait valu émeutes, pillages et trente-cinq morts parmi les manifestants.
Tout n’est pas rose pour autant. Symbole de la crise de confiance monétaire qui perdure, la généralisation du troc, que pratiquent 6 millions de personnes pour survivre, en dépit de l’effondrement du système bancaire. Une pratique qui a donné naissance à une foule de monnaies de substitution dont le crédito est le plus répandu, au point qu’il commence à faire l’objet de contrefaçons. Cette monnaie officieuse (acceptée même par les chemins de fer) aggrave l’instabilité puisque, selon le jeu sauvage de l’offre et de la demande qui en résulte, le prix d’un litre d’huile peut varier de 15 à 1 000 créditos. Les ravages sociaux de la crise sont toujours là et on compte plus de 53 % de la population vivant en dessous de seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 170 dollars par mois pour une famille de deux enfants. À Buenos Aires, la malnutrition touche près de un jeune sur trois, et des enfants continuent à mourir de faim dans les provinces. Certes, les mises à sac de magasins et les affrontements avec la police tout comme les concerts de casseroles se sont raréfiés, mais les piqueteros – les chômeurs les plus pauvres – dressent pour un oui ou un non des barrages sur les routes où les automobilistes se font souvent rançonner.
La conclusion tant attendue d’un accord – provisoire – entre le gouvernement argentin et le Fonds monétaire international (FMI) illustre les ambiguïtés de la situation. Pendant plus d’un an, on a assisté à un dialogue de sourds. Le FMI exigeait un excédent budgétaire supérieur à 2 % du PIB, des hausses d’impôts, un relèvement d’au moins 20 % des tarifs des services publics et la libéralisation rapide du marché des changes. De son côté, Buenos Aires traînait des pieds, prétextant que cette potion amère provoquerait une explosion de colère et la fin de l’embellie économique.
Les deux parties ont fini par mesurer les dangers d’une trop grande intransigeance : le FMI, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement risquaient de ne pas être remboursés des 14,5 milliards de dollars de créances arrivant à échéance en 2003. Quant au gouvernement de Duhalde, il risquait de se retrouver sans l’argent nécessaire pour créer de nouveaux emplois et pour payer le revenu minimum des jefes de hogar (les chefs de famille). Une mesure qui lui a pourtant permis d’apaiser un peu le mécontentement.
Le 16 janvier dernier, le gouvernement argentin et le FMI ont donc signé un accord qui étale 6,6 milliards de dollars de remboursements de la dette argentine jusqu’en juin. En échange, Buenos Aires accepte de régler 998 millions de dollars au FMI et de se fixer comme objectif de réaliser en 2003 un excédent budgétaire de 2,7 %. D’un côté, le gouvernement a obtenu un accord qui met fin à la quarantaine financière dont il faisait les frais depuis plus d’un an, et ce signe fort pourrait amorcer un regain de confiance chez les bailleurs de fonds, pour l’instant terrifiés par le montant colossal de la dette argentine (150 milliards de dollars, soit environ 53 % du PIB). De l’autre, cet accord n’apporte aucun argent frais à une économie en phase de redémarrage qui en manque cruellement. Pis, il ne règle rien au fond et se contente de laisser au prochain gouvernement le soin de signer avec le FMI un plan de redressement en bonne et due forme.
Une autre menace se profile à l’horizon depuis que la Cour suprême a, le 5 mars, donné raison à la province de San Luis, qui réclamait la restitution en monnaie d’origine de 247 millions de dollars déposés sur un compte à terme auprès de la Banca Nación. Pour arranger encore les affaires de l’Argentine, la Cour en a profité pour déclarer inconstitutionnel le décret de février 2002 consacrant la « pesification », le retour au peso, et la fin de la funeste parité peso-dollar qui a tant contribué à l’asphyxie de l’économie. Les 400 000 épargnants qui s’étaient sentis à bon droit lésés par la « pesification » applaudissent, mais cette décision crée une situation inextricable : les particuliers qui ont déjà accepté le remboursement en pesos ne vont-ils pas demander à la justice un complément ? Ceux qui avaient profité de la réduction de leur dette grâce à la « pesification » devront-ils rembourser la différence ? Le FMI, qui se méfie d’une « redollarisation » totale, acceptera-t-il de signer un accord définitif avec l’Argentine ? Les banques, elles aussi perdantes, ne se retourneront-elles pas contre le gouvernement ? Le plus grave est que le surcroît de dépenses qui en résulterait obligerait l’État à débourser des sommes colossales, que l’on évalue à vingt-neuf fois l’excédent commercial annuel ou encore huit ans d’allocation chômage. Là encore, réponse après le 25 mai, date de la passation de pouvoir entre Eduardo Duhalde et son successeur.
Le rétablissement de la confiance sera long. En effet, les Argentins ont trop hurlé leur colère à l’égard de leurs dirigeants en scandant « que se vayan todos » (« qu’ils s’en aillent tous ») pour croire que ceux-ci ont renoncé aux délices de la corruption et à une incurie qui a transformé en enfer un pays naguère cité en exemple par le FMI. L’Argentine affichait une croissance de + 8,1 % en 1997 ; aujourd’hui, 30 % des Argentins souhaitent s’exiler, si l’on en croit les sondages. Le désespoir est plus que jamais de saison.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires