Un don du ciel

Les précipitations exceptionnelles enregistrées depuis le mois de septembre laissent présager d’excellentes récoltes. Quand la météorologie donne un coup de pouce à la croissance…

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

En cette année d’incertitudes pour l’économie internationale, les pays maghrébins peuvent rendre grâce au ciel. Depuis septembre dernier, les pluies sont tombées en quantités largement supérieures à la moyenne dans quasiment toutes les régions de la zone. Du coup, un spectacle relativement rare s’offre aux yeux : un sol recouvert d’un tapis de verdure s’étend à perte de vue, les barrages sont pleins à craquer, la terre est gorgée d’eau, les sources taries depuis des années reprennent vie, et le cheptel, qui dispose d’une nourriture abondante, reprend des forces après une longue période de « vaches maigres » due à la sécheresse qui a affecté, ces quatre dernières années, l’ensemble du Maghreb.
Prudents, comme à l’accoutumée en début de saison, les paysans de la région ne cachent plus leur satisfaction à quelques semaines des moissons. En Algérie, au Maroc et en Tunisie, les pluies ont été encore au rendez-vous au mois de mars et durant la première quinzaine d’avril, où elles sont habituellement cruciales pour la croissance des céréales. Autant dire que la récolte qui commencera en juin sera faste. La croissance de l’agriculture et des secteurs qui lui sont liés, comme le commerce et les transports, laisse présager des effets positifs sur le Produit intérieur brut (PIB) dans les trois pays du Maghreb.
En Algérie, les pluies enregistrées en six mois et jusqu’à la mi-février ont atteint un maximum de 1 239 mm dans les régions littorales. Dans les grandes zones céréalières, comme celles de Constantine, Sidi Bel-Abbès, Sétif, Guelma et Médéa, le cumul a varié entre 284 mm et 738 mm, indique-t-on au ministère de l’Agriculture. Dans l’ensemble du pays, les pluies sont supérieures à celles des moyennes annuelles. Ce qui a permis d’emblaver trois millions d’hectares de terres réservées à la céréaliculture. Si l’on n’a pas semé plus, c’est que l’État a volontairement exclu de ces surfaces un demi-million d’hectares à bas rendement. D’autre part, les précipitations ont été tellement fréquentes qu’elles ont gêné la campagne de labour-semailles dans certaines régions, comme celle de Tizi-Ouzou. « Le sol est bien humide grâce aux précipitations enregistrées depuis le début des labours, se réjouit Si Mansour, un agriculteur de la région de Médéa. Les pluies de mars ont été les bienvenues. » Dans la région de Ain Defla, l’une des principales zones agricoles du pays, les paysans sont de retour, depuis l’an dernier, après avoir fui les violences terroristes durant la dernière décennie.
L’optimisme est aussi de rigueur du côté du ministère de l’Agriculture. « La campagne céréalière se présente dans les meilleures conditions, déclare Ammar Assabah, directeur central de la régulation et du développement de la production agricole. Nous sommes en train de poursuivre nos efforts en matière de désherbage et de fertilisation. » Se fondant sur ces bonnes perspectives, et sur une envolée des recettes d’exportation d’hydrocarbures liée à la crise irakienne, le gouvernement n’hésite pas à prévoir un taux de croissance du PIB de l’ordre de 4,2 %. Actuellement, le secteur agricole occupe près de 25 % de la population active et représente 12 % du PIB. L’Algérie importe l’équivalent de 3 milliards de dollars par an de produits agroalimentaires. Les importations de blé varient entre 3 millions et 8 millions de tonnes par an. Chaque année, l’Algérie achète environ la moitié des stocks mondiaux de blé dur. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime à 4,9 millions de tonnes les importations algériennes de blé entre juillet 2002 et juin 2003, soit la même quantité qu’en 2001-2002, à la même période.
Au Maroc, l’agriculture domine l’économie. Le secteur emploie 40 % de la population active totale – 70 % dans les zones rurales – et représente 12 % à 20 % du PIB, selon les années. Ses vingt-deux barrages fournissent 15 % de l’électricité produite dans le pays. À la fin de janvier 2003, le cumul pluviométrique moyen pour l’ensemble du Maroc s’est situé à 256 mm, bien au-dessus de la moyenne de 184 mm dans les années normales, et le pays a été régulièrement arrosé depuis. Cela a permis l’emblavage de 5,3 millions d’hectares, soit 29 % de plus que la saison précédente. De quoi faire oublier les années de sécheresse de 1995, 1997, 1999, et 2000. Mais les précipitations ont aussi occasionné des dégâts matériels et des pertes humaines lors des inondations qui ont affecté les régions de Settat, Mohammedia, Shirat-Temara et Kénitra le 17 novembre 2002 : en vingt-quatre heures, quatre-vingt-neuf personnes ont trouvé la mort et quelque cent mille autres ont été sinistrées.
Les responsables de l’agriculture marocaine anticipent une forte production agricole pour 2003. Le secteur primaire devrait connaître une croissance estimée à 12,3 %, ce qui autorise le gouvernement à réviser à la hausse le taux de croissance du PIB à 5,5 %, contre 4,5 % initialement prévus. Une bonne récolte céréalière réduirait sensiblement la facture des importations du pays, qui représentent entre 70 % et 25 % de sa consommation céréalière, selon les années. D’après les prévisions de la FAO, le Maroc devrait avoir importé 2,95 millions de tonnes de blé, 900 000 tonnes de maïs et 500 000 tonnes d’orge entre juillet 2002 et juin 2003.
Pluviométrie exceptionnelle, également, en Tunisie. Selon Habib Haddad, ministre de l’Agriculture, des Ressources en eau et de l’Environnement, le cumul des précipitations enregistrées depuis six mois sur l’ensemble du pays a dépassé de loin les moyennes habituelles. Il a atteint 747 mm dans le nord-ouest du pays, soit 175 % de plus que l’an dernier à la même période, 497 mm dans le Nord-Est (+ 141 %), 217 mm dans le Centre-Ouest (+ 117 %), 203 mm dans le Centre-Est (+ 87 %), 84 mm dans le Sud-Ouest (+ 107 %), et 102 mm dans le Sud-Est (+ 80 %). À tel point qu’en janvier des inondations, les plus violentes depuis une dizaine d’années, ont eu lieu dans plusieurs régions du nord et de l’ouest du pays (notamment dans les gouvernorats céréaliers de Jendouba, Beja, Manouba et Bizerte). Elles ont fait plusieurs victimes et recouvert des centaines d’hectares de terres céréalières, ont emporté une partie du cheptel et endommagé des maisons d’habitation de 27 500 personnes, pour la plupart des paysans et des ouvriers agricoles.
Les surfaces emblavées ont atteint 1,4 million d’hectares, y compris la totalité des terres réservées à la céréaliculture dans le Nord. « Le mois de mars est déterminant, quel que soit le niveau des précipitations pendant les semaines qui suivent les semailles. Et heureusement, cette année, mars a été bien arrosé », note Hadj Ali, un paysan de la région de Beja.
La contribution de l’agriculture au PIB se situe entre 14 % et 16 % selon les années. Le secteur emploie 22 % de la population active et représente 12 % des exportations. L’an dernier, la récolte n’a atteint qu’une demi-tonne. La Tunisie a donc importé, en 2002, pour 639 millions de dinars rien qu’en céréales (blé dur, blé tendre, orge, maïs). Entre juillet 2002 et juin 2003, ces importations devraient avoisiner les 1,8 million de tonnes, selon la FAO. Les prévisions budgétaires pour 2003, faites avant les pluies, tablaient sur une récolte céréalière de 1,3 million de tonnes, soit un peu plus que la moyenne habituelle. Après les pluies d’avril, les agriculteurs estiment qu’elle sera beaucoup plus importante.
Rarement les trois pays du Maghreb ont bénéficié ensemble, la même année, de ce don du ciel.

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