Trois milliards de francs de commissions

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

C’est donc à la fin de l’été 1992 qu’un dossier complet de commission fut présenté à l’autorité gouvernementale française par le groupe Thomson pour les frégates de Taiwan. Il visait à obtenir l’autorisation pour cette grande et importante société de verser des commissions, prélevées sur le produit de la vente des frégates La Fayette pour Taiwan, d’un montant global de 500 millions de dollars US(*) dont il était indiqué que 400 millions de dollars devaient bénéficier, d’après le dossier fourni par les Français et remis aux douanes, au secrétariat général du parti au pouvoir à Taipei et 100 millions de dollars au comité central du PC chinois à Pékin.
La facture avait été majorée en conséquence pour permettre de dégager les sommes nécessaires au paiement de ces commissions, passant de 13 à 16 milliards de francs.
Je tiens ces précisions de « la bouche du cheval », comme l’on dit. La révélation m’en fut faite au cours d’un déjeuner, le 18 mars 1997, au restaurant L’Imprimerie. Elle était suivie d’une autre confidence, à savoir : « C’est le président de la République lui-même qui m’a autorisé à faire verser par l’entreprise Thomson la somme de 500 millions de dollars à répartir entre les Chinois de Pékin et les autorités de Taiwan. Pour Pékin, il s’agissait essentiellement de calmer leur réaction. Vous n’en avez rien su. Cela s’est passé dans votre dos. Telle était la consigne. »
Et la personnalité d’ajouter : « J’ai su que c’est une fille fort jolie qui est venue tout exprès de Pékin prendre livraison de la somme destinée à la Chine communiste. »
Le président de la République avait agi dans le cadre de ses responsabilités, en particulier au regard de la Chine communiste dont on pouvait tout craindre. Il n’avait pas été consulté sur la nécessité de « l’arrosage » de Taiwan. Tout cela avait été traité par le ministre compétent et par les services des douanes. L’affaire avait été instruite comme à l’ordinaire.

Les fonctionnaires avaient fourni aux décideurs politiques les informations sur la destination des sommes, le taux de la commission envisagée, la qualification juridique donnée à l’opération. Une réforme récente voulue par le ministre du Budget de l’époque entrait pour la première fois en application : l’autorité qui donne le feu vert devait connaître le nom du bénéficiaire réel des commissions.
Une fois les destinataires des commissions identifiés, leur existence connue officiellement, l’investigation consistait, comme je l’ai indiqué, à s’assurer qu’il ne s’agissait pas, sous couvert de rémunération commerciale, de blanchiment d’argent frelaté, de produits de banditisme ou de fourniture de moyens au terrorisme local ou régional.
Le taux de la commission était-il trop élevé par rapport au marché conclu ? Plus de 3 milliards pour un contrat de 13 milliards de francs… C’était la seconde question que se posait l’administration des douanes. Elle devait y répondre positivement ou négativement.
Pour ce genre d’affaire, le taux de commission oscille entre 8 % et 12 % suivant la nature du marché. En cas de dépassement, l’administration intervient dans le débat et demande aux prestataires de réduire le taux envisagé et considéré comme excessif. C’est ce qui fut fait.
Une dernière difficulté subsistait qui a été résolue une fois pour toutes : comment baptiser ce genre d’opération ? On utilisera un euphémisme, véritable stratagème dont l’opacité sera garante de la discrétion, car il n’est jamais question de commission mais de… « frais accessoires déductibles », à ranger dans la catégorie des « procédures fiscales exceptionnelles ».
Détail d’importance : si l’autorisation de verser les commissions est accordée, les sommes arrêtées échappent à toutes les taxes françaises. Le ministre exige en fin de parcours, en général, une confirmation écrite établissant que les paiements ont bien été effectués, que les sommes ont bien été remises à ceux auxquels elles étaient destinées.
D’une manière générale, ces dispositions sont scrupuleusement respectées. Elles l’ont été dans le cas du marché des frégates La Fayette. Tout était donc en ordre. En apparence. s

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* Plus de 3 milliards de francs à l’époque.

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