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L’expansion de la téléphonie cellulaire a considérablement modifié le paysage des télécommunications en Afrique. En ouvrant de nouveaux marchés, elle a suscité de nouveaux usages.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Après un démarrage tardif, la très forte croissance du marché africain du GSM suscite toujours bien des convoitises. En 1990, une demi-douzaine de pays africains seulement étaient pourvus d’un réseau de téléphonie cellulaire. Aujourd’hui, rares sont ceux à en être dépourvus. Sur l’ensemble de l’Afrique, le taux de croissance de ce secteur reste l’un des plus élevés au monde, supérieur à 40 %. Seuls les marchés du mobile dans les pays de l’Est et en Russie font mieux.
Pourtant, comme certains États africains figurent parmi les plus pauvres, les prévisions de vente des téléphones mobiles ont souvent été trop pessimistes. En réalité, même si les couches aisées de la population furent les premières à s’équiper, le téléphone mobile s’est largement diffusé. Répondant à un besoin de communication universel, les dépenses des consommateurs en ce domaine sont en très forte croissance. S’enquérir de l’état de santé d’un proche ou obtenir un travail pour un artisan se fait au détriment de dépenses moins urgentes. Concernant les particuliers, la dépense mensuelle moyenne d’un abonné à un réseau de téléphonie cellulaire se situe entre 20 et 30 dollars en République démocratique du Congo, en Zambie ou au Burkina. Dans les zones rurales, l’usage communautaire du téléphone se développe, un mobile pouvant être partagé par une dizaine de personnes. Une des raisons couramment avancées pour expliquer le développement rapide de la téléphonie mobile reste l’insuffisance des réseaux de téléphonie fixe. Dans la plupart des pays africains, seuls les grands centres urbains sont effectivement connectés, et il faut parfois attendre plusieurs années pour obtenir une ligne fixe. Il n’est pas étonnant de constater qu’en Afrique, en 2001, le nombre de portables est passé devant celui des téléphones fixes, avec respectivement 22 millions et 20 millions d’abonnés. Et les prévisions restent optimistes. En 2005, le nombre de téléphones GSM devrait continuer à exploser, passant à plus de 90 millions, contre à peine 25 millions pour le fixe, beaucoup plus coûteux à développer. Au Burkina, on ne compte que 62 000 fixes pour déjà 120 000 cellulaires. Mais le mauvais état des réseaux filaires n’est pas la seule explication. Le premier pays à s’être massivement équipé de mobiles est l’Afrique du Sud, déjà pourvue d’un excellent réseau filaire. Une étude réalisée par Annie Chéneau-Loquay, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS), a démontré les liens entre le fixe et le mobile, l’un permettant de renforcer l’autre. Au Sénégal, le réseau fixe est depuis longtemps un des meilleurs du continent et, là aussi, le mobile s’est développé très rapidement. Même si l’on s’en sert de manière mesurée. Un menuisier de Dakar, par exemple, qui achète une carte prépayée pourra être appelé par ses clients sur son téléphone mobile pendant encore plusieurs mois, une fois sa carte épuisée. Et il pourra alors trouver un téléphone fixe, s’il a besoin de rappeler son interlocuteur.
Il a été pourtant difficile, pour les compagnies nationales de téléphonie fixe, d’accepter la concurrence des opérateurs privés qui investissent dans le mobile. Les opérateurs publics ont souvent adopté une politique de réduction des tarifs pour les communications locales, facturant assez cher les appels internationaux. Les opérateurs privés, peu compétitifs sur le plan local, ont souvent cassé les prix sur l’international. Conséquence, les coups bas se sont multipliés. Au Burkina, les employés du service public, qui sont de gros consommateurs de téléphone, ne pouvaient plus téléphoner aux abonnés des opérateurs mobiles Celtel et Telecel. En revanche, ils pouvaient appeler les abonnés de l’opérateur Telmob, filiale d’Onatel, la compagnie nationale. À la suite des plaintes déposées par les opérateurs privés, depuis le 21 janvier dernier, l’État a mis tout le monde sur un pied d’égalité. L’accès aux téléphones mobiles Telmob est aussi suspendu. Un peu partout, des autorités de régulation ont été mises en place pour garantir une concurrence équitable entre chaque acteur, public ou privé. Une autre stratégie des gouvernements a été de lier la vente d’une licence GSM avec la prise de participation dans des compagnies de téléphonie classique. Ainsi, Celtel s’est retrouvé actionnaire des sociétés nationales en Tanzanie et au Soudan.
Les opérateurs africains du mobile sont nombreux. De grands groupes comme Vodacom, MTN, Celtel ou Orascom sont actifs dans plusieurs pays. Deux compagnies majeures sont originaires d’Afrique du Sud, poids lourd du continent en termes d’équipements de téléphonie. Les chiffres sont éloquents. Près de la moitié des abonnés au téléphone cellulaire du continent sont sud-africains. Telkom, l’opérateur public d’Afrique du Sud, est la première société de communication d’Afrique. Elle a fait son entrée en Bourse en début d’année. Sa filiale Vodacom, spécialisée dans le cellulaire, est en pleine croissance. Elle est maintenant présente hors d’Afrique du Sud, en Tanzanie, en RD Congo et au Lesotho, et cherche à s’étendre au Mozambique. Elle a un autre actionnaire de poids, le groupe britannique Vodafone, numéro un mondial du secteur, qui exploite aussi des licences GSM en Égypte, au Kenya et en Afrique du Sud.
Toujours en Afrique du Sud, la société M-Cell a été renommée MTN Group. Sa filiale MTN, qui est le second opérateur mobile d’Afrique du Sud, est cotée en Bourse. Elle est présente aussi au Cameroun, au Nigeria, en Ouganda, au Rwanda et au Swaziland. MSI, autre société dont le siège social est en Europe, s’est exclusivement consacrée à l’achat de licences GSM sur le continent africain, où elle est connue sous la marque Celtel dans une douzaine de pays. Enfin, la société Intercel a démarré son activité en 1985 en RD Congo sous le nom de Starcel. Elle a acquis depuis d’autres licences en Guinée, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Mali, au Niger et en Tunisie.
La famille égyptienne Sawiris contrôle un autre géant du continent, la société Orascom. Cette dernière a détenu jusqu’à dix-sept licences GSM en Afrique, à la suite du rachat de la société Telecel en mars 2000, et possède par ailleurs des licences en Jordanie, en Syrie, au Yémen et au Pakistan. Mais Orascom est lourdement endettée et n’a pas réussi à rentabiliser Telecel. Elle a dû se séparer d’une partie de ses filiales en commençant par Telecel Loteny en Côte d’Ivoire, vendue à Mauritius Telecom en juin dernier. D’après Joël Cadier, directeur opérationnel d’Atlantic Telecom, Telecel International vient de leur céder plusieurs de ses filiales, notamment au Gabon et au Bénin. Le rachat de trois autres, au Niger, au Burkina et au Togo, est en train d’être finalisé.
Orascom n’est pas le seul opérateur à avoir souffert de la crise du secteur des télécommunications. Les déboires de Vivendi Universal sont connus. Le groupe a dû vendre à Vodafone les parts (7 % du capital) qu’il avait dans Click GSM en Égypte, et a mis en vente Kencell au Kenya, dont il possède 70 %. En revanche, il conserve sa participation dans Maroc Télécom, une des sociétés les plus importantes du continent avec plus de 1 million d’abonnés en téléphonie fixe et 4,6 millions de clients pour le mobile. D’autres sociétés étrangères ont investi sur le continent africain. Orange, la filiale mobile de France Télécom, est présente au Botswana, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, à Madagascar et en Égypte, avec Mobinil. Mais, là aussi, du fait de la dette record de France Télécom, Orange a plutôt tendance à se replier sur la France et la Grande-Bretagne, après une période euphorique d’extension tous azimuts. Toutefois, la concurrence est devenue plus dure et mieux organisée, et le nombre de licences GSM continue à se multiplier. Il est rare aujourd’hui de voir un opérateur en situation de monopole, même si tous les pays ne sont pas allés aussi loin que la Tanzanie, qui met en vente une cinquième licence. Après une année de fortes turbulences, la réorganisation du marché va se poursuivre.

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