[Tribune] RDC : le Conseil de sécurité de l’ONU peut-il encore sauver les élections ?

Cette tribune est co-signée par Paul Nsapu et Dismas Kitenge, président de l’association Lotus et vice-président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH).

Une des machines à voter prévues pour les élections du 23 décembre 2018 en RDC. © John Bompengo/AP/SIPA

Une des machines à voter prévues pour les élections du 23 décembre 2018 en RDC. © John Bompengo/AP/SIPA

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  • Paul Nsapu

    Paul Nsapu est président de la Ligue des électeurs en RDC, et secrétaire général adjoint de la FIDH.

Publié le 4 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

À partir de ce jeudi 4 octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies effectue une visite de quatre jours en République démocratique du Congo (RDC), alors que la tenue d’élections générales pacifiques et impartiales d’ici la fin de l’année y paraît de plus en plus improbable. Depuis des années, les Nations unies s’efforcent de stabiliser le pays, notamment à travers les 18 000 militaires et policiers de la Monusco. Aussi, cette visite, loin d’être un simple ballet diplomatique, est peut-être l’une des dernières occasions de sauver a minima le processus électoral.

Cette mission, la quatorzième du Conseil dans le pays depuis l’an 2000, se limitera à Kinshasa. Son but affiché est de montrer l’unité d’un Conseil de sécurité inquiet de s’assurer que la préparation des élections présidentielle et législatives, prévues le 23 décembre prochain, se déroule dans des conditions acceptables. L’objectif est également de maintenir la pression afin que les « mesures de décrispation », qui visent à apaiser les tensions entre le gouvernement et son opposition et ouvrir l’espace civique et politique, soient enfin mises en œuvre, et évitent l’embrasement tant redouté.

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Gageons que le Conseil de sécurité veillera à ce que les discussions qui seront menées en capitale ne soient pas déconnectées des réalités du terrain. Ces réalités étant celles d’un pays qui traverse, depuis au moins 2016 et les tentatives du président Joseph Kabila de conserver le pouvoir, une grave crise politique et sécuritaire. Crise qui menace de s’accentuer à mesure qu’approchent les élections.

Les libertés publiques demeurent considérablement réduites et les violences commises contre les civils continuent de croître à un rythme alarmant, en dépit des rapports d’enquête des ONG et des Nations unies, et d’une force onusienne de maintien de la paix parmi les plus importantes au monde.

Les défenseurs des droits humains, journalistes et autres voix critiques continuent d’être réduits au silence

Les citoyens et citoyennes congolais.es ne sont toujours pas en mesure de s’exprimer, manifester ou se rassembler pacifiquement sans craindre les attaques et tirs à balles réelles de la police et de l’armée – sauf s’ils soutiennent le parti au pouvoir. Les défenseurs des droits humains, journalistes et autres voix critiques continuent d’être réduits au silence. Certains sont emprisonnés et ont été torturés. Dernier exemple en date, la récente et inique condamnation de quatre militants du mouvement citoyen Filimbi à un an de prison, après plusieurs mois de détention illégale. Plusieurs médias qui diffusent des informations qui ne sont pas en ligne avec le discours officiel sont toujours fermés, internet est régulièrement bloqué.

On aurait pu s’attendre à un apaisement après l’annonce, en août, de la non candidature de Joseph Kabila à la présidentielle. Le même mois, l’ONU enregistrait au contraire un doublement des violations des droits humains commises par les agents de l’État.

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Sur le plan sécuritaire, les violences se poursuivent à l’est, au nord et au sud Kivu ainsi qu’en Ituri, en toute impunité. Dans la région du Kasaï, une équipe d’experts internationaux chargée par le Conseil des droits de l’Homme de mener des investigations s’est déclarée choquée par la situation catastrophique qui perdure dans cette zone, dans un rapport paru en juillet dernier. Exécutions, tortures, mutilations, viols, déplacements de population, recrutement d’enfants soldats y ont été commis à grande échelle. Des crimes pouvant constituer, de l’avis même de ces experts, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

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Tout porte à croire que les autorités congolaises n’ont aucune intention d’autoriser la tenue d’un processus électoral libre, inclusif et crédible, où chacun et chacune pourrait exprimer son choix sans craindre des représailles. Plusieurs représentants de l’opposition politique demeurent emprisonnés, d’autres ont été interdits de se porter candidats. De sérieux doutes continuent par ailleurs de peser sur la transparence du système de vote et de dépouillement, la fiabilité du fichier électoral et l’indépendance de la justice chargée de la validation des résultats.

La mission du Conseil de sécurité devra écouter les représentant.es de la société civile et de l’opposition politique et permettre à la Monusco de travailler

Dernier signe inquiétant, les autorités congolaises ont récemment déclaré que la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) – chargée d’organiser les scrutins – avait l’intention de tenir les élections sans le soutien de la Monusco.

Si tel était le cas, la RDC contreviendrait une fois encore à ses obligations internationales en bafouant la résolution 2409 du Conseil de Sécurité adoptée le 27 mars 2018. Le texte prévoit en effet que la Mission appuie « la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre 2016 et du processus électoral, […] afin de tenir des élections crédibles et de contribuer ainsi à la stabilisation de la République démocratique du Congo ».

Ce refus de coopérer avec la Monusco aurait également des conséquences matérielles, logistiques et sécuritaires très concrètes, à même de ruiner la possibilité d’élections générales crédibles à la fin de l’année. Enfin, il risquerait de compromettre par avance la reconnaissance des résultats électoraux par les différents partis et organisations de la société civile concernés.

Pour que l’espoir d’élections générales pacifiques et crédibles d’ici la fin 2018 reste envisageable, la mission du Conseil de sécurité qui débute aujourd’hui devra prouver selon nous deux choses. Tout d’abord, qu’elle ne se coupe pas des réalités vécues par les Congolais et les Congolaises dans un contexte préélectoral de plus en plus violent, en rencontrant les représentant.es de la société civile et de l’opposition politique. Par ailleurs, en appelant publiquement les autorités congolaises et la Ceni à prendre immédiatement les mesures qui s’imposent pour la tenue de scrutins libres, transparents et sécurisés… à commencer par permettre à la Monusco de travailler, selon le mandat qui lui a été donné.

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