[Tribune] Cameroun : la révolution d’octobre n’aura pas lieu

C’est un secret de polichinelle que les quelques électeurs qui se précipiteront à l’isoloir ce 7 octobre font semblant d’ignorer. Le président Paul Biya sera réélu. Il n’y aura guère de révolution citoyenne en ce mois octobre.

Des soldats patrouillent dans une rue de Buea, dans le Sud-Ouest anglophone du Cameroun, le 4 octobre 2018. © REUTERS/Zohra Bensemra

Des soldats patrouillent dans une rue de Buea, dans le Sud-Ouest anglophone du Cameroun, le 4 octobre 2018. © REUTERS/Zohra Bensemra

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  • Charles Tsimi

    Charles Tsimi est diplômé en sciences politiques, auteur et conférencier.

Publié le 5 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS
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Présidentielle au Cameroun : huit candidats dans la course

Huit candidats, dont le président sortant Paul Biya, s’opposent lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Un scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire tendu, en particulier dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, secouées par un conflit opposant le gouvernement à des séparatistes.

Sommaire

Les populations urbaines et connectées du Cameroun devront encore attendre. Leur grand soir n’est pas pour demain. Ils peuvent encore continuer d’envier les images démocratiques qui leur parviennent du monde, et parfois même d’Afrique subsaharienne, ou d’autres citoyens ont déjà fait vibrer les rues. Huit opposants camerounais croient en leur étoile. Ils répètent à leurs militants que c’est possible, qu’il ne faut pas écouter ces pions du régime – comme moi – qui déclare d’ores et déjà la partie terminée.

Huit opposants candidats qui ont cru que le tout consistait à pondre des programmes de gouvernance qui annonçaient la transformation radicale du Cameroun, de la même manière que les catholiques annoncent pour décembre la naissance du Christ sauveur. Certains opposants, contemplant leur propre CV, leur beau parcours, ont vu qu’ils ne leur manquaient plus que la fonction présidentielle, pour accéder au royaume des cieux.

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Huit opposants qui, ne pouvant s’unir, n’ayant jamais travailler à cela, car au fond il n’y a pas de travail, annonce tout de même aux populations qu’une fois au pouvoir ils pacifieront les régions dites anglophones en deux, trois mois. Qu’avec eux, la corruption s’évanouirait d’elle-même, et la bonne gouvernance s’incarnerait physiquement, enfin. Huit opposants qui ont passé le temps, lors de cette campagne électorale, à jouer au jeu du plus-vertueux-et-compétent-que-moi-tu-meurs.

Huit opposants qui, inaptes à toute stratégie et pensée sérieuse, ont versé dans la critique d’un régime qu’il ne s’agit plus de critiquer mais d’évincer.

Huit opposants qui, aveuglés par la faim du seul pouvoir, ont fini par ressembler comme un seul corps au régime qu’ils prétendent combattre.

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Huit opposants qui méritent davantage le titre de « Chargé de mission à la présidence… Chargé d’affaires… Chargé de soi-même… Chargé de politique des loisirs… »

Akere Muna (à g.) et Maurice Kamto. © Jean-Pierre Kepseu / Adrienne Surprenant/Collectif Item / François Grivelet pour JA

Akere Muna (à g.) et Maurice Kamto. © Jean-Pierre Kepseu / Adrienne Surprenant/Collectif Item / François Grivelet pour JA

Les opposants de Biya sont ses agents d’informations, ses faire-valoir démocratiques

Quant au président de la République, faussement candidat, on peut toujours se demander pourquoi il organise des élections? Les bornés du droit diront que c’est parce que la Constitution l’exige. Pour ma part, c’est juste pour une question de protocole. De forme ! Il ne faudrait pas que le président Biya embarrasse ses pairs à l’international. Il faut qu’il paraisse démocrate. C’est vital. Pour le fond, on s’en fout. Partout, c’est la forme qui compte. Biya organise donc des élections pour occuper quelques opposants qui ne veulent pas voir au-delà du bout de leur nez.

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Biya autorise donc ses/ces opposants à parader dans tout le pays. Hélas, leurs moyens logistiques, financiers et organisationnels, ne leur permettent pas d’opérer à la mesure de la machine administrative pro-Biya. Il leur laisse le ministère de la parole, et ainsi, ils vont dans les télévisions, les radios, au Cameroun et à l’étranger, raconter ce qu’ils veulent. Les opposants de Biya sont ses agents d’informations, ses faire-valoir démocratiques, ses gags.

Paul Biya, le président camerounais. © Lintao Zhang/AP/SIPA

Paul Biya, le président camerounais. © Lintao Zhang/AP/SIPA

Paul Biya se comporte comme s’il n’avait rien à perdre

Paul Biya, contrairement aux huit candidats, n’a pas eu besoin de se faire voir. Il n’est passé sur aucune chaîne de télévision. Sa parole, comme toujours, est restée rare et secrète. Il se comporte comme s’il n’avait rien à perdre. Et les autres, comme s’ils avaient tout à gagner. Ainsi va le Cameroun.

Vu l’âge de monsieur Biya, faire semblant n’est plus trop son fort. Courber l’échine devant des pauvres populations qui ne savent même pas  dans quelle sauce elles vont bientôt être mangées par le FMI, non merci. Paul Biya veut bien organiser les élections, mais qu’on ne lui demande pas d’aller embêter les populations avec ces histoires de bilan et promesses.

Biya sait qu’il tient son pouvoir. Il a avec lui les élites éparses du pays, il a avec lui l’armée, il est respectueux et bienveillant à l’égard de ses partenaires étrangers, que peut-il craindre si ce n’est le vent humain de la mort ? Nul ne peut le battre par voie électorale. Ce serait un non-sens.

Mais le Cameroun souffre probablement plus d’une absence de penseurs, de véritables intellectuels, que de la longévité de monsieur Paul Biya. D’ailleurs cette longévité sans effusion catastrophique n’est que le reflet d’une société civile sans tête, sans idées, sans force motrice.

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Il n’y a pas de figure intellectuelle camerounaise qui ait accompagné les populations camerounaises dans leur éternelle pente, leur éternelle débrouillardise. De figures qui, non seulement, ont toujours tenu tête, mais qui ont essayé d’éclairer continuellement quelques masses, afin de constituer pour l’avenir un bataillon de blindés, une masse hautement critique et constructive. De figures qui ont essayé de créer quelque chose de nouveau, de figures qui ont tenté d’orienter des étudiants en chômage, des jeunes en errance, des débrouillards en état de fatigue, des vieux en situation de retrait(e).

Ayant eu leurs diplômes avec félicitations du jury, après maints efforts et maintes recherches, lorsqu’ils ne se réfugient dans quelques universités d’ailleurs et d’ici, les intellectuels militent ouvertement en faveur du régime. Ou encore, ils écument les plateaux de télévision, avec une relative et délétère neutralité, qui voile à peine leur instinct de conservation ou de courtisanerie.

Mon avis, dans tout ce bazar, dans tout ce cafouillage verbeux et démocratique, dans un contexte de guerre civile dans ses balbutiements (Nord-Ouest et Sud-Ouest Cameroun), est de ne point gaspiller ses forces sur le terrain du parti au pouvoir, le terrain des élections. Ce mois d’Octobre, la révolution n’aura pas lieu au Cameroun.

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