Parution : le Sahara occidental, la monarchie et la gauche marocaine

Dans « Confessions à propos du Sahara », le cofondateur de l’UNFP et acteur spécialiste de la question du Sahara occidental, Mohamed El Yazghi, dénonce les « erreurs » du roi Hassan II et livre sa vision sur un sujet encore très sensible au Maroc.

Mohamed El Yazghi © Capture écran/YouTube/Histoire du Maroc

Mohamed El Yazghi © Capture écran/YouTube/Histoire du Maroc

CRETOIS Jules

Publié le 8 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

Le 30 septembre, Mohamed El Yazghi était l’invité de « Confidences de presse », animé sur la chaîne 2M par le journaliste Abdellah Tourabi. Ce dernier s’en est réjoui, car le rendez-vous a rassemblé plus d’un million de téléspectateurs. En direct, le cofondateur de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), spécialiste de la question du Sahara, s’était montré audacieux : il a appelé à respecter la mémoire de Mustapha Sayed el-Ouali, le premier dirigeant du Front Polisario, aujourd’hui encore symbole du mouvement indépendantiste, sous-entendant même qu’Alger l’avait possiblement laissé se faire prendre au piège en Mauritanie, où il a été tué par balles en juin 1976.

L’histoire contemporaine du Sahara occidental est en fait peu connue au Maroc. Sorti le 1er octobre en arabe, le livre Confessions à propos du Sahara (Ed. Dar Annachr Al Maghribia), fruit d’un long entretien entre Mohamed El Yazghi et le journaliste Youssef Jajili, contribue à la mettre en lumière. L’ex-premier secrétaire du parti de gauche UNFP est légitime à plus d’un titre : dès 1957, il a été chargé de se pencher sur le dossier du Sahara, avec d’autres militants, par le leader nationaliste Mehdi Ben Barka. À la fin des années 1990, il sera consulté sur la question en tant que ministre de l’Aménagement du territoire du gouvernement d’alternance.

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Le leader socialiste aide avant tout à déchiffrer l’articulation parfois complexe entre la situation politique intérieure marocaine et la ligne adoptée par Rabat concernant le Sahara. Il ne s’agit jamais d’un duel, mais plutôt d’une partie à trois joueurs et plus : d’un côté, le mouvement national, l’Armée de libération marocaine et la gauche ; d’un autre la monarchie et les Forces armées royales (FAR) ; enfin, les capitales étrangères. Les anciens colons français et espagnols y pèsent de tout leur poids, puisque ce sont eux qui achèvent littéralement l’Armée de libération nationale marocaine au Sahara, en 1958 – dans le cadre de la célèbre opération « Ecouvillon ». Alger et Tripoli ne s’invitent dans la danse que la décennie suivante.

Les « erreurs » de Hassan II

Les parties les plus intéressantes de cet entretien fleuve, fruit de longues conversations tenues entre 2011 et 2018, sont sans doute celles consacrées à la période courant de l’indépendance, en 1956, à la récupération du Sahara, en 1975 – entre temps, les colons espagnols continuent d’occuper la zone.

Yazghi estime que la dissolution de l’armée de libération du Sud en 1958 était une erreur

C’est aussi sur cette période que Yazghi se montre particulièrement critique. Il énumère les erreurs commises par Hassan II et ses proches collaborateurs. La préface relève ainsi : « Yazghi estime que la dissolution de l’armée de libération du Sud [détachement de résistants envoyés par la direction de l’Armée de libération pour reprendre les territoires du sud encore aux mains des Français et des Espagnols, ndlr] en 1958 était une erreur ». Un choix dicté par la volonté de Moulay El Hassan, alors prince héritier, de consolider son pouvoir au niveau central avant de s’intéresser à cette question alors périphérique, privilégiant ainsi à l’Armée de libération des bataillons loyaux et apolitiques, les FAR.

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Autre exemple, plus tardif, sur lequel revient Yazghi : c’est « sur ordre du général Mohamed Oufkir » (à l’époque ministre de la Défense) que les autorités répriment en 1972 à Tan-Tan une manifestation de jeunes Sahraouis exigeant le départ des Espagnols. Un choix qui aura des « répercussions destructrices », selon le vieux responsable de gauche, qui semble voir là un premier divorce entre Rabat et une jeunesse qui, à l’époque, est « soucieuse de libérer les régions sahariennes » mais a encore « foi que ces terres étaient marocaines. »

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Quand Yazghi accueillait le fondateur du Polisario

À l’orée des années 1970, quelques années avant la création du Front Polisario – dans le livre, aucune majuscule n’est placée devant « Front », ou « Polisario » -, ceux qui prévoient pour la colonie espagnole une indépendance complète sont rares et ne représentent qu’un courant ultra-minoritaire, y compris au sein du mouvement appelé à accoucher du Front.

Yazghi a fréquenté les jeunes Sahraouis qui souhaitaient voir l’Espagne franquiste quitter au plus vite leur terre

Les jeunes Sahraouis qui souhaitaient voir l’Espagne franquiste quitter au plus vite leur terre, Yazghi les a fréquentés. Beaucoup d’entre eux s’encartent alors à l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). Il se souvient d’une conférence organisée par l’Istiqlal, premier parti nationaliste marocain, en 1972, rassemblant des grands noms du mouvement national comme Allal El Fassi et des jeunes résistants à l’occupation. Yazghi accueille alors dans sa propre maison un groupe de militants, parmi lesquels Mohamed Cheikh Biadillah, devenu depuis un haut fonctionnaire marocain, ainsi qu’un certain Mustapha Sayed el-Ouali.

La répression à l’origine du ralliement à Alger ?

Les décisions prises à cette époque ont sans aucun doute eu des répercussions directes sur la société sahraouie elle-même. Yazghi rappelle : « Lorsque le Maroc avait récupéré le Sahara, son intérêt premier et suprême était de soutenir les partis nationaux qui y avaient une présence forte. Au lieu de cela, Driss Basri [ministre de l’Intérieur emblématique de l’ère Hassan II, ndlr] a préconisé de collaborer avec (…) les chefs de tribus et les notables qui coopéraient avec les autorités espagnoles. » À en croire Yazghi, c’est avant tout la répression contre les jeunes manifestants sahraouis de 1972 qui en pousse une partie à « fuir du Maroc et à s’établir en Algérie. »

Mais l’homme est également critique envers son propre camp : il revient notamment sur la manière dont Mohamed Fqih Basri, opposant de gauche à Hassan II, présente les révolutionnaires du sud à Mouammar Kadhafi, qui trouve là une force à instrumentaliser dans le duel qui l’oppose à Rabat – à la surprise générale, le guide libyen retirera son aide officielle au Polisario en 1984, tout en continuant de le soutenir « en catimini », d’après Yazghi.

La plus grande erreur de Fqih Basri a été de présenter ces jeunes au président Houari Boumédiène

« C’était là la première erreur commise par Fqih Basri. Mais sa plus grande erreur a été faite lorsqu’il a présenté ces jeunes au président Houari Boumédiène [tournant ainsi le dos au Maroc qui les a « ignorés », selon l’auteur, ndlr]. (…) C’est ainsi que la sécurité militaire algérienne allait utiliser la carte du séparatisme, et par la suite instrumentaliser la direction du Polisario contre le Maroc. (…) Les dirigeants algériens ont donc accueilli une partie des militants et poussé à la revendication d’autodétermination afin de mettre en place un État fictif, à l’image de ce qu’avait fait l’Espagne. »

Lundi 1er octobre, l’ouvrage d’entretiens est paru en arabe chez Dar Annachr Al Maghribia. Des versions francophone et hispanophone suivront, témoignant à la fois d’un regain d’intérêt pour cette période houleuse et d’une libération de la parole sur cette question sensible.

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