Tunisie : la missive qui bouscule l’habituelle discipline d’Ennahdha

Dans une surprenante lettre qui a fuité dans la presse, des membres d’Ennahdha critiquent la position du secrétaire général du parti au sujet du conflit en cours au sommet de l’exécutif. Une première pour cette formation, d’ordinaire très disciplinée.

Rached Ghannouchi, leader de la formation islamiste Ennahdha, lors d’un meeting à Tunis en février 2013. © Amine Landouls/AP/SIPA

Rached Ghannouchi, leader de la formation islamiste Ennahdha, lors d’un meeting à Tunis en février 2013. © Amine Landouls/AP/SIPA

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Publié le 4 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Des responsables d’Ennahdha ont décidé de laver leur linge sale en public. Connus pour leur grande discrétion et leur discipline, certains membres s’opposent aujourd’hui à Rached Ghannouchi, chef de la formation conservatrice, s’en prenant à lui dans une lettre qui s’est rapidement retrouvée dans les médias ces derniers jours.

« Ce n’est pas une pétition, mais un simple texte interne pour diagnostiquer la situation », tente de relativiser Sami Triki, membre de la choura (conseil consultatif composé de 150 membres) qui, comme les autres responsables du parti contactés par Jeune Afrique, assure ne pas avoir eu le document en mains propres. Reste à savoir qui a eu intérêt à le diffuser et à contourner la règle.

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Prolongement du conflit à Nidaa Tounes

Fuite ou non, le texte qui fait grand bruit critique le positionnement de la direction du parti dans le conflit qui oppose la Kasbah, siège de la Primature, à Carthage, celui de la présidence.

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Un conflit qu’Ennahdha avait d’ailleurs anticipé lors de son dixième congrès, en mai 2016, souligne-t-il. Ses cadres avaient alors estimé que « la Cour constitutionnelle (était) le seul organe capable d’arbitrer entre les deux chefs de l’exécutif ». Seulement, cette Cour ne s’est toujours pas rassemblée, car les députés ne sont pas parvenus à élire ses membres. Une paralysie dont se désolent les auteurs de la lettre, qui appellent leur parti à se désengager des tiraillements actuels.

Nous nous sommes retrouvés au cœur d’une discorde interne à Nidaa Tounes

« Nous nous sommes retrouvés au cœur d’une discorde interne à Nidaa Tounes, alliés d’un Youssef Chahed avec des ambitions présidentielles de plus en plus avérées », déplorent-ils. Remettant en cause la position de Rached Ghannouchi dans cette crise, ils doutent du fait que le maintien du chef du gouvernement soit une garantie de stabilité politique. Si la division entre Youssef Chahed et Hafedh Caïd Essebsi au sein de Nidaa Tounes a bien profité au premier, fallait-il pour autant choisir son camp ?

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Rompre ou ne pas rompre le consensus

Et le chef de l’État dans tout ça ? « Vous aviez assuré que le président de la République était neutre dans ce conflit, et que ses liens étaient rompus avec son fils. Finalement, il s’est avéré que Béji Caïd Essebsi était très attaché à l’éviction de Youssef Chahed et que le président lui-même était dans une situation fragile, avec une conjoncture internationale défavorable », écrivent les auteurs du courrier.

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« Vous avez alors considéré le moment opportun pour que le mouvement suive son propre chemin, dans un sens contraire à celui du consensus, en vous appuyant sur notre victoire aux municipales », poursuivent-ils. Ils préconisent en retour de maintenir l’équilibre entre les institutions de l’État « sur la base du consensus », rappelant au passage que le président de la République « est le symbole de l’État ».

Or, le parti de la colombe a déjà réitéré sa volonté de faire perdurer ce fameux consensus et la relation « solide » qu’il entretient avec Carthage. Et ce, malgré l’annonce par Béji Caïd Essebsi, le 24 septembre lors de sa dernière interview télévisée, d’une rupture de leur alliance. Le président attribuait d’ailleurs cette séparation à Ennahdha, qui s’est empressée dès le lendemain de la démentir.

« Je suis pour un débat d’idées sur le plan national et à l’intérieur des partis mais j’ai une analyse tout à fait différente des auteurs sur la situation, la nature des alliances et la lecture des motions du congrès », rétorque Abdelmajid Jelassi, ancien vice-président et coordinateur général d’Ennahdha, désormais membre de la choura. « Le consensus n’est pas une recette figée, c’est quelque chose de dynamique, à toujours entretenir et bâtir dans le cadre de la Constitution mais aussi dans le rapport de force partisan, politique et social. »

Vent de fronde

Autre écart par rapport aux habitudes de conduite d’Ennahdha, les critiques se font ensuite acerbes : « Le fait que vous entraîniez le parti, sans consultation, sans vision claire de l’avenir et sans garanties, amènera à l’échec de la transition démocratique en Tunisie. Une transition que nous considérons comme notre priorité. »

Il est vrai qu’il existe des voix dissidentes, mais cette pluralité n’est pas nouvelle

« Il est vrai qu’il existe des voix dissidentes au sein d’Ennahdha, mais cette pluralité n’est pas nouvelle. Elle est récurrente depuis 2011. Seulement, nous avons toujours pour habitude de respecter la position majoritaire », rappelle à l’ordre le député nahdhaoui Oussama Sghaier, selon qui la majorité est toujours du côté de la direction du parti.

« La Tunisie ne peut plus supporter une crise pareille. C’est la stabilité du pays qui importe », conclut Sami Triki. La choura pourrait bientôt trancher le différend. L’instance doit justement se réunir le week-end du 6-7 octobre pour statuer sur les dissensions politiques qui paralysent le pays. Abdelmajid Jelassi, lui, voit encore plus loin : « Il faut se l’avouer, notre bilan depuis 2014 et un semi-échec, il nous faut penser à la grande question : comment gouverner notre pays après l’élection de 2019, d’une manière plus efficace et plus productive. »

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