Ravalomanana, un an après…

Chef d’entreprise devenu chef d’État, il fêtera son arrivée au pouvoir le 6 mai prochain. Malgré un parcours honorable, il lui reste à réconcilier ses concitoyens et à amadouer les bailleurs de fonds.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 8 minutes.

Un an après sa prise du pouvoir, Marc Ravalomanana doit effectuer une visite officielle en France du 26 au 30 avril. Si les relations entre Paris et Antananarivo semblaient jusqu’ici manquer de chaleur, sans doute ce voyage permettra-t-il de raffermir des liens distendus par le changement de régime intervenu l’an dernier dans la Grande Île. Alors que l’Élysée entretenait des contacts étroits avec l’amiral Didier Ratsiraka, son successeur, lui, ne veut pas entendre parler de relations privilégiées avec l’ancienne métropole. Un choix qu’il assume avec d’autant plus d’aisance que cela ne semble pas lui porter préjudice. Bien au contraire : insulaire dans l’âme, le peuple malgache aime qu’on lui parle de souveraineté et d’indépendance. Le nouveau président l’a bien compris. Douze mois après son investiture, l’industriel du yaourt devenu chef d’État affiche certaines aptitudes pour sa nouvelle fonction.
Ce « beau gosse » de 52 ans jouit d’un indéniable charisme auprès des petites gens d’Antananarivo. Chacun sait que ce self-made man devenu milliardaire garda autrefois le troupeau de zébus familial sur les collines d’Imerinkasinina. Réputé proche du peuple, le président ne dédaigne pas les bains de foule. Petite taille mais verbe haut, il a le sens de la formule, même si ses arguments n’emportent pas l’adhésion de tous. Membre éminent de la hiérarchie protestante, il bénéficie également de l’indéfectible soutien du Conseil des Églises chrétiennes de Madagascar (FFKM), qui l’a accompagné pas à pas dans sa conquête du pouvoir. Investi officiellement le 6 mai 2002, le nouveau président n’a exercé son contrôle sur la totalité du territoire malgache qu’à partir du mois de juillet, date de la « reddition » du fief ratsirakiste de Toamasina. Et compte tenu de la période transitoire de cinq mois qui s’est écoulée jusqu’aux législatives du 15 décembre, on peut fixer à janvier 2003 la date de la normalisation institutionnelle.
Ravalomanana n’a pas attendu cette échéance pour mettre la main à la pâte. Après avoir reçu l’onction de Washington dès le 26 juin, et de Paris une semaine plus tard, le nouveau chef de l’État a choisi avec soin ses sorties sur la scène diplomatique. On l’a vu début septembre à Johannesburg pour le Sommet de la Terre, où il a profité de l’occasion pour prendre contact avec ses pairs africains, alors que l’Union africaine lui refusait encore toute reconnaissance officielle. En octobre, Ravalomanana, malgache anglophone suspecté d’américanophilie, faisait le voyage de Beyrouth pour assister au Sommet de la Francophonie. Depuis, le nouveau président a même pris part à la grand-messe France-Afrique, qui s’est tenue à Paris du 19 au 21 février dernier. Il s’est ensuite rendu à Kuala Lumpur pour participer au Sommet des pays non-alignés les 24 et 25 février. Comme pour revendiquer qu’il n’appartenait à aucun camp. « En bon chef d’entreprise, Ravalomanana n’est pas lié à un pays plus qu’à un autre, explique un journaliste malagache. Même si ses affinités personnelles le portent spontanément vers le monde anglo-saxon, il recherche d’abord le partenaire qui lui permettra de réaliser le meilleur profit. C’est une règle d’or dans le monde des affaires. Le président malgache a choisi de la transposer sur le champ politique. »
Pragmatique dans ses choix, éclectique dans ses relations, le président présente volontiers le profil d’un super VRP. Il peut aujourd’hui se permettre de s’absenter plus fréquemment du pays, le régime étant désormais assez stable pour fonctionner sans lui. Le 15 décembre, le scrutin législatif lui a donné un Parlement tout dévoué à sa cause, son parti Tiako’i Madagasikara (TIM, J’aime Madagascar) s’arrogeant la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale. Six mois après le départ de Ratsiraka, son successeur a su mobiliser les électeurs malgré l’appel au boycottage lancé par une partie de l’opposition. En ajoutant aux voix de Tiako celles récoltées par ses alliés, la mouvance présidentielle dispose d’une marge de manoeuvre plus que confortable. Et face à l’omnipotence de TIM, favorisé par le scrutin uninominal à un tour, l’opposition se retrouve plus marginalisée que jamais. L’Avant-Garde pour la rénovation de Madagascar (Arema), la formation de Ratsiraka, au pouvoir pendant vingt-trois ans, est aujourd’hui en pièces.
En fait, il semble que Ravalomanana ait plus à craindre de ses propres alliés que de ses adversaires. Tiraillée par les querelles intestines, la mouvance présidentielle digère mal l’omnipotence de TIM au sein du pouvoir. Ceux qui n’ont pas obtenu de récompense à l’issue des législatives sont frustrés… Les autres, notamment au sein du gouvernement, s’en remettent au « boss », craignant qu’il ne désavoue la moindre de leurs décisions. Il a ainsi fallu attendre le retour de Ravalomanana de l’un de ses déplacements à l’extérieur du pays pour qu’un haut fonctionnaire, nommé en Conseil des ministres, ose prendre possession de son nouveau poste. « Il est normal que, face à la forte personnalité du président, certains membres du gouvernement hésitent à assumer leurs responsabilités. C’est un simple problème de rodage », estime un proche de la présidence.
Arrivé en politique presque par accident, l’ex-maire d’Antananarivo ne paraît pas apprécier outre mesure la collaboration des politiciens opportunément ralliés à sa cause. Après avoir su réunir autour de son nom un large échantillon de leaders, il semble avoir profité des législatives pour reprendre ses distances. « La formation du gouvernement, avec son lot de technocrates pour les départements clés, peu engagés politiquement même s’ils se trouvent être proches du président de la République, est un signe qui ne trompe pas », analysait un exégète du ravalomananisme lors du remaniement ministériel intervenu en janvier. « Ce n’est plus systématiquement dans le réservoir des élus de la mouvance présidentielle que les compétences sont recherchées, mais ailleurs. »
À la tête d’une équipe politiquement peu engagée, le président reste donc le principal interlocuteur de l’opposition. Et sa principale cible. Si bien qu’il paraît aujourd’hui plus fragilisé que son Premier ministre Jacques Sylla. Principale caution du pays auprès des bailleurs de fonds, le chef du gouvernement est parvenu à s’attacher la confiance de la communauté financière internationale, qui lui a promis un concours de quelque 2,4 milliards de dollars. Aux côtés de l’ombrageux Ravalomanana, Sylla le diplomate fait figure d’homme d’expérience. À tel point que le président aurait envisagé de se débarrasser de cet allié de la première heure, aujourd’hui accusé de lui faire de l’ombre. Dans cette perspective, on a évoqué l’éventuel retour de Norbert Ratsirahonana à la primature. Toutefois, l’option consistant à se séparer de Sylla pour le remplacer par un éminent représentant de la communauté merina, originaire comme Ravalomanana des hauts plateaux, n’était pas sans danger. En confiant la direction du gouvernement à un métis catholique d’origine côtière, Ravalomanana a réussi à court-circuiter ceux qui l’accusaient de vouloir instaurer une hégémonie merina protestante à la tête de l’État.
Pour l’heure, Ravalomanana tente de s’imposer comme le président de tous les Malgaches. De Nosy Be, où il s’est rendu début mars pour promouvoir l’industrie touristique, à Fianarantsoa, où il a effectué une visite début avril pour évoquer la lutte contre la pauvreté, il prend la peine d’aller sur le terrain. Il est vrai qu’il lui faut plus que jamais pérenniser le fragile consensus qui lui a permis de prendre le pouvoir. Ne serait-ce que pour rester dans les bonnes grâces des bailleurs de fonds. Le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé en décembre le déboursement de 15 millions de dollars accordés à Madagascar dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC). Ce programme a été prolongé jusqu’en novembre 2004 en raison de l’interruption due à la crise politique du premier semestre 2002. Le pays étant éligible à l’initiative de réduction de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), ses dirigeants doivent finaliser leur stratégie de réduction de la pauvreté. Si le processus se poursuit normalement, et si les conditions fixées par les bailleurs de fonds sont remplies, Madagascar pourrait atteindre le point d’achèvement en juin 2004. Et bénéficier d’une réduction de 90 % du stock de sa dette, dont le montant total atteint actuellement 4 milliards de dollars.
Pour s’assurer le concours de tous, le chef de l’État a évoqué la possible tenue d’une Conférence nationale économique. « Une manière d’éviter la mise en place d’une Commission Vérité et Réconciliation », estime l’opposition, qui, elle, y est favorable. « Ravalomanana ne jure que par le développement durable et rapide, estime un dignitaire de l’ancien régime. Il égrène les slogans économiques comme d’autres leur chapelet. Il multiplie les déclarations sur la lutte contre la corruption et promet à ses concitoyens des kilomètres de routes et des tonnes de riz. Mais il oublie de parler de l’essentiel : la réconciliation de tous les Malgaches. Les six mois de crise ont ouvert des plaies qui sont encore béantes. Il ne faut pas reporter plus longtemps cette nécessaire catharsis. Tant que nous la repousserons, Madagascar ne sortira pas du transitoire. »
Plutôt que d’organiser une grand-messe de réconciliation, le pouvoir a préféré une méthode plus expéditive, en multipliant les poursuites contre les barons ratsirakistes. Depuis le début de l’année, les procès à sensation se succèdent à un rythme soutenu. À la barre, militaires et politiques viennent répondre de leurs actes durant la crise postélectorale, et l’affiche vaut le déplacement. Parmi les accusés figurent notamment l’ex-Premier ministre Tantely Andrianarivo et l’ancien vice-Premier ministre Pierrot Rajaonarivelo, aujourd’hui réfugié en France. Le nombre total de personnes arrêtées dans le cadre de la crise et placées en détention préventive a été estimé entre quatre cents et cinq cents par Amnesty International.
Dans ce contexte délétère, la vie politique peine à retrouver sa sérénité. Après avoir surfé sur une vague de popularité liée au changement, l’ex-roi du yaourt doit maintenant engager des réformes de fond. Étant donné l’ampleur de la tâche, il a plus que jamais besoin de soutiens. Son intransigeance, ses propos parfois cassants, son éternel credo libéral n’en font pas viscéralement un homme de dialogue, bien au contraire. C’est pourtant ce qu’attendent de lui les bailleurs de fonds, l’opposition, et même une partie croissante de ses concitoyens. Tôt ou tard, ce chef d’entreprise devra bien faire de la politique. Même si cela lui répugne.

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