Quelle ONU ? Pour quelles guerres ?

L’intervention militaire américano-britannique n’illustre pas la faillite des Nations unies, mais bien plutôt une conception de la sécurité collective imposée par la force et la coercition.

Publié le 25 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

« L’ONU n’a pas été créée pour accompagner tout le monde au paradis. L’ONU a été créée pour éviter l’enfer à l’Humanité » Dag Hammarskjöld

Depuis le 20 mars 2003, date du déclenchement de la guerre en Irak, l’ONU se trouve être la cible de critiques sans concessions et de jugements sévères. Ceux qui voient dans la guerre contre l’Irak « une agression contraire au droit international » lui reprochent son inefficacité, et ceux qui n’ont pas pu légitimer leur action de guerre par une résolution du Conseil de sécurité la jugent inutile et inappropriée.
Il n’en reste pas moins que les peuples du monde, dans leur grande majorité, restent attachés à l’ONU et appellent au renforcement de son action pour la paix dans le monde par les moyens pacifiques.
La guerre qui a fait rage en Irak n’a rien à voir avec la capacité ou l’incapacité de l’ONU à agir pour la résolution pacifique des différends et la construction de la paix dans le monde. Sur les décisions unilatérales des États membres, l’ONU n’a que le pouvoir que ces derniers veulent bien lui concéder. Cette guerre ne représente pas non plus l’illustration des règles classiques du droit international ; les juristes et les experts dans le monde se sont largement exprimés sur ce point dans les médias. Elle est l’expression politique d’une nouvelle vision des relations internationales, d’une nouvelle conception de la sécurité collective auxquelles la majorité des États membres n’a pas adhéré ; elle présage aussi du nouvel ordre international que les tenants de la force et de la coercition veulent imprimer à l’architecture du monde.
Sur le dossier irakien, le Conseil de sécurité a voté au moins soixante résolutions depuis 1991. Elles exigent le désarmement de l’Irak et gèrent l’action humanitaire en faveur de la population civile. Ces résolutions se succèdent, mais ne s’annulent pas les unes les autres ; la résolution 1441 se réfère à toutes les précédentes et organise le désarmement de l’Irak par la voie des inspecteurs. Leur mission n’était pas terminée lorsque l’option de la guerre pour désarmer l’Irak a été mise en oeuvre. Le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan a rappelé publiquement que même si la Charte prévoyait l’éventualité du recours à la force pour faire face aux menaces à la paix, « la guerre devait toujours être une mesure de dernier recours, une fois que toutes les autres solutions raisonnables auraient été essayées ». Avait-on raisonnablement épuisé toutes les solutions ?
Les inspecteurs demandaient plus de temps à leurs inspections ; les organisations régionales (Union africaine, Non-Alignés, Ligue des États arabes, Organisation de la conférence islamique…) négociaient en coulisses certaines pistes, mais, devant ce qui paraissait être un blocage au Conseil, la guerre est déclenchée. Le secrétaire général s’est prononcé à ce sujet devant le Conseil de sécurité le 27 mars 2003 : « Nous devons regretter le fait que les efforts intenses pour arriver à une solution pacifique à travers le Conseil n’aient pas abouti… Beaucoup de gens dans le monde se posent sérieusement la question de savoir s’il était légitime que des États membres passent tout de suite à l’action décisive si lourde de conséquences sans avoir pris d’abord une décision collective au Conseil. »
L’utilisation « de tous les moyens nécessaires » pour faire respecter les décisions du Conseil de sécurité est prévue par la Charte de l’ONU, mais seulement dans deux cas de figure : la légitime défense en cas d’agression armée contre un pays (article 51) ; l’action collective en vertu du chapitre VII lorsque le Conseil de sécurité constate une menace à la paix et à la sécurité internationales.
Les membres du Conseil de sécurité peuvent avoir plusieurs lectures des résolutions sur l’Irak, et c’est bien le cas. Le nouvel objectif affiché par les tenants de l’action coercitive, à savoir le désarmement par le changement de régime, ne trouve de fondement dans aucune résolution et, la Charte ne l’autorise pas. Pour sortir de l’impasse, eût-il fallu contourner la difficulté en mettant sur la table un projet de résolution préconisant la consultation de la population irakienne sur le choix de ses dirigeants ? Certains États avaient proposé à Saddam Hussein de se démettre et de s’exiler. Dès lors que le problème était devenu le régime en place, beaucoup se sont interrogés : pourquoi n’avait-on pas imposé des élections libres et démocratiques en Irak ? La Charte de l’ONU ne le préconise pas non plus, mais l’enjeu n’est plus le respect scrupuleux de toutes les dispositions de la Charte. « Qui peut le plus peut le moins ». Il y avait une solution plus humaine au conflit : imposer des élections sous surveillance internationale, plutôt qu’imposer les foudres de la guerre.
Ceux qui affirment que « l’ONU apparaît aujourd’hui comme une machine à la fois inapte à dire le droit et incapable de le faire respecter » souhaitent en réalité disposer d’une organisation maniable et aux ordres.
On débat actuellement du rôle de l’ONU dans l’après-guerre : « crucial », « central », « limité » ou « secondaire »… L’important n’est pas dans la sémantique. L’ONU aura nécessairement le rôle que lui confèrent sa Charte et les résolutions de ses organes, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale en particulier…
L’urgence du moment n’est pas de légitimer ou non le recours à la guerre, mais de répondre aux besoins urgents de la population civile irakienne en matière de secours, d’assistance humanitaire et de protection civile, d’alléger les souffrances d’une population sous les affres de trois guerres successives, sans compter l’embargo. La résolution 1472 du Conseil de sécurité charge le secrétaire général d’aller de l’avant ; il y aura certainement d’autres résolutions du Conseil pour revoir les questions liées à l’embargo et à la reconstruction. Cela implique le retour à la paix civile et met en valeur l’expérience et le savoir-faire de l’ONU dans ce domaine.
De la guerre en Irak, l’Histoire retiendra que c’est la première fois qu’une action armée est déclenchée pour balayer un régime dictatorial et promettre à son peuple le paradis, par la voie de la démocratie promise.
Et l’ONU poursuivra les nombreuses et légitimes batailles qu’elle mène : la pandémie du sida, l’extrême pauvreté, la prolifération des armes, le terrorisme international, la criminalité transfrontalière et la corruption, la dégradation de l’environnement. s

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Hassen M. Fodha, directeur du Centre d’information des Nations unies à Paris, membre de la Société française de droit international.

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