Équation à plusieurs inconnues

En application des accords d’Arusha, le président Pierre Buyoya cède la place, le 1 er mai, à Domitien Ndayizeye dans le cadre d’une deuxième phase transitoire.

Publié le 28 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Le Burundi sans le major Pierre Buyoya : une réalité qui sera enfin – officiellement – effective le 1er mai. À cette date, le pays entrera dans sa deuxième phase de transition, en vertu des accords d’Arusha signés en août 2000 et dont les contours politiques ont été définitivement tracés en juillet 2001. Après une première phase présidée par Buyoya depuis le 1er novembre 2001, c’est au tour de l’actuel vice-président hutu, Domitien Ndayizeye, de conduire son pays durant les dix-huit prochains mois. Ce moment historique signifie-t-il pour autant la « mort » politique du major ? Il est permis d’en douter : plus que jamais, le Burundi se retrouve confronté aux impasses nées de dix ans de crise.
Depuis son premier coup d’État, le 3 septembre 1987, Pierre Buyoya est devenu un personnage incontournable, voire indétrônable, malgré les apparences. Sa principale force reste le soutien quasi indéfectible de l’armée, à grande majorité tutsie. Au début des années quatre-vingt-dix, sous la pression de la communauté internationale, il instaure le multipartisme. Il sera largement battu par le Hutu Melchior Ndadaye à la présidentielle du 1er juin 1993. Mais cinq mois plus tard, ce dernier est assassiné par des officiers extrémistes tutsis. Accusés par certains opposants d’être mêlé au complot, Buyoya ne sera jamais inquiété, et le dossier judiciaire établissant les véritables responsabilités des principaux acteurs jamais ouvert. Le major revient en force le 25 juillet 1996. Pour deux ans, affirme-t-il à l’époque. Mais au terme de ces deux ans, il se maintient au pouvoir à la faveur d’une sorte de coup d’État consensuel : le Parlement est nommé, les députés sont « reconduits » par décret. Puis vient le temps des négociations, qui aboutissent in extremis à la signature des accords d’Arusha, en août 2000, instaurant l’alternance.
Aujourd’hui, il laisse à son successeur un pays surendetté, en ruines et, surtout, toujours en guerre. Que reste-t-il des onze engagements qu’il avait pris lors des accords d’Arusha de juillet 2001 ? Plusieurs échecs de taille : la non-réforme de l’armée, la question des réfugiés et des déplacés laissée en suspens et le maintien en détention de nombreux prisonniers politiques. De plus, même si l’alternance était inscrite dans les textes et qu’il s’était engagé à la respecter, Buyoya a tout fait pour la repousser. Ainsi, lors des voeux du nouvel an 2002, il annonçait qu’il partirait « si tel était le consensus de tous les Burundais ». Un consensus qu’il savait de toute façon impossible à trouver au sein d’une population aussi divisée…
Pourtant, malgré l’opposition grandissante du camp tutsi, Buyoya a tout de même accepté de jeter l’éponge. Aujourd’hui, le temps est venu pour lui de diriger le jeu en coulisses. Premier de ses jokers : Alphonse Kadege, patron de l’Uprona, candidat au poste de vice-président. Originaire de la région de Bururi, comme Buyoya, il est le symbole de la continuité. Il est également l’homme né du consensus entre l’Uprona de Buyoya et le Frodebu de Ndayizeye. Une décision en forme de réponse à la fronde lancée par le G5, partis tutsis opposés à cette union sacrée qu’ils accusent de pérenniser un système qui protège et sert les deux partis aux commandes de l’État depuis 1994.
L’élection de Kadege serait donc à la fois une façon de faire taire les velléités d’indépendance des autres partis tutsis, mais aussi de maintenir Ndayizeye dans le piège qu’il s’est lui-même tendu. En effet, en vertu des engagements qu’il a signés le 28 mars, Ndayizeye devra jouer la carte de la négociation, une obligation à laquelle avait échappé son prédécesseur. Ainsi, désormais, tous les textes concernant la sécurité devront être cosignés par le président et le vice-président. De plus, il reviendra au vice-président, en simple « concertation avec le président », de superviser la finalisation des négociations sur le cessez-le-feu, ainsi que le cantonnement et la démobilisation des rebelles. Sa mission sera alors de protéger coûte que coûte les intérêts de la puissante armée. Face à ce vice-président occupant une place pivot, Ndayizeye devra réussir à trouver la juste voie entre des négociations trop généreuses avec les mouvements rebelles, qui pourraient mécontenter l’armée, et le blocage, qui lui vaudrait les foudres de son propre camp.
Sur le plan politique, ses principaux défis seront de faire voter la loi sur le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, et d’obtenir du Conseil de sécurité des Nations unies la désignation d’une commission d’enquête judiciaire internationale sur ces crimes commis au Burundi entre le 1er juillet 1962 et le 28 août 2000. L’adoption de cette loi a toujours provoqué beaucoup de réticences au sein du Frodebu, car des caciques du parti pourraient en être directement la cible.
Malgré un accord de cessez-le-feu signé en décembre dernier, les rebelles CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza ne désarment pas et accentuent la pression. Les violents combats à l’arme lourde de la mi-avril ne sont pas de bon augure : ils auraient fait dix morts dans la capitale et provoqué d’importants dégâts matériels dans les villes de Gitega (Centre) et Ruyigi (Est). N’étant pas signataires des accords d’Arusha, les rebelles veulent faire monter les enchères afin de se ménager une place sur l’échiquier politique. Ils tentent ainsi d’obliger le gouvernement de transition à revenir autour de la table des négociations pour achever les pourparlers politiques laissés en suspens lors de la signature des accords de décembre. Même s’ils continuent de rejeter officiellement l’action armée, les partis hutus et tutsis minoritaires, lassés de l’emprise du tandem Uprona-Frodebu, soutiennent cette position. Des négociations plus ou moins officielles ont déjà eu lieu entre les deux camps.
Enfin, la dernière inconnue de cette équation reste l’attitude à venir des rebelles du FNL-Parlimehutu, qui ont pour l’instant refusé toute négociation de cessez-le-feu. Il y a fort à parier qu’ils ne laisseront pas échapper une occasion d’entrer eux aussi dans la danse.

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